Plateforme Traite | Pour une lutte efficace contre la traite humaine
Mardi 10 septembre 2024, la motion 19.3265 «Ressources pour une lutte efficace contre la traite des êtres humains» sera traitée en session parlementaire. La Plateforme Traite a adressé une lettre aux conseiller·ères aux États visant à attirer leur attention sur l’importance de cette proposition parlementaire. Chiffres à l’appui, elle rappelle que le projet politique du nouveau plan d’action contre la traite des êtres humains ne reçoit pas les ressources financières nécessaires à son application. Par ailleurs, elle soulève les «énormes différences cantonales dans la lutte contre la traite des êtres humains».
Alors que plus de 197 nouvelles victimes de traite humaine ont été identifiées en Suisse en 2023 – ce qui élève le total à près de 500 cas -, la motion qui sera discutée à la prochaine session parlementaire apparaît dans toute son actualité. Fin juillet, la Plateforme Traite rappelait déjà ses recommandations du mois de juin, notamment en ce qui concerne les personnes migrantes et réiterait l’appel à mettre en oeuvre les recommandations du Groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) :
« Le GRETA estime que les autorités suisses devraient veiller à ce qu’un financement adéquat soit mis à disposition par la Confédération pour agir contre la traite des êtres humains afin de permettre une approche harmonisée de la lutte contre la THB à travers la Suisse […] » [2]
GRETA, Rapport d’évaluation de la Suisse
Vous trouverez ci-dessous la lettre au Conseil des Etats de la Plateforme Traite et le communiqué de presse de la Plateforme Traite, paru le 30 juillet 2024 [1]La Plateforme Traite, Près de 200 victimes de traite d’être humains identifiées en Suisse en 2023.
Motion 19.3265 : « Ressources pour une lutte efficace contre la traite des êtres humains ».
Madame la Conseillère aux États
Monsieur le Conseiller aux États
En hiver 2020, le Conseil national a approuvé la motion de l’ancienne conseillère nationale Marianne Streiff-Feller. Depuis, près de quatre ans se sont écoulés. Le 3e Plan d’action national contre la traite des êtres humains (PAN) 2023-2027 a été lancé au début de l’année 2023. Les cantons se voient attribuer un rôle central dans sa mise en œuvre. Malgré le nouveau plan d’action, il est difficile de savoir avec quelles ressources financières il sera mis en œuvre, tant au niveau national que cantonal. Le fait que la mise en œuvre du plan d’action soit menacée a été évoqué à plusieurs reprises au Parlement – et le Conseil fédéral n’a pas présenté de solutions satisfaisantes.[1] La question du financement a été critiquée par le Groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) dans ses recommandations à la Suisse publiées le 20 juin 2024 :
« Le GRETA estime que les autorités suisses devraient veiller à ce qu’un financement adéquat soit mis à disposition par la Confédération pour agir contre la traite des êtres humains [THB] afin de permettre une approche harmonisée de la lutte contre la THB à travers la Suisse […] » [2]
Dans la pratique, les membres de la Plateforme Traite – Plateforme suisse contre la traite des êtres humains – observent d’énormes différences cantonales dans la lutte contre la traite des êtres humains :
Trop peu de ressources pour les forces de l’ordre et les organes de coopération
- Des institutions cantonales et fédérales ne mettent pas en place des dispositifs de protection spécialisés avec des ressources adéquates, tant au niveau des poursuites pénales, de la coopération interdisciplinaire (notamment les tables rondes cantonales contre la traite des êtres humains) que de la protection des victimes. Il y a encore six cantons qui ne disposent d’aucun organe de coopération pour lutter contre la traite des êtres humains et les ressources spécifiques dans la poursuite pénale de la traite des êtres humains ne sont qu’un vœu pieux.
- En règle générale, les situations sont identifiées et les jugements pour traite d’êtres humains sont prononcés dans les rares cantons qui disposent d’une organisation de protection des victimes, d’une police et d’un ministère public spécialisés dans la traite d’êtres humains.
La protection des victimes, élément central d’une poursuite pénale efficace
- Dans certains cantons, notamment au Tessin, les victimes de la traite des êtres humains n’ont jusqu’à présent que très rarement accès aux prestations d’aide aux victimes auxquelles elles auraient droit – dès les premiers soupçons – en vertu de la loi suisse sur l’aide aux victimes et de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. Les victimes ne peuvent donc pas être accompagnées de manière adéquate et protégées contre un nouveau risque de traite et d’exploitation.
- Cela empêche en outre une poursuite pénale efficace de la traite des êtres humains, dans laquelle les victimes sont les principaux porteuses de preuves* ou témoins. Les auteurs restent souvent impunis. Notre expérience le montre : Seule une victime qui se sent en sécurité et qui bénéficie d’un soutien spécialisé est prête à suivre le chemin long, exigeant et souvent traumatisant d’une procédure pénale.
La traite des êtres humains ne connaît pas de frontières cantonales
- Les ressources sont extrêmement variables d’un canton à l’autre. Certains cantons estiment qu’il n’y a pas de traite des êtres humains dans leur canton. En conséquence, ils ne voient pas non plus la nécessité de mettre des ressources à disposition.
La Confédération face à ses responsabilités
- Si la Confédération a fait l’effort d’élaborer un nouveau plan d’action national, elle doit aussi créer les conditions pour qu’il puisse être mis en œuvre.
- L’augmentation des victimes ne va pas de pair avec l’augmentation des ressources des services spécialisés et proposerai d’évoquer les besoins spécifiques, longs et exigeants même sans procédures pénales :
- La problématique de la loi LAVI & infraction étranger, mouvement en cours et recommandations GRETA : poids financier qui vient s’ajouter sur les services spécialisés.
La motion 19.3265 : « Ressources pour une lutte efficace contre la traite des êtres humains » n’a malheureusement rien perdu de son actualité ; peu de choses ont été faites entre-temps concernant la clarification de la question du financement et la nécessité d’augmenter les ressources financières. Le rôle de la Confédération est central dans cette question.
Sur la base de ce qui précède, nous encourageons le Conseil des Etats à suivre le Conseil national et à adopter la motion 19.3265.
Nous vous remercions vivement d’en avoir pris connaissance et de votre engagement dans la lutte contre la traite des êtres humains à l’échelle nationale !
Meilleures salutations
Georgiana Ursprung Priska Seiler Graf
Coordination Plateforme Traite Co-présidente groupe parlamentaire traite des êtres humains
[1] Cf. 23.7434 Lilian Studer : « Mise en œuvre uniforme et complète du 3e plan d’action national. Où en sont les cantons ? », Link : https://www.parlament.ch/de/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20237434 [Etat : 17.7.2024] ; 23.7441 Céline Widmer : « Mise en œuvre du Plan d’action national contre la traite des êtres humains », Link : https://www.parlament.ch/de/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20237441 [Etat : 17.7.2024] ; 23.7402 Franziska Roth : « Aides financières pour les fonds de prévention contre la traite des êtres humains », Link : https://www.parlament.ch/de/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=61001 [Etat : 17.7.2024] ; 23.7411 Priska Seiler Graf : « Fonds de prévention pour la lutte contre la traite des êtres humains », Link : https://www.parlament.ch/de/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20237411 [Etat : 17.7.2024]
[2] Cf. GRETA (2024)09, « Rapport d’évaluation de la Suisse. Third Evaluation Round », ch. 29, lien : https://rm.coe.int/greta-evaluation-report-on-switzerland-third-evaluation-round-focus-ac/1680b079a5 [état : 17.7.2024]
Communiqué | Près de 200 victimes de traite d’êtres humains identifiées en Suisse en 2023
30 juillet 2024
Les quatre organisations spécialisées membres de la Plateforme Traite (FIZ, ASTRÉE, CSP Genève et MayDay) ont pu identifier l’année passée 197 nouvelles victimes de traite des êtres humains en Suisse, ce qui signifie une augmentation des cas en comparaison à l’année précédente. La Plateforme Traite constate aussi une augmentation du nombre de victimes détectées dans l’exploitation de la force de travail. Malgré que les autorités aient de plus en plus déplacé leur focus du travail du sexe à d’autres secteurs de travail ces victimes ne sont souvent pas identifiées comme telles et n’ont pas accès à leurs droits.
11% de cas en plus par rapport à l’année précédente
En réunissant les 197 nouvelles personnes et celles identifiées précédemment un total de 488 victimes de traite des êtres humains ont été accompagnées et conseillées par les membres de la Plateforme Traite tout au long de 2023. L’augmentation des cas par rapport à 2022 confirme que la traite des êtres humains est une réalité en Suisse.
La grande majorité des personnes détectées sont des femmes (75,5%), cependant la tendance des dernières années se confirme : les hommes victimes ne sont pas un phénomène marginal et représentent 23% du nombre total de victimes. L’augmentation du nombre d’hommes victimes s’explique notamment par le fait que la sensibilisation à la traite des êtres humains et les contrôles correspondants se sont de plus en plus déplacés dans les secteurs d’activité à prédominance masculine.
En 2023, les nouvelles victimes identifiées provenaient de 55 pays différents. Les pays d’origine les plus fréquents étaient la Hongrie, la République démocratique du Congo, le Cameroun et la Somalie. Cette année, on constate une proportion nettement plus élevée de victimes originaires de pays africains, soit 56%. Parmi les autres victimes, 17% étaient originaires d’Europe, 14% d’Amérique latine et 12% d’Asie.
La typologie des victimes recensée, tant s’agissant de leur origine, du sexe ou encore des secteurs d’activité, dépend fortement des branches où des contrôles ont lieu, du niveau de sensibilisation des services qui effectuent le premier contact et de la présence sur le territoire de services ayant des compétences spécialisées en matière d’identification et d’accompagnement. Ainsi, ces chiffres ne représentent qu’une partie de la réalité du phénomène qui se déroule par définition dans l’ombre.
Protéger les victimes plutôt que de les poursuivre en justice
Les organisations spécialisées identifient de plus en plus de victimes de traite des êtres humains à des fins d’exploitation du travail : parmi toutes les nouvelles victimes identifiées, 33% l’ont été en 2021, 44% en 2022 et 47% en 2023. Ces chiffres incluent également les victimes contraintes de commettre des actes illégaux tels que le vol ou le trafic de drogue.
Cette augmentation est le résultat du travail de sensibilisation que les services spécialisés de la Plateforme Traite mènent auprès des services concernés tels que la police, les organisations d’assistance aux migrant-e-s ou aux victimes de violence et les hôpitaux. Malgré cela, Nina Lanzi de FIZ critique : «Les victimes de l’exploitation de la force de travail ne sont souvent pas reconnues comme telles et ne reçoivent pas la protection à quelles elles ont droit». C’est l’absence de services spécialisés, des ressources insuffisantes et le manque de sensibilisation des institutions qui a pour conséquence que les victimes n’accèdent ni à un permis de séjour sûr ni aux prestations de protection auxquelles elles ont droit en vertu de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (CTEH).
«En matière d’exploitation de la force de travail, faute de preuves suffisantes, les auteur-e-s sont rarement poursuivis en justice», souligne Leila Boussemacer du CSP Genève. L’infraction de traite des êtres humains est tout aussi rarement retenue par les autorités pénales. Souvent les victimes sont même poursuivies et expulsées du pays pour séjour illégal et en l’absence d’autorisation de travail. Dans les recommandations à la Suisse du GRETA, le groupe d’expert·es de la CTEH recommande une reconnaissance plus conséquente des victimes de l’exploitation du travail en tant que victimes de traite des êtres humains et une application uniforme du principe de non-sanction pour des infractions commises dans le contexte de l’exploitation.
Plus de ressources pour la protection des victimes
Le plan d’action national contre la traite des êtres humains contient différentes mesures que les Cantons doivent mettre en place pour assurer une protection adéquate. Monica Marcionetti demande : «Des ressources pour la mise en place des dispositifs spécialisés sont nécessaire pour effectivement protéger les victimes de traite des êtres humains.». Aussi GRETA a recommandé à la Suisse cet été de créer un tel budget. Angela Oriti d’ASTRÉE souligne : «Étant donné que le nombre de victimes s’adressant aux organisations spécialisées est en constante augmentation, il faut des mesures de protection coordonnées entre le niveau cantonal et fédéral et adéquatement financées.» C’est indispensable pour permettre l’accès à la protection et aux droits pour les victimes sur l’ensemble du territoire.
Ressources supplémentaires
Le Tribunal administratif fédéral estime que le Nigéria est un pays sûr pour les victimes de la traite humaine
Dans le dernier numéro de sa revue Planète Exil (août 2024), l’OSAR consacre un commentaire sur un arrêt du Tribunal administratif fédéral (TAF) en matière de protection des victimes de traite humaine issues du Nigéria.
La Plateforme Traite s’inquiète de la pratique du SEM, conforté par le TAF, qui ne reconnait pas la vulnérabilité des requérante nigérianes exposées aux risques de traite d’êtres humains comme un motif d’asile suffisant.
«En reprenant sa jurisprudence, le Tribunal reconnait que le recrutement forcé des femmes en vue de les prostituer peut, en principe, constituer une forme de violence faite au genre, sans toutefois conclure que la traite des êtres humains constitue un motif d’asile.»
Leila Boussemacer, avocate au service d’assistance aux victimes de traite des êtres humains au centre social protestant (CSP)/Genève
Notes
↑1 | La Plateforme Traite, Près de 200 victimes de traite d’être humains identifiées en Suisse en 2023 |
---|