Décryptage médias | Personnes admises provisoirement, de qui parle-t-on?
Elodie Feijoo, Responsable du Comptoir des médias pour asile.ch
L’«admission provisoire», expression opaque à l’origine de nombreux amalgames et de malentendus, est aujourd’hui au cœur de l’actualité politique et médiatique. Le terme comporte en lui-même de nombreuses contradictions : qualificatif de «provisoire», alors que le séjour en Suisse est en réalité durable; une décision d’asile négative, alors qu’il s’agit d’un besoin de protection reconnu. L’absence de lisibilité et de logique de ce terme permet alors à certain·es politicien·nes de qualifier les personnes concernées de «migrants illégaux», «requérants d’asile» ou encore de «sans papiers», notions définissant des réalités différentes de celles des personnes admises provisoirement. Repris par les médias, le vrai du faux devient indiscernable pour le grand public. Alors que les personnes admises provisoirement sont au centre de plusieurs débats parlementaires, il nous semble important de rappeler quelques notions et de lutter contre un tel confusionnisme.
Un besoin de protection reconnu
Accusation de tourisme médical, volonté de supprimer le droit au regroupement familial ou d’introduire des cartes de paiement, les attaques envers les personnes admises provisoirement (titulaires du permis F) se font vives au Parlement en ce moment. Ayant constaté une certaine confusion dans les propos de certains politicien·nes ainsi que dans certains traitements médiatiques, il nous semble nécessaire de rappeler la définition de l’admission provisoire. Celle-ci est octroyée aux personnes dont le besoin de protection est avéré, mais qui ne remplissent pas tous les critères nécessaires à l’octroi de l’asile – à savoir la nécessité de prouver des persécutions individuelles. Il s’agit majoritairement de personnes fuyant une guerre, une situation de violence généralisée, et dont le renvoi violerait les obligations internationales de la Suisse. Techniquement, une décision négative puis une décision de renvoi sont donc rendues, mais celui-ci ne pouvant être exécuté (car inexigible, illicite ou impossible), une admission provisoire est prononcée. En résumé, les personnes appelées communément «réfugié·es de guerre» obtiennent généralement une admission provisoire en Suisse.
La répartition de la part d’octroi du statut de réfugié par rapport à l’admission provisoire varie d’un pays d’origine à un autre. Le graphique ci-dessous illustre le type de protection accordé pour les dix nationalités principales parmi les cas traités. On y voit notamment que les ressortissant·es d’Afghanistan ont majoritairement reçu une admission provisoire, alors que ceux·celles de Turquie et d’Erythrée ont reçu l’asile.
Un statut qui dure
Dans sa prise de position publiée le 19 octobre dernier, le PLR fait référence aux personnes admises à titre provisoire comme des personnes dont le séjour est en principe temporaire. Ce même argument se retrouve dans la motion 24.3511 visant à supprimer le droit au regroupement familial pour les personnes admises à titre provisoire et qui sera discutée le 5 novembre prochain par la Commission des institutions politiques. Que disent les statistiques ? En 2023, plus de 53% des personnes qui possédaient un permis F étaient en Suisse depuis plus de sept ans. Ceci sans compter les ancien·nes titulaires de permis F qui obtiennent chaque année un permis B pour cas de rigueur (art. 84 al. 5 LEI). Ces personnes, pouvant notamment prouver 5 ans de séjour, une indépendance financière et un niveau de langue suffisant, étaient au nombre de 5’082 en 2023 [1]https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/publiservice/statistik/auslaenderstatistik/haertefaelle.html.
Des droits précarisants
Les personnes au bénéfice d'une admission provisoire ne peuvent voyager hors de Suisse (y compris en Europe) qu'à des conditions très restrictives, reçoivent une aide sociale inférieure (moitié moins à Genève par exemple), et n'ont droit au regroupement familial qu'après 2 ans et sous certaines conditions, dont l’indépendance financière. C'est un statut précaire, renouvelé d'année en année, et qui est bien souvent un frein à l'intégration et à l'emploi de par le qualificatif de provisoire. Dans les pays de l’Union européenne, elles obtiennent un statut nommé «protection subsidiaire» qui, dans de nombreux domaines, accorde aux personnes déplacées par la guerre et la violence, les mêmes droits et avantages que les personnes réfugiées au bénéfice de l'asile [2]La législation européenne prévoit une «protection subsidiaire» pour les personnes n’étant pas éligibles au statut de réfugié mais fuyant une guerre ou une situation de violence … Lire la suite. La Suisse a donc encore de la marge pour que l’admission provisoire soit attractive. En ce qui concerne le regroupement familial et le risque d' «appel d'air» mis en avant par certain·es, rappelons qu'en termes de statistiques, le regroupement familial des personnes admises provisoirement (défini à l’article 85c al.2 de la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI)) s’est concrétisé en une moyenne de 108 regroupements familiaux par an entre 2020 et 2023.
Des personnes en situation de séjour régulier
Il semble important de rappeler que les personnes admises provisoirement sont titulaires d'un permis F. Il est faux d’employer le terme « migrants illégaux » pour parler d’elles. Au-delà du fait qu’aucun être humain n’est illégal, c’est l’entrée [3]Rappelons que pour pouvoir déposer une demande d'asile en Suisse, il est très souvent nécessaire d'arriver sur le territoire de manière irrégulière ou le séjour qui peuvent l’être. Les personnes admises provisoirement sont titulaires d’un permis F et ne sont donc pas en situation de séjour irrégulier.
Dans l’émission forum de la RTS en date du 24.10.24 et intitulée «Migrants illégaux: halte au tourisme médical», on pouvait notamment entendre Jacqueline de Quattro mélanger les termes d’ «admis provisoires», «migrants illégaux», «sans-papiers» et «demandeur·euses d’asile». Selon ses dires, les personnes sans-papiers sont des personnes prétextant ne pas avoir de papiers, et qui, pendant la période d'évaluation de leur demande d'asile, sont déjà couvertes pour leurs frais médicaux. Voir notre Mémo[ts] sur l’asile pour la distinction entre ces différents termes: https://asile.ch/memot/de-parle-t-on/papiers-personne-statut-legal/
Il est important que les médias se distancient de cette rhétorique erronée et n’entretiennent pas une telle confusion. Contextualisation, mise en guillemets, et correction de la part des journalistes sont essentiels à un débat public informé basé sur des faits et non des idées-reçues ou approximations.
© Image d'illustration: Photo de Kim Menikh sur Unsplash
Notes
↑1 | https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/publiservice/statistik/auslaenderstatistik/haertefaelle.html |
---|---|
↑2 | La législation européenne prévoit une «protection subsidiaire» pour les personnes n’étant pas éligibles au statut de réfugié mais fuyant une guerre ou une situation de violence généralisée. Voir à ce sujet le Mémo[ts]: Qu’en est-il des personnes fuyant les guerres et les conflits ? |
↑3 | Rappelons que pour pouvoir déposer une demande d'asile en Suisse, il est très souvent nécessaire d'arriver sur le territoire de manière irrégulière |