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Notre regard

Soudan | Accueil en Suisse: une «tradition humanitaire» bien malmenée

MARC BAUMGARTNER

Le 28 février 2024, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) a décrété un « moratoire sur les décisions et l’exécution des renvois » pour les demandes d’asile en provenance du Soudan, avançant la nécessité d’analyser la situation plus en profondeur. Ceci, alors que d’autres instances administratives suisses avaient déjà pris la mesure de la situation. Ainsi du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) qui alertait sur la « crise humanitaire sans précédent » qui frappe le Soudan à l’instar de l’ensemble des instances internationales. Près de dix mois plus tard, le 16 décembre 2024, le SEM a levé le moratoire et repris le traitement des demandes d’asile soudanaises. Sans aucune explication. 

Source: Axel Tschentscher (Via Wikimedia Commons)

Alors que la loi prévoit la possibilité d’octroyer une admission provisoire en cas de guerre et de violence généralisée (inexigibilité du renvoi), la justification du moratoire pose question. Il faut en effet mesurer l’insécurité majeure qu’entraîne cette suspension du traitement des demandes d’asile pour les personnes en quête de protection. Celles-ci se retrouvent dans un vide juridique, sans accès aux mesures d’intégration, avec la crainte d’une détérioration de leur statut, voire d’un renvoi*. En parallèle, elles n’ont pas droit au regroupement familial et restent dans l’angoisse pour leurs proches. Une procédure de réunification qui, au regard de la situation sur place, était déjà extrêmement complexe: l’ambassade suisse à Khartoum est fermée depuis l’été 2023, les personnes dans une procédure de regroupement familial doivent se rendre à Nairobi, à près de 2000 kilomètres de là. 

Révélatrice de la charge psychologique que représente cette incertitude: le 26 novembre 2024, près de la moitié des requérant·es d’asile soudanais·es en procédure en Suisse à ce moment-là se sont rendu·e·s à Berne pour manifester contre la pratique du SEM. Une pratique principalement abordée dans les médias alémaniques (WOZ, die Republik), où la contradiction entre l’attitude de la Suisse face au besoin d’accueil des personnes du Soudan et l’implication d’entreprises helvétiques dans le commerce des matières premières de cette même région a été mise en lumière.

La position des autorités d’asile helvétiques est d’autant plus incompréhensible que la mesure concerne un nombre de personnes très restreint. Au moment du moratoire, 22 demandes d’asile de personnes soudanaises avaient été déposées depuis le début de l’année, et 138 personnes se trouvaient en attente d’une décision. Quant à l’effectif global des Soudanais·es résidant en Suisse avec un permis N, F, ou B, il s’élève à 686 personnes à fin février 2025. Un chiffre qui comprend les personnes présentes avant le déclenchement du conflit, auxquelles s’ajoutent une cinquantaine de naissances. 

En regard de la charge assumée par les pays voisins du Soudan, eux-mêmes en proie à des crises, le nombre d’accueilli·es par la Confédération est dérisoire: le Tchad, le Soudan du Sud, l’Éthiopie, la République centrafricaine et l’Égypte accueillent actuellement deux millions de personnes soudanaises réfugiées, tandis que 8 millions ont été déplacées à l’intérieur du pays. Une constante dans les déplacements forcés: ce sont les pays du Sud et les plus pauvres qui accueillent le plus de réfugié·es.

Lorsqu’un conflit devient plus opaque et complexe, que les informations sont entachées d’incertitude, cela signifie qu’un risque de persécution ne peut être exclu. La Suisse devrait, dans de tels cas, appliquer le principe in dubio pro refugio. De plus, elle devrait enfin suivre le HCR et reconnaître comme réfugié·e·s, au sens de la Convention, les personnes fuyant des persécutions liées à des conflits armés. 


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