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Notre regard

EMPLOI | «Le contexte initial a une empreinte durable sur le parcours d’intégration» 

… ou l’effet des conditions d’accueil sur l’emploi

Pourquoi le canton de Genève a-t-il les taux d’emploi les plus bas parmi les personnes réfugiées ? La question était au cœur de la conférence organisée à Genève par le Bureau de l’intégration et de la citoyenneté (BIC) le 19 mai 2025, qui présentait les résultats d’études mandatées à l’IREG[1]IREG : Institut de recherche appliquée en économie et gestion de l’UNIGE et de la HEIG GE.. Si une analyse quantitative est encore en cours et qu’il est trop tôt pour évaluer l’impact de l’Agenda Intégration Suisse (AIS) sur l’insertion des personnes réfugiées sur le marché du travail, les recherches pointent déjà les conditions-cadres d’arrivée comme déterminantes. Une perspective déconstruisant la croyance que la non-activité serait d’abord voire uniquement due à des facteurs individuels (motivation, compétences, qualifications, etc.)

Source: Ambroise Héritier

Les tendances observées depuis l’introduction de l’AIS sont positives. L’accès au marché du travail se fait plus rapidement pour les personnes réfugiées et titulaires d’une admission provisoire entrées en Suisse dès 2019 par rapport à celles arrivées précédemment. Parallèlement, leur taux d’activité progresse, notamment en ce qui concerne les emplois durables[2]SEM, Situation professionnelle des personnes admises à titre provisoire et des réfugiés, 24 mai 2024. Genève reste néanmoins «la mauvaise élève» du pays de l’aveu même des autorités cantonales, qui cherchent à comprendre comment changer la donne: en 2022, 22% des personnes titulaires d’un permis F ou B réfugié étaient en emploi, contre 44% sur l’ensemble de la Suisse. Un chiffre qu’un des auteurs de l’étude met en vis-à-vis de celui du recours à l’aide sociale. Là, le canton de Genève arrive quasiment aux mêmes moyennes (84%) que celle du pays (80%). Un taux qui dit beaucoup plus de l’autonomie financière – un des objectifs phares de l’AIS  – mais aussi du type d’activité lucrative exercée et de sa durabilité. Devoir recourir à l’aide sociale tout en travaillant est le signe d’emplois précaires, parfois temporaires, et surtout mal rémunérés. L’emploi est donc une condition nécessaire, mais non suffisante pour évaluer l’autonomisation financière des personnes réfugiées. D’ailleurs le SEM le relève: «L’analyse de l’intégration durable dans le marché du travail doit inclure le revenu tiré de l’exercice d’une activité lucrative ainsi que le maintien éventuel de l’aide sociale.» [3]Voir source 2

Comment néanmoins expliquer l’écart entre Genève et le reste de la Suisse? Selon les chercheurs, le chômage structurel – c’est-à-dire l’organisation du travail, les institutions et les pratiques des acteur·trices économiques – est un facteur déterminant[4]Ott, L., Ferro-Luzzi, G. & Massard, J. (2025), Analyse des déterminants macroéconomiques de l’employabilité destitulaires de permis B-réfugié et F dans le canton de Genève – … Lire la suite. Entre autres hypothèses macro-économiques passées en revue (concurrence avec d’autres étranger·ères, titulaires d’autres statuts, le taux de précarité du canton, la structure de l’économie genevoise surtout tertiaire, etc.).

L’AIS, UN PROGRAMME JEUNE PRÉVU POUR LE LE LONG TERME

Lancé en 2019, l’AIS vise à promouvoir l’accès à l’emploi des personnes issues de l’asile pour garantir une autonomie sociale et financière sur le long terme. Face au constat que les moyens étaient insuffisants pour atteindre cet objectif, cantons et Confédération s’étaient alliés pour lancer un programme ambitieux, triplant les forfaits alloués de 6 000 à 18 000 francs par personne, préconisant un véritable accompagnement individuel et misant sur la formation comme levier d’intégration durable.

LA LANGUE, CLEF DE VOÛTE D’UNE INTÉGRATION RÉUSSIE

Les entretiens qualitatifs réalisés dans le cadre d’une étude[5]Massard, J. Ott, L. & Ferro-Luzzi, G. (2025). Analyse des blocages à l’insertion socio-professionnelle des titulaires de permis B-réfugié et F dans le canton de Genève – … Lire la suite montrent que bon nombre de freins perçus uniquement comme individuels sont amplifiés par des contraintes administratives ou structurelles. 

Alors que la maîtrise de la langue est une condition première à l’accès à l’emploi, son apprentissage est conditionné aux offres cantonales: accès limité à des cours de qualité à l’arrivée, périodes d’attente entre les mesures, manque d’opportunités permettant de pratiquer la langue au quotidien. Autant de facteurs qui retardent l’insertion professionnelle.

UN IMPACT DURABLE DÈS L’ARRIVÉE

Une solution simple et efficace consisterait à attribuer les requérant·es d’asile francophones aux cantons romands pour augmenter leur chance de trouver un emploi, rappellent deux autres expert·es du nccr —on the move[6]Müller, T., Pannatier, P. & Viarengo, M. (2023) Labor market integration, local conditions and inequalities : Evidence from refugees in Switzerland, World Development, 170,106288 venu·es présenter l’état de la recherche. Des études qui concordent à montrer que «le contexte d’arrivée a une empreinte durable sur le parcours d’intégration», insiste Pia Pannatier, docteure en économie. Ainsi, un·e francophone a entre 10,9 et 11,5 points de pourcentage de chances supplémentaires de trouver un emploi en Suisse romande que dans un canton non francophone. De même, une hausse de 3 points du taux de chômage dans un canton entraîne une baisse de 7 points de la probabilité d’emploi pour les réfugié·es qui y arrivent par la suite. Et l’effet se ressent encore 15 ou 20 ans après l’arrivée. D’autres facteurs comme l’attitude de la population, la présence initiale de co-nationaux pèsent également sur la probabilité de trouver un emploi.

L’INTÉGRATION DEMANDE DU TEMPS… ET DES RESSOURCES 

Pour construire les bases d’une intégration durable, il est crucial d’offrir un accompagnement de qualité dès l’arrivée. Si l’Agenda Intégration Suisse (AIS) a marqué un réel changement de paradigme, ce processus demande du temps et des ressources. Or, cinq ans après sa mise en place, il est remis en question par le programme d’allègement budgétaire 2027 qui touche de plein fouet son principe fondamental «un emploi grâce à une formation». En freinant l’accès aux hautes écoles et en réduisant drastiquement les forfaits alloués aux cantons, le Conseil fédéral fait machine arrière. D’autant qu’il présuppose dès lors que les personnes devraient trouver un emploi dans les trois ans après leur arrivée. Présupposé qualifié par l’OSAR d’«irréaliste»[7]OSAR, Loi fédérale sur le programme d’allégement budgétaire 2027, 5 mai 2025. Lire aussi HCR, Des coupes disproportionnées dans le domaine de l’asile, 1er mai 2025, «comme le montrent clairement les efforts intensifs déployés récemment pour augmenter le taux d’emploi des personnes au bénéfice du statut de protection S».

Le risque de ces mesures d’économie? Une précarisation des emplois et une probable hausse du recours à l’aide sociale sur le long terme. Il est donc essentiel de maintenir le cap, car on est dans une progression constante, rappelle graphiques à l’appui[8]SEM, Situation professionnelle des personnes admises à titre provisoire et des réfugiés, 24 mai 2024, Tindaro Ferraro, chef de la section intégration professionnelle du Secrétariat d’État aux migrations (SEM), pour qui il s’agit de continuer à promouvoir l’emploi à travers la formation. Avant d’envisager un démantèlement de l’AIS, une véritable évaluation de son impact s’impose. Car privilégier des économies à court terme risque à terme de coûter plus cher sur le plan économique et social.

Valentine Schmidhauser, collaboration Sophie Malka


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Notes
Notes
1 IREG : Institut de recherche appliquée en économie et gestion de l’UNIGE et de la HEIG GE.
2 SEM, Situation professionnelle des personnes admises à titre provisoire et des réfugiés, 24 mai 2024
3 Voir source 2
4 Ott, L., Ferro-Luzzi, G. & Massard, J. (2025), Analyse des déterminants macroéconomiques de l’employabilité destitulaires de permis B-réfugié et F dans le canton de Genève – Comparaisons intercantonales, IREG
5 Massard, J. Ott, L. & Ferro-Luzzi, G. (2025). Analyse des blocages à l’insertion socio-professionnelle des titulaires de permis B-réfugié et F dans le canton de Genève – Investigation du dispositif AIS, IREG
6 Müller, T., Pannatier, P. & Viarengo, M. (2023) Labor market integration, local conditions and inequalities : Evidence from refugees in Switzerland, World Development, 170,106288
7 OSAR, Loi fédérale sur le programme d’allégement budgétaire 2027, 5 mai 2025. Lire aussi HCR, Des coupes disproportionnées dans le domaine de l’asile, 1er mai 2025
8 SEM, Situation professionnelle des personnes admises à titre provisoire et des réfugiés, 24 mai 2024