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Notre regard

Entrave au regroupement familial | Les ambassades rappelées à l’ordre

Elisa Turtschi – ODAE romand

Familles séparées, enfants contraints de survivre seuls des mois durant, durée des procédures interminable… En mai 2023, l’ODAE romand publiait un numéro de Panorama sur les problèmes engendrés par les ambassades de Suisse dans le cadre de procédures de regroupement familial. Suite à ces constats édifiants, dressés par l’ensemble des spécialistes du terrain, la Plateforme intercantonale des spécialistes en droit des étranger·èrexs (PLAIDE) a rencontré en janvier 2024 des représentant·es du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) afin de discuter des entraves imposées par les ambassades suisse.

Image: asile.ch

Lors de cette entrevue, la direction consulaire nous a informées avoir récemment  transmis une directive à certaines ambassades. Grâce à l’invocation de la loi sur le principe de la transparence dans l’administration (LTrans), nous avons pu obtenir ce document. En voici certains éléments, utiles à connaître pour les personnes étrangères souhaitant faire venir leurs familles en Suisse :

La possession de documents d’identité ne doit pas être une condition à la délivrance du visa d’entrée

Dans le cadre de procédures de regroupement pour la famille d’une personne reconnue réfugiée ou admise provisoirement en Suisse (selon l’art. 51 LAsi ou l’art.85 LEI), « l’autorisation d’entrée ne dépend pas nécessairement de documents d’identité juridiquement suffisants », souligne le DFAE. Le SEM procède à une évaluation globale des données disponibles afin d’établir la vraisemblance de l’identité et/ou du lien de parenté. Or, vraisemblance n’est pas preuve : le passeport n’est pas une condition sine qua non et des éléments tels que des photos ou d’autre justificatifs doivent être pris en compte.

Le rôle des ambassades est subordonné aux autorités et se limite à l’identification de la personne

La directive souligne – en gras dans le texte – que « pour toutes les procédures de regroupement familial, (…) si une autorisation d’entrée valable est disponible, la tâche de la représentation se limite à identifier la personne au guichet ou à comparer son identité avec les données et les documents transmis par l’autorité compétente ». Et cela s’applique même si la personne à faire venir n’a pas de passeport valable, auquel cas l’ambassade se limitera à un «contrôle de la plausibilité de l’identité».

La directive précise que «les représentations ne sont pas habilitées à passer outre une décision du SEM ou des autorités cantonales de migration et de refuser de délivrer un visa ou un laissez-passer en dépit de leurs instructions». En cas de doute fondé sur l’identité de la personne, l’ambassade est priée de contacter l’autorité responsable de l’autorisation d’entrée pour savoir quelles démarches doivent être entreprises, et « s’abstenir de lancer [ses] propres procédures et processus d’obtention de documents qui n’ont pas été convenus ». Est également mis en exergue le fait que l’ambassade ne doit pas refuser un rendez-vous au seul motif de documents manquants.

Obligations des ambassades concernant les personnes reconnues réfugiées

La reconnaissance d’une personne en tant que réfugiée par un Etat partie à la Convention sur les réfugié·es est contraignante pour la Suisse. Cela signifie qu’« il est interdit à la représentation suisse de demander à la personne bénéficiant du regroupement familial de prendre contact avec les autorités de son pays d’origine en vue d’obtenir un passeport ». Dans le cas où c’est la personne en Suisse qui a la qualité de réfugié, la possibilité de demander aux membres de sa famille de contacter les autorités de leur pays pour produire des documents d’identité est à évaluer au cas par cas, selon le risque que cela peut représenter pour elles et eux.

Ces directives viennent ainsi confirmer les dysfonctionnements dénoncés depuis longtemps par les familles et les juristes qui les accompagnent. En rappelant aux ambassades leur rôle d’exécution, à savoir que la compétence décisionnelle relative aux procédures de regroupement familial revient au SEM ou au canton, elles confirment que ces dernières ne doivent pas fonctionner comme des entités autonomes, affranchies de toute responsabilité légale. Reste maintenant à savoir si ces directives seront appliquées. Pour cela, l’ODAE a décidé de mener un monitoring des procédures en lien avec les ambassades susmentionnées. Si vous êtes concerné·es par une telle situation ou suivez des personnes dans ce cas de figure, vous pouvez contacter : info@odae-romand.ch.