« Je crois que je peux y arriver »
Abdurrahman Jafari vient d’Afghanistan. Il passe ses journées dans l’atelier d’Ama-K Bro (lire encadré), où meubles anciens sont restaurés à la place d’être jetés. Il souhaite devenir entrepreneur. Mais avant, il aimerait améliorer son niveau de français.
Le travail du bois, c’est le domaine d’Abdurrahman. Dans son pays d’origine, il travaillait comme décorateur d’intérieur et fabricant sur mesure de meubles pour le compte du gouvernement. C’était avant l’arrivée des talibans, suite à laquelle il a perdu son travail, du jour au lendemain.
Il a alors été contraint de tenter sa chance ailleurs. Quand on lui demande, un peu naïvement peut-être, si, une fois en Suisse, il est tout de suite venu à Genève, son récit s’apparente plutôt à un périple autour du monde qu’à un aller simple Kaboul-Genève. Et c’est à pied qu’il a franchi la majorité des pays traversés, qu’il cite à mesure qu’il compte sur ses doigts : Iran, Turquie, Grèce, Albanie, Monténégro, Bosnie, Croatie, Slovénie, Italie, puis la Suisse, où il arrive en octobre 2022. Abdurrahman, titulaire d’un permis F, sait ce qu’il veut faire : créer son entreprise de décoration d’intérieur et proposer la confection de meubles sur mesure.
De l’apprentissage du français à l’entrepreneuriat, le chemin (presque) tout tracé de Abdurrahman
« À Genève, le problème ce sont les appartements, trop petits », explique-t-il, assis sur un fauteuil de seconde main, comme à peu près tous les meubles qui se trouvent ici, dans l’atelier d’Ama-K Bro, une grande salle au rez-de-chaussée d’un ancien hangar de Carouge. « Les gens doivent pouvoir exploiter tous les recoins de leur appartement » continue l’artisan, qui veut aussi proposer des meubles avec plusieurs fonctions : par exemple un lit qui se transforme en canapé. Devenir indépendant, c’est l’objectif d’Abdurrahman. Et il y met de l’énergie : « Moi, j’aime le travail. Je me lève tous les jours à 5 h 00 et je me couche à 22 h 00. » Travailleur, il ne comprend pas toujours pourquoi certains jeunes arrivent en retard et fatigués. En principe ils devraient avoir la force d’avancer, selon lui.
Pragmatique, Abdurrahman sait que la clé qui ouvrira ses chances à Genève est la langue française. Après trois mois en Suisse, il a pu commencer des cours de français. « Les cours sont dans la bibliothèque d’Uni Mail. J’aime beaucoup cette atmosphère ». Et comment fait-il pour apprendre une langue étrangère, est-ce difficile ? « Oui, c’est très difficile. Je n’ai jamais appris de langue [étrangère], je n’ai jamais été à l’école ou étudié ». Mais peu importe, Abdurrahman se donne les moyens de réussir. « Je crois que je peux y arriver », glisse-t-il en souriant. Et pour ce faire, il regarde des vidéos en français sur YouTube, écoute la RTS et lit des articles dans la langue de Molière. « Pour le… », il cherche le mot en français qu’il a sur le bout de la langue en farsi. Le mot ne vient pas, il sort son téléphone portable et, en détachant ses yeux de l’écran quelques secondes après, dit succès. « Pour le succès, il faut apprendre tous les jours quelque chose de nouveau » affirme-t-il.
Et sans doute faut-il aussi voir grand, comme le laisse penser l’anecdote racontée avec un grand sourire par Zina Ismail, éducatrice et chargée de projet à Ama-K Bro : « Une jeune de l’association lui a demandé s’il pouvait construire une maison de poupée. Quand je l’ai vu arriver à l’atelier avec des planches d’un mètre, j’ai été impressionnée de constater qu’il voyait les choses en grand ». Voir grand, c’est sans doute ce qui peut donner la force d’apprendre une langue étrangère. Au-delà des cours proposés par le canton, qui l’aident beaucoup, l’association Ama-K Bro offre à Abdurrahman l’occasion de pratiquer le français au quotidien. « Ici, on ne parle qu’en français, précise Zina. Il y a beaucoup de jeunes qui viennent, d’horizon et de langues différentes, mais Abdurrahman, qu’on appelle ici le daron, soit le papa, finit toujours par se faire comprendre. »
« À Ama-K Bro, pour moi c’est bien. Je peux apprendre le français, donner de l’expérience et prendre de l’expérience »
Abdurrahman Jafari
Autour d’une table de travail, les outils en main, c’est un autre langage qui semble prendre le pas quand les mots viennent à manquer. Celui de la passion et de l’envie d’échanger. « À Ama-K Bro, pour moi c’est bien, confie Abdurrahman. Je peux apprendre le français, donner de l’expérience et prendre de l’expérience ». Ces rencontres entre jeunes et personnes issues de l’asile au sein de l’atelier d’Ama-K Bro ont été initiées par Vinicius, un jeune artiste de l’association (qui a attendu 13 ans avoir d’avoir son permis B). Chacun·e y apporte sa touche personnelle, et en plus de l’apprentissage du français, c’est le vivre ensemble qui est travaillé, avec les meubles comme vecteur de lien.
Laurine Jobin, asile.ch
AMA-K BRO
L’association Ama K Bro a été créée par des jeunes, pour des jeunes, afin de récupérer et de valoriser des meubles destinés à la déchetterie pour les reconduire dans le circuit économique (upcycling). Aussi espace de dialogue, l’association propose des permanences pour soutenir les jeunes dans leur projet et les aider à traiter leurs problèmes administratifs. L’idée d’ouvrir les portes de l’atelier aux réfugié·es pour créer un espace d’échange et de solidarité est venue des jeunes bénéficiaires ayant grandi à Genève, en parallèle de la demande institutionnelle. amakbro.ch
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