Regroupement familial | Droit à la vie familiale sacrifié sur l’autel du contrôle migratoire ?
Marc Baumgartner
À la fin 2024, un léger espoir émerge du Parlement fédéral. Alors que le Conseil national proposait l’abolition complète et sans exception du regroupement familial pour les personnes admises à titre provisoire, le Conseil des États rejetait cette proposition extrême de justesse, par 20 voix contre 18, et 4 abstentions (motions 24.3057 et 24.3511)[1]Motions 24.3057 et 24.3511 « Pas de regroupement familial pour les personnes admises à titre provisoire ». Lire l’argumentaire d’elisa-asile.. Le fait qu’une telle atteinte à la Constitution et au droit international ait été rejetée de justesse marque un tournant inquiétant sur la teneur des débats à venir sur l’asile. Car cette proposition n’est pas nouvelle: depuis 2011, des parlementaires de l’UDC soumettent régulièrement la même motion avec les mêmes arguments, sans succès jusqu’à récemment. La nouveauté réside dans le fait que cette attaque frontale contre le droit à la vie familiale commence à trouver un écho, même parmi des parlementaires du centre[2]Une stratégie visant à repousser les limites de l’acceptable qui est la marque de fabrique de l’UDC..
Le Röstigraben était particulièrement marqué lors du vote final: aucun membre romand du Conseil des États ne l’a soutenue. Les arguments en faveur de l’État de droit et du droit à la vie familiale comme bien fondamental trouvent donc encore un certain écho auprès des politicien·nes de droite en Suisse romande. Quelques exceptions subsistent néanmoins outre-Sarine, comme le conseiller aux États libéral-radical Matthias Michel (Zoug), qui s’est abstenu avec son collègue romand Pascal Broulis (Vaud).
Une retenue de plus en plus rare dans un parti qui glisse progressivement vers un rôle de partenaire junior de l’UDC au niveau fédéral. Ce phénomène, qualifié d’«argovisation» du PLR, est incarné par son président actuel Thierry Burkart, originaire de ce canton.

La retenue du Centre
Dans cette configuration, le Centre jouera un rôle décisif dans la politique d’asile des prochaines années. Il devra bientôt décider s’il veut continuer à se définir comme le parti de la famille ou abandonner définitivement cette étiquette: les parlementaires de l’UDC ont d’ores et déjà lancé deux nouvelles attaques contre le droit à la vie familiale.
D’une part, les motions 24.4320 (CN) et 24.4444 (CE), intitulées «S’inspirer du Danemark et de la Suède pour gérer le regroupement familial dans l’intérêt de la Suisse», déposées simultanément dans les deux chambres, imposeraient une série de critères arbitraires et supplémentaires aux familles séparées. Par exemple, les personnes devraient désormais avoir au moins 24 ans pour déposer une demande, les enfants ne pourraient pas être âgés de plus de 15 ans, et les réfugié·e·s disposeraient seulement de trois mois pour bénéficier d’une procédure simplifiée.
D’autre part, la motion 24.4506, intitulée «Accorder le regroupement familial aux personnes admises à titre provisoire uniquement après remboursement de l’aide sociale perçue», déposée au Conseil des États, revient à les priver totalement du droit au regroupement familial. Actuellement, seule une centaine de ces personnes parviennent chaque année, dans les délais imposés, à surmonter les obstacles financiers et d’intégration déjà imposés pour faire venir leurs familles en Suisse. Exiger en plus le remboursement de l’aide sociale reçue pendant le processus d’intégration dans ce temps imparti rendrait un regroupement quasi impossible. Une abolition de facto du droit à la vie familiale, sous un nouveau déguisement.
Une lueur d’espoir: la mobilisation de la société civile
Face à ces attaques, la société civile s’est vigoureusement mobilisée. Avant le vote de décembre dernier, les organisations de défense des droits des réfugié·es et des droits humains ont inlassablement sensibilisé sur la situation des personnes admises à titre provisoire et contré les discours simplistes. Plus de 80 organisations se sont unies pour exprimer leurs inquiétudes directement aux parlementaires fédéraux.
Dans un système de scrutin majoritaire comme celui du Conseil des États, où les élections se jouent souvent de peu, l’impact de ces mobilisations ne doit pas être sous-estimé. Face aux attaques imminentes, il est crucial que la société civile reste engagée et unie au-delà des frontières linguistiques, pour défendre non seulement le droit à la vie familiale en Suisse, mais plus largement les droits fondamentaux.
Cet article a été publié dans le cadre d’un dossier sur les enjeux du regroupement familial paru dans notre édition de février 2025.
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Notes
↑1 | Motions 24.3057 et 24.3511 « Pas de regroupement familial pour les personnes admises à titre provisoire ». Lire l’argumentaire d’elisa-asile. |
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↑2 | Une stratégie visant à repousser les limites de l’acceptable qui est la marque de fabrique de l’UDC. |