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Notre regard

Soudan | Les civils, victimes abandonnées d’une guerre de pouvoir et d’argent 

FLORENCE JOYE

«Les adultes, ils font n’importe quoi.» Ce sont les mots qui sortent spontanément de la bouche d’un des deux enfants protagonistes du film Khartoum[1]Khartoum, documentaire d’Anas Seed, Rawia Alhag, Ibrahim Snoopy Ahmad, Timeea Mohamed Ahmed et Philip Cox, 2025 récemment projeté à Genève dans le cadre du FIFDH, lorsqu’on lui demande de commenter la situation de son pays. En proie à une guerre civile depuis le 15 avril 2023, le Soudan subit l’une des «plus  grave crise humanitaire au monde» s’alarment les instances internationales. La cause : deux généraux – Abdel Fattah Al-Bourhane, à la tête des Forces armées du Soudan, et Mohammed Hamdan Daglo, à la tête des Forces de soutien rapide, anciennement complices, se battent pour le pouvoir et pour les intérêts de leurs alliés internationaux au détriment de la population civile. Dans un discours prononcé le  27 février 2025 au Conseil des droits de l’Homme[2]OHCHR, Le Soudan est une poudrière avertit le Haut-Commissaire Volker Türk au Conseil des droits de l’homme, le Haut-Commissaire aux droits humains, Volker Türk, averti : «Le Soudan est une poudrière.»

Le HCR a récemment publié une prise de position pour attirer l’attention sur le besoin de protection internationale des personnes originaires du Soudan.

Source: Image du documentaire Khartoum d’Anas Seed, Rawia Alhag, Ibrahim Snoopy Ahmad, Timeea Mohamed Ahmed et Philip Cox, primé au FIFDH 2025

Alors que l’attention médiatique est tournée vers d’autres conflits, le Soudan et sa population martyrisée sont oubliés. Dans le pays, la situation est telle que tout chiffre relève de l’approximation, mais donne le vertige : probablement plus de  150 000 mort·es, 12 à 13 millions de personnes déplacées dont plus de 8 millions de déplacé·es internes, et environ 25 millions de personnes, soit la moitié de la population, en « situation d’insécurité alimentaire ». Et cela, sans compter les 500 000 personnes déplacées dans le camp de Zamzam, au Darfour, camp dans lequel la famine a été déclarée en juillet 2024 déjà. Quant aux viols, ils sont impossibles à dénombrer, tant la crainte de stigmatisation et de représailles couvre ces crimes d’une chape de plomb. Mais les témoignages et récits rapportés[3]Série de reportages parus dans Le Monde en novembre 2024 confirment une explosion de la violence sexuelle commise par les soldats et les miliciens des deux camps. Et pour Volker Türk : «Plus de la moitié des viols signalés ont pris la forme de viols collectifs, ce qui indique que la violence sexuelle est utilisée comme arme de guerre».
Le système de santé est réduit à presque rien, les marchés sont quasi vides, les déplacements sont massifs, la famine déjà extrême. Mais l’or tant convoité par des pays tiers et qui sert à financer la guerre, lui, circule encore. En résumé : le peuple vit une situation désespérée, mais les généraux ont choisi la voie de la « guerre totale », refusant dès le départ la proposition d’une médiation internationale.

RISQUE DE CONFLIT INTERETHNIQUE

«Les RSF ont commencé à se désintégrer en plusieurs factions et l’armée a recruté des milices ethniques partout dans le pays, dont certaines d’inspiration islamiste. Les deux côtés ont perdu le contrôle des combattants et la violence intercommunautaire est en train d’infuser partout.» 
Suliman Ali Baldo directeur du Sudan Transparency and Policy Tracker, FIFDH 2025.

RÉFUGIÉ·ES DANS LES PAYS VOISINS

Hors des frontières du pays, les conséquences du conflit se font également sentir. Les pays voisins comme le Tchad, l’Égypte, l’Éthiopie, la République centre africaine, la Libye, le Soudan du Sud et l’Ouganda se retrouvent en grande difficulté pour accueillir les réfugié·es et leur procurer le minimum vital, comme le constate le HCR, l’Agence des Nations unies pour les réfugié·es. Les flux d’arrivant·es engendrent de nouveaux besoins humanitaires que ces pays ne peuvent combler. Et c’est là un danger certain de déstabilisation de l’ensemble de la région.

Mi-février, le HCR s’alarmait : « Les partenaires humanitaires ont besoin de 1,8 milliard de dollars pour venir en aide à 4,8 millions de personnes » installées dans ces pays. Mais avec les récentes annonces américaines de coupes dans les budgets d’aide humanitaire, comment croire qu’une telle somme sera trouvée ? En octobre 2024 déjà, des experts mandatés par le Conseil des droits de l’Homme exprimaient leur consternation face au fait que le plan de réponse humanitaire de l’ONU n’avait été financé qu’à hauteur de 50 % par les donateurs et les gouvernements[4]Guerre au Soudan : des experts de l’ONU dénoncent des « tactiques pour affamer » 25 millions de civils, Le Monde, 18 oct. 2024.
Le 17 février 2025, l’ONU a lancé un nouvel appel pour lever 6 milliards de dollars afin de fournir une aide vitale aux Soudanais·es, qu’ils et elles vivent dans ou hors de leurs frontières. Deux hommes avides de pouvoir et leurs alliés motivés par le commerce de l’or et des intérêts géostratégiques sacrifient sciemment une population civile, la vouant à la famine et à la désolation. L’enfant a raison, les adultes font n’importe quoi.

Données socio-démographiques

CAPITALE Khartoum

RÉGIME POLITIQUE Dictature militaire

PRÉSIDENT Général Abdel Fattah Al-Bourhane, à la tête des Forces armées du Soudan et officiellement reconnu à la tête du gouvernement, mais contesté par le Général Mohammed Hamdan Daglo, à la tête des Forces de soutien rapide

LANGUE OFFICIELLE arabe et anglais

POPULATION 50,5 millions d’habitants (2025) 

Plus de 500 groupes ethniques dont : Arabes (70 %), Nubiens, Fours, Bejas, Noubas Fellatah (Fulbé).

DONNÉES MIGRATOIRES Environ 8.8 millions de déplacé·es internes et 3.5 millions de réfugié·es dans les pays voisins

HISTORIQUE

  • 2019 Soulèvement populaire contre la dictature islamique d’Omar Al-Bachir en place depuis 1989 
  • 2021 Renversement du gouvernement de transition démocratique par les deux généraux
  • 2023 Conflit entre les deux généraux provoque une guerre civile qui éclate le 15 avril

ALLIÉS

  • du Général Abdel Fattah Al-Bourhane : Égypte, Turquie, Iran, Quatar, Érythrée
  • du Général Mohammed Hamdan Daglo : Émirats arabes unis, Russie*

* Le dessous des cartes – L’essentiel, Soudan : la Guerre oubliée, Arte, 17.04.2024.

Le HCR a récemment publié une prise de position pour attirer l’attention sur le besoin de protection internationale des personnes originaires du Soudan.


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Notes
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1 Khartoum, documentaire d’Anas Seed, Rawia Alhag, Ibrahim Snoopy Ahmad, Timeea Mohamed Ahmed et Philip Cox, 2025
2 OHCHR, Le Soudan est une poudrière avertit le Haut-Commissaire Volker Türk au Conseil des droits de l’homme
3 Série de reportages parus dans Le Monde en novembre 2024
4 Guerre au Soudan : des experts de l’ONU dénoncent des « tactiques pour affamer » 25 millions de civils, Le Monde, 18 oct. 2024