elisa-asile | Actualisation – Motion contre le droit au regroupement familial pour les personnes admises à titre provisoire
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Le 18 décembre, le Conseil des Etats se prononcera sur la motion 24.3511 «Pas de regroupement familial pour les personnes admises à titre provisoire». Comme son titre l’indique, cet objet parlementaire menace de supprimer complètement ce droit aux titulaires du permis F, pour qui les conditions d’accès au regroupement familial sont déjà très strictes. 108 autorisation en moyenne par année. Dans un argumentaire paru en amont du vote au Conseil national, elisa-asile avait produit un argumentaire rappelant la complexité d’un statut de séjour au terme trompeur (l’admission provisoire) et sur l’importance du regroupement familial dans leur intégration sociale et professionnelle. Elle rappelle que ce projet entre en conflit avec les bases légales et humanitaires qui font le fondement de la Suisse. Nous publions ci-dessous une mise à jour sur l’état des travaux et des débats au Parlement.
Guidelines du HCR sur les standards à appliquer en matière de regroupement familial (décembre 2024)
Parmi les ressources pertinentes à l’intention du législateur et des journalistes traitant la thématique, nous signalons ici les Guidelines publiées ce mois par le HCR (Agence des Nations unies pour les réfugié·es) définissant les standards légaux internationaux que les Etats devraient mettre en place en matière de regroupement familial pour les personnes réfugiées et bénéficiaires d’une protection internationale. À toutes fins utiles, nous précisons que les personnes titulaires d’une admission provisoire (permis F) entrent bien dans le champ des bénéficiaires d’une protection internationale.
- UNHCR Guidelines on international legal standards relating to family reunification for refugees and other beneficiaries of international protection, décembre 2024
- Lire aussi notre décryptage média sur les confusions en matière d’admission provisoire
Mise à jour du 13 décembre 2024 en perspective du vote prévu le 18 décembre au Conseil des États
Lors de sa session extraordinaire sur l’asile le 24 septembre 2024, le Conseil national s’est prononcé en faveur de l’interdiction du regroupement familial pour les personnes admises à titre provisoire (motion 24.3057), par 105 voix contre 74 et 9 abstentions. Le Conseil des États doit se prononcer à son tour le 18 décembre prochain, après que sa Commission des institutions politiques a jugé que cette motion allait trop loin et constituait une atteinte disproportionnée au droit fondamental au respect de la vie privée et familiale. La Commission a souligné que les conditions pour bénéficier du regroupement familial sont déjà extrêmement restrictives.
L’issue du vote au Conseil des États reste incertaine. Tout dépendra en grande partie des élu·e·s du Centre, dont les voix avaient permis l’acceptation de la motion au Conseil national. Mais pourquoi cette proposition, qui attaque directement le droit fondamental à la vie familiale, a-t-elle trouvé un tel soutien, notamment auprès des centristes ? Une des réponses réside dans les nombreuses informations erronées ou trompeuses qui circulent au sujet des personnes admises à titre provisoire.
Les préjugés façonnent le débat
Lors des débats au national, Thomas Knutti (UDC) déclarait : « Il y en a trop et ce ne sont pas les bons. » Mais qui sont réellement ces personnes et combien sont-elles ? Le statut d’« admission provisoire » (permis F) est souvent mal compris et sujet à de nombreux amalgames.
En réalité, ce statut concerne des personnes dont la demande d’asile a été rejetée par le Secrétariat d’État aux migrations (SEM), mais pour lesquelles un retour dans le pays d’origine est impossible, illicite, ou ne peut être raisonnablement exigé, par exemple en raison d’un conflit armé. Ces personnes ne sont donc pas considérées comme des réfugié·e·s au sens strict du droit suisse, mais elles ont des besoins de protection similaires des réfugié·e·s avec l’asile. Ce statut, mal nommé « provisoire », est en réalité durable : il permet à ces personnes de rester en Suisse aussi longtemps que les raisons empêchant leur retour perdurent.
Des obstacles élevés au regroupement familial
Actuellement, environ 45’000 personnes vivent en Suisse avec un permis F. Parmi elles, seulement une centaine réussissent chaque année à remplir les conditions restrictives permettant de faire venir leurs proches. Ces conditions incluent une période d’attente, une définition restreinte de la famille limitée au·à la conjoint·e et aux enfants mineurs, une indépendance financière complète pour l’ensemble de la famille, une maîtrise suffisante de la langue ainsi qu’un logement adéquat. En outre, les délais de prescription imposent une limite temporelle stricte pour répondre à ces exigences. Pour les personnes ayant des difficultés d’intégration professionnelle, ces critères représentent des obstacles presque insurmontables.
Le droit au respect de la vie familiale est protégé par l’article 13, alinéa 1, de la Constitution fédérale et par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Actuellement, la loi déjà restrictive pour les personnes avec des admissions provisoires, garantit à peine ce droit.
En tentant de priver ces personnes de la possibilité de reconstruire une vie familiale en Suisse, cette motion nie une réalité humaine : celle des familles déchirées par la guerre et l’exil. Ces personnes, bien intégrées dans notre pays et subvenant seules aux besoins de leur famille sans aide de l’État, ont des droits fondamentaux, l’État suisse doit les respecter.
L’adoption de cette motion ne serait pas seulement juridiquement inappropriée et disproportionnée, mais également discutable sur le plan éthique. Le Conseil des États aura, le 18 décembre, l’opportunité de corriger le cours pris par le Conseil national.
Argumentaire – Motion contre le droit au regroupement familial pour les personnes admises à titre provisoire
elisa-asile | octobre 2024
La motion 24.3511 «Pas de regroupement familial pour les personnes admises à titre provisoire» vise à supprimer complètement ce droit, comme le suggère son titre. Cette motion n’est pas un instrument de politique migratoire, car très peu de personnes arrivent ainsi en Suisse. Cependant, elle entre en conflit avec la Constitution fédérale, le droit international ainsi que la tradition humanitaire de la Suisse.
Admission “Provisoire” : Terme Trompeur
Le statut de l’admission provisoire en Suisse est un concept juridique complexe et peu compréhensible pour le grand public. Dans les faits, il s’agit d’une protection internationale reconnue en raison des risques encourus par les personnes en cas de retour dans leur pays. La Suisse violerait ses obligations internationales en exécutant un renvoi. L’idée même d’une «admission provisoire» est trompeuse, car elle suggère un séjour temporaire alors que, dans les faits, ces personnes restent à long terme en Suisse.
Contrairement à d’autres pays européens qui leur octroie une «protection subsidiaire , la Suisse (et le Liechtenstein) n’accorde pas de véritable statut de protection aux personnes fuyant les guerres et les violences généralisées. Les personnes admises provisoirement ont des besoins de protection comparables à ceux des réfugié·es reconnu·es, notamment celles venant d’Afghanistan, de Syrie ou d’Érythrée. Toutefois, elles sont systématiquement désavantagées en matière de droits, y compris pour le regroupement familial.
Les conditions actuelles déjà très strictes du regroupement familial
Environ 43’000 personnes sont admises à titre provisoire en Suisse. Elles doivent surmonter des obstacles élevés pour bénéficier du regroupement familial : 2 ans de délai avant de soumettre une demande, indépendance financière, bonne intégration. Entre 2020 et 2023, seuls 108 autorisations de regroupement familial ont été accordées chaque année à cette population. Cette mesure symbolique n’aurait donc qu’un impact négligeable sur la migration globale. Sa suppression placerait la Suisse en conflit avec le droit international et aurait un impact négatif à long terme sur l’intégration des personnes titulaires de ce statut, et donc sur la cohésion sociale.
Le regroupement familial: un outil d’intégration essentiel
Le regroupement familial est un facteur clé pour l’intégration des personnes admises provisoirement. Une étude de la Croix-Rouge a montré que la séparation entraîne une détresse émotionnelle qui peut compromettre gravement l’effort d’intégration: apprentissage d’une langue, relations sociales, professionnelles sont péjorées par l’angoisse de savoir son épouse, mari ou enfant en danger. En revanche, la réunification familiale favorise la stabilité psychologique et sociale, rendant l’intégration plus rapide et durable. La suppression de ce droit compliquerait une intégration rendue déjà difficile par les conditions liées au permis F.
Les obligations internationales de la Suisse
L’interdiction du regroupement familial pour les personnes admises provisoirement contrevient aux engagements internationaux de la Suisse. Le droit à la vie familiale est un droit fondamental inscrit dans plusieurs conventions ratifiées par la Suisse, telles que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 23), la Convention relative aux droits de l’enfant (art. 10) et la Convention européenne des droits de l’homme (art. 8).
Un devoir humanitaire, moral et constitutionnel
La Suisse s’enorgueillit d’une longue tradition humanitaire. Depuis des siècles, elle a accueilli des personnes persécutées, des Huguenots aux réfugié·es des conflits modernes. Renier le droit au regroupement familial constituerait une régression majeure. Enfin, cela reviendrait à violer la Constitution suisse, qui protège le droit à la vie familiale. Assurer ce droit implique de créer les conditions matérielles pour le rendre effectif, y compris en facilitant le regroupement familial. Remettre en cause ce droit met en péril les valeurs fondamentales de la Suisse.
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