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elisa-asile | Modification du délai d’attente pour le regroupement familial des personnes admises à titre provisoire

Marc Baumgartner, elisa-asile

Le Conseil fédéral a mis en consultation une proposition visant à modifier la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI) afin de réduire le délai d’attente pour le regroupement familial des personnes admises à titre provisoire de trois à deux ans. A quelques jours du délai de clôture de la consultation (fixé au 22 août), plusieurs questions se posent: Quelle est l’origine de ces délais d’attente ? Quel sera l’impact d’un tel changement sur l’intégration ? Et pourquoi un changement l’Ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative est-il également nécessaire ?

Lorsqu’elles sont forcées de quitter leur pays d’origine, les familles réfugiées sont souvent séparées. Dans de nombreux cas, elles passent des mois, voire des années, à vivre à part, sans jamais pouvoir se retrouver. Cette séparation prolongée entraîne inévitablement des difficultés et peut avoir des conséquences dévastatrices sur la santé mentale et le bien-être des individus. Ainsi, la réunification avec la famille est généralement l’une des préoccupations les plus urgentes des réfugié·es.

La réunification familiale des réfugié·es aide à guérir des traumatismes et augmente significativement les perspectives d’intégration. Les familles réunies peuvent s’adapter plus facilement à leurs nouvelles communautés, car les membres de la famille peuvent non seulement accroître l’autonomie économique et offrir un réseau de soutien, mais aussi fournir un sentiment de sécurité. Les procédures de réunification familiale peuvent même sauver des vies en empêchant les personnes de se tourner vers les passeurs et de recourir à des voyages dangereux pour retrouver leurs proches.
Cependant, plusieurs obstacles pratiques, juridiques et financiers rendent souvent difficile la réunification des familles réfugiées. C’est particulièrement vrai en Suisse pour les personnes titulaires d’une admission provisoire, qu’elles soient reconnues comme réfugié·es ou non.

Le regroupement familial pour les titulaires du permis F est soumis à des conditions strictes en Suisse, telles que définies par l’article 85 al. 7 de la loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) : La personne désireuse de faire venir sa famille doit détenir le permis F depuis au moins trois ans, et en plus disposer d’un logement approprié, maîtriser la langue française et être en mesure de subvenir financièrement aux besoins de sa famille.

Jurisprudence et développements récents

Dans son arrêt de principe du 9 juillet 2021 (M.A. c. Danemark, n° 6697/18), la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) a souligné que les délais d’attente prolongés peuvent porter atteinte au droit fondamental au respect de la vie familiale et donc n’étaient pas compatibles avec la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Le Tribunal administratif fédéral (TAF), dans son arrêt de principe du 24 novembre 2022 (F-2739/2022), a conclu que l’arrêt de la CourEDH imposait aux autorités de changer leur pratique en matière d’application de ce délai et a également recommandé une révision des délais en vigueur en Suisse. Les autorités ont déjà pris connaissance de cette jurisprudence et ont adapté la pratique en conséquence.

En réponse à ces développements, le Conseil fédéral entend modifier la LEI de sorte que le délai d’attente pour le regroupement familial des personnes admises à titre provisoire passe de trois à deux ans. Il a ouvert une procédure de consultation à ce sujet, avec une échéance fixée au 22 août 2024. Cette réduction est en principe à soutenir, bien qu’elle ne change rien au fait que de tels délais sont en eux-mêmes problématiques.

La problématique des délais d’attente

Les différentes conditions définies par l’article 85 al. 7 de la LEI ont pour objectif principal de réduire l’immigration. Cependant, les obstacles à l’exécution du renvoi, qui conduisent à l’admission provisoire en Suisse, durent souvent des décennies. Les personnes admises provisoirement quittent donc rarement la Suisse. Un délai d’attente pour le regroupement familial ne conduit donc pas à une réduction de l’immigration, comme l’admet le Conseil fédéral dans son rapport explicatif, mais seulement à une entrée différée des membres de la famille. Les délais d’attente ne protègent donc en rien les intérêts supposés du pays, mais imposent une souffrance supplémentaire aux familles séparées et empêchent une intégration plus rapide et durable. Cela dans un contexte où les autres conditions de l’article 85 al. 7 sont déjà des obstacles importants.

En plus des délais d’attente, la Suisse connaît également des «délais de regroupement», c’est-à-dire une période maximale durant laquelle ces demandes peuvent être déposées. Selon l’Ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (OASA) qui régit ces délais, la demande de regroupement familial doit être déposée dans les cinq ans. Pour les enfants de plus de douze ans, la demande doit être déposée dans un délai très court d’un an suivant l’expiration du délai d’attente. Une réduction des délais d’attente raccourcit donc simultanément le délai maximal dont disposent les personnes pour remplir les autres conditions.

Un changement préjudiciable pour les personnes ayant des difficultés d’intégration

La réduction des délais est une bonne nouvelle pour les personnes qui parviennent à s’intégrer rapidement en Suisse et à être financièrement indépendantes. Toutefois, de nombreuses personnes admises provisoirement, en raison de leur parcours, ne peuvent remplir les critères d’intégration en peu de temps ; celles-ci seront désavantagées par rapport à la situation actuelle. Beaucoup ont vécu des expériences traumatisantes et ne possèdent, à leur arrivée, souvent aucune connaissance des langues nationales suisses. De plus, leurs qualifications ne sont souvent pas reconnues en Suisse. Une intégration rapide est donc souvent difficile. Avec la nouvelle réglementation, ces personnes n’auraient par exemple que trois ans pour remplir tous les autres critères restrictifs afin de pouvoir faire venir leurs enfants de plus de douze ans. Un défi de taille !

Pour éviter cet effet secondaire indésirable, il est nécessaire de modifier également les délais de regroupement de l’OASA afin de ne pas priver les personnes ayant des difficultés d’apprentissage de la langue ou d’intégration sur le marché du travail de leur droit à la famille.