Hommage | The Game, le jeu de la vie ou de la mort
Isaac
J’ai connu Ahmed en juin 2018 à Izmir en Turquie, juste avant d’effectuer notre traversée pour la Grèce. Ahmed était un jeune afghan d’environ 16 ans. Il avait pour projet de rejoindre l’Angleterre où vivait déjà son père. Aux côtés de 70 personnes, nous avons pris la mer ensemble sur un jingi (bateau pneumatique) jusqu’à Samos. Nous avons été hébergés dans le même centre pour mineurs sur l’île. Nos routes se sont ensuite séparées, mais nous sommes restés en contact. Par la suite, c’est son père, qu’il n’a jamais pu rejoindre, qui m’a donné la nouvelle de sa mort. L’histoire d’Ahmed est celle de beaucoup d’autres qui ont fait le Game, à savoir la route migratoire des Balkans, et en sont morts. Par ce texte, je souhaite leur rendre hommage. Ces morts sont nos morts. Ils ne sont pas morts par hasard et nous en sommes responsables.

Ne méritait-il pas la vie? Il n’a jamais fait de mal à une mouche, Ahmed. Il n’a pas connu la cause de son exil; les multiples invasions de l’Afghanistan qui ont déstabilisé le pays jusqu’à ce jour. Il n’a jamais connu la politique qui l’a tué. Il aurait souhaité être un oiseau et voler au-delà du ciel échappant à la malédiction de la naissance qui l’accablait.
La vie d’Ahmed s’est arrêtée pour laisser toute la place à nos racismes. Il aurait pu être médecin, avocat ou ingénieur, il aurait pu être une star mais sa vie s’est terminée ici. Je le vois comme une étoile filante qui brille et disparaît. Une étoile qui pour certains semble représenter une menace pour leur hémisphère.
Les ancêtres d’Ahmed ont introduit la philosophie grecque en Europe. Ils ont apporté l’irrigation, les mathématiques et l’astronomie. L’ironie de cette horreur ne m’échappe pas. Ahmed n’a pas été bienvenu en Europe. Il s’est noyé lors de son passage en mer, entre la France et l’Angleterre.
J’imagine ce jeune garçon mort, allongé sans vie sur la plage, le dos courbé, les bras écartés, tournés dans la direction de sa destination. Même s’il avait réussi à rejoindre son père, il aurait été victime d’intimidations à cause de son accent.
Comment en est-on arrivé là? Comment se fait-il qu’on doive prendre autant de risques pour demander l’asile? Je pense que certains politiciens instrumentalisent les personnes migrantes à des fins de propagande. Il y a des enjeux de pouvoir et des lobbys à défendre. Je suis choqué quand je vois le budget de l’UDC consacré aux élections. La migration n’est pas un thème qui les intéresse particulièrement, mais ils s’en servent pour défendre leurs intérêts.
Je garde néanmoins espoir. Nous devons faire connaître nos histoires et les diffuser dans les médias pour que les représentations changent petit à petit et qu’on ne nous voit plus comme des personnes qui dérangent.
L’information a un coût. Notre liberté de ton aussi. Pensez-y !
ENGAGEZ-VOUS, SOUTENEZ-NOUS !!