Pacte européen sur l’asile. Position des juristes indépendants et des CSP
Le pacte européen sur l’asile inquiète fortement : face aux durcissements « inhumains » en matière de droits fondamentaux des personnes en exil, la Coalition des juristes indépendants pour le droit d’asile et les Centres sociaux protestants (CSP) appellent à rejeter sa reprise par la Suisse. A défaut, ces organisations estiment que la Suisse doit user de sa marge de manoeuvre nationale afin de placer les personnes en quête de protection au centre de ses préoccupations. Dans deux communiqués que nous relayons aujourd’hui, elles proposent différents axes d’amélioration que la Suisse devrait mettre en oeuvre dans la transposition du pacte dans la législation nationale, parmi lesquels un alignement des droits liés au statut d’admis·e provisoire avec les normes européennes, l’élargissement de la notion de famille et la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant en tout temps et une protection juridique indépendante impliquée dès le début de la procédure de filtrage.
Nous reproduisons ci-dessous le communiqué de presse publié le 13 novembre 2024 par la Coalition des juristes indépendants pour le droit d’asile et celui publié le 14 novembre 2024 par le Centre social protestant (CSP), disponibles également sur les sites d’elisa-asile et du CSP.

Communiqué du Centre social protestant
Pacte européen sur la migration et l’asile: une grave atteinte aux droits
Le 14 novembre 2024, les CSP ont répondu à la consultation concernant l’avant-projet de reprise par la Suisse du Pacte européen sur la migration et l’asile. Ce Pacte, dont la mise en œuvre est prévue à l’été 2026, est constitué d’un ensemble de règlements qui prévoient notamment :
- un système Dublin renforcé
- un enregistrement étendu des données dans le système Eurodac
- la mise en place de procédures accélérées d’asile et de renvoi aux frontières extérieures de l’UE
Le Pacte comprend également un mécanisme de solidarité entre les États membres de l’UE, ainsi qu’un règlement visant à faire face aux situations de crise.
Pour la Suisse, seul ce qui constitue des développements de l’acquis Schengen/Dublin doivent être repris.
Dans leur prise de position, les CSP dénoncent une grave érosion des garanties procédurales et une attaque aux droits fondamentaux des personnes en exil. Le système mis en place ne fera que rendre les chemins de fuite encore moins sûrs et encore plus chers, pour des personnes qui de toute façon prendront la fuite, poussées à l’exil par les persécutions, les conflits, les inégalités d’accès aux ressources mondiales et les catastrophes, de plus en plus nombreuses et fréquentes.
Les CSP s’opposent à une reprise du Pacte européen et aux durcissements inhumains qu’elle entraîne. A défaut, ils sont convaincus que, dans la mise en œuvre du Pacte, la marge de manœuvre nationale doit être exploitée et des garde-fous adoptés de manière à ce que les droits des personnes en quête de protection soient placés au centre des préoccupations.
Les CSP demandent :
- Des améliorations lors de la transposition du Pacte dans le droit national, parmi lesquelles :
- un inventaire de critères transparents garantissant l’activation de la clause humanitaire dans toute une série de situations;
- une protection juridique indépendante impliquée dès le début de la procédure de filtrage ;
- l’élargissement de la notion de famille et la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant en tout temps ;
- l’interdiction de transférer et de placer en détention administrative des personnes mineures et leurs familles ;
- un contrôle d’office de la détention Dublin, accompagné d’une représentation juridique gratuite des personnes détenues.
- Une véritable solidarité : la solidarité n’est pas optionnelle et la Suisse doit acter sa participation au mécanisme européen de manière contraignante, en privilégiant la prise en charge des personnes en quête d’asile dans le cadre de la relocalisation, proportionnellement au besoin européen et selon la clé définie dans le RGAM.
- L’alignement des droits liés au statut suisse d’admission provisoire sur ceux relatifs à la protection subsidiaire européenne : la Suisse ne peut pas uniquement adopter les durcissements contenus dans les différents règlements du Pacte, elle doit aussi en adopter ses composantes positives. Il est enfin temps de transformer l’admission provisoire en un statut positif de protection humanitaire.
Le communiqué de la Coalition des juristes indépendants pour le droit l’asile
Des ONG indépendantes rejettent la participation suisse au pacte européen sur l’asile, dysfonctionnel et déshumanisant
Mercredi, Novembre 13, 2024
Communiqué de presse concernant la consultation 2024/46 : Reprise et mise en œuvre des bases légales relatives au pacte européen sur la migration et l’asile
La Coalition des juristes indépendant-e-s pour le droit d’asile a soumis aujourd’hui sa réponse à la consultation sur la reprise par la Suisse du pacte de l’UE sur la migration et l’asile. En raison des durcissements massifs du régime d’asile européen commun (RAEC) et de l’érosion du droit d’asile qui en résulte, la Coalition rejette dans son intégralité le pacte européen sur l’asile.
Simon Noori, co-directeur de Solidarité sans frontières (SOSF) et co-auteur de la réponse à cette consultation : « La réforme de l’asile de l’UE est une capitulation devant les forces de droite et d’extrême droite en Europe et se base sur la croyance erronée que la migration peut être effectivement stoppée par la privation des droits et la violence. Ce faisant, la réforme ne résout pas les problèmes actuels dans le domaine de l’asile et de la migration, elle les renforce même : les États situés aux frontières extérieures de l’UE sont abandonnés, les personnes en quête d’asile sont sanctionnées et enfermées et le nouveau «mécanisme de solidarité » n’est qu’un défouloir lacunaire ».
Lara Hoeft, juriste, co-directrice de Pikett Asyl et co-autrice de la réponse à la consultation : « Avec cette réforme, on ne trouve guère de développements allant dans le sens des personnes en fuite ou de normes de protection en faveur des personnes en quête d’asile. L’UE n’a pas réussi à aller au-delà d’un système Dublin pourtant dysfonctionnel, ni à établir une politique migratoire progressiste. La dignité humaine et la solidarité avec les personnes en fuite, les droits fondamentaux, ainsi que l’accès au droit d’asile ne sont pas défendus et aucune voie légale de migration et de fuite n’a été créée ».
La Suisse ne doit reprendre que les parties du pacte qui constituent un développement de l’acquis de Schengen/Dublin. De manière générale, elle participera indirectement aux procédures aux frontières extérieures de l’UE, problématiques du point de vue des droits humains, et profitera du cloisonnement européen, sans en assumer elle-même la responsabilité.
Surtout, avec la reprise du pacte, la Suisse introduit des durcissements drastiques pour les personnes qui fuient leur pays :
- Le mécanisme de Dublin est maintenu comme principe de base et renforcé. En prolongeant les délais de transfert Dublin, les personnes en fuite seront maintenues encore plus longtemps dans une zone d’ombre juridique précaire et menacées d’expulsion.
- Désormais, des mesures de contrainte peuvent être appliquées aux enfants à partir de six ans, par exemple pour saisir leurs empreintes digitales ou pour les expulser vers les États membres présumés compétents.
- Le nouveau Règlement sur le filtrage et le règlement EURODAC révisé entraîneront une intensification des détentions et une collecte massive de données sur les personnes en fuite, y compris à l’intérieur du pays. Le risque de profilage racial va encore augmenter.
- Au lieu de laisser les personnes en fuite choisir leur pays de destination, comme cela a fonctionné sans trop de problèmes pour les personnes déplacées d’Ukraine, la réforme du RAEC ignore les intérêts et les besoins des personnes en quête d’asile. Compte tenu des conditions de vie et de protection très différentes dans les différents États membres, cela ne conduira en aucun cas à une réduction de la migration secondaire en Europe. Au contraire, la situation des personnes concernées va encore s’aggraver en raison de nouvelles sanctions.
Avec cette réforme, les espoirs d’une politique d’asile européenne solidaire sont douchés.
La Coalition des juristes indépendant-e-s pour le droit d’asile s’oppose donc à la reprise du pacte européen sur l’asile et aux durcissements inhumains qui l’accompagnent, y compris dans le système d’asile suisse.
Si l’adoption de la réforme ne peut être évitée, la Coalition demande à la Suisse de ne pas aggraver les conditions de vie déjà extrêmement précaires des personnes en quête d’asile. Au contraire, les quelques marges de manœuvre offertes par la réforme devraient être utilisées en faveur des personnes en fuite :
- La Suisse devrait améliorer les conditions de détention, la protection juridique, l’hébergement, ainsi que la situation juridique des personnes migrantes et élargir la notion de famille.
- Nous demandons à la Suisse d’aligner le niveau de protection et de vie des personnes en quête d’asile et des personnes en fuite avec les normes européennes. Il est inacceptable que la Suisse ne participe qu’aux parties de la réforme qui sont extrêmement désavantageuses pour les personnes concernées, mais qu’elle n’adopte pas les règles de protection européennes.
- La Suisse devrait ainsi aligner le statut juridique des personnes admises à titre provisoire sur celui de la protection subsidiaire de l’UE.
- La Suisse devrait participer de manière contraignante au mécanisme de solidarité européen, notamment en prenant en charge les personnes en quête de protection dans le cadre de la relocalisation.
- La Suisse devrait s’engager à protéger les enfants et à renoncer aux transferts et aux mesures de contrainte à l’encontre des personnes mineures.
- La Suisse devrait garantir une protection juridique adéquate et gratuite dans les procédures de filtrage, d’asile et de renvoi.
La réponse à la consultation aborde en détail les différents actes juridiques du pacte et leur importance pour la Suisse. Différentes revendications sont formulées, mais elles sont toujours secondaires par rapport au rejet du Pacte dans son ensemble.
Réponse complète à la consultation, disponible uniquement en allemand.
Organisations ayant participé à la rédaction de la consultation :
Juristes démocrates de Suisse; Association elisa-asile, Genève; Freiplatzaktion Zürich; Pikett Asyl; Observatoire suisse du droit d’asile et des étrangers; Solidarité sans frontières
Autres membres de la Coalition des juristes indépendant-e-s pour le droit d’asile:
AsyLex; Centre social protestant Genève, Freiplatzaktion Basel, Rechtshilfe Asyl-Migration; Solidaritätsnetz Bern (réseau de solidarité)