Décryptage | Nombre de personnes réfugiées et capacités d’hébergement cantonales
Elodie Feijoo, asile.ch
À la suite d’un article publié dans le SonntagsZeitung, plusieurs médias romands ont repris l’information selon laquelle la Suisse compte un nombre «historique» de réfugié·es (Le matin; 20 minutes, 24 heures). Ceci résulterait en une situation «tendue» dans les cantons. Vraiment? Selon nos recherches, il semblerait que ce soit plutôt l’expiration prochaine de contrats de location d’hébergements temporaires, ainsi que des inégalités dans l’offre d’hébergement entre cantons qui explique la situation dans les cantons. Explications.
Deux définitions, deux chiffres
Deux chiffres ont été mentionnés dans les médias: 200’000 réfugié·es vivant en Suisse, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), et 100’000 personnes reconnues comme réfugiées par les autorités suisses. Si les articles ont insisté sur le caractère inédit de ces nombres, peu ont expliqué pourquoi les deux divergent autant. La clé réside dans la définition du terme «réfugié». Le HCR inclue dans son calcul les personnes empêchées de retourner dans leur pays en raison de la guerre ou de situations de violence généralisée. Cette acception du terme «réfugié» n’est pas reconnue en Suisse ni dans les autres pays européens. La législation européenne prévoit une «protection subsidiaire» pour les personnes n’étant pas éligibles au statut de réfugié mais risquant des atteintes graves à leur intégrité (risque de peine de mort, de torture, de traitement inhumain ou dégradant, ou risque lié à la guerre ou à une situation de violence généralisée). La loi suisse ne prévoit qu’une «admission provisoire» (permis F) pour inexigibilité du renvoi, lorsque celui-ci mettrait «l’étranger·e concrètement en danger par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ». Depuis 1998, il existe dans la loi suisse un statut de «personne à protéger» (permis S) permettant d’offrir une protection collective à un groupe déterminé pour la durée d’une menace grave. Il a été activé pour la première fois en mars 2022 sur décision du Conseil fédéral pour les personnes fuyant l’Ukraine.
Des niveaux «historiques» chaque année
Précisons d’abord que ces chiffres représentent des effectifs, c’est-à-dire le nombre total de personnes présentes à un moment donné. Il ne s’agit pas du nombre de demandes d’asile qui lui est en baisse, par rapport à la même période l’année dernière. Une augmention d’effectifs, ce n’est pas une surprise. La succession de conflits, et leur durée prolongée, empêchent souvent les personnes réfugiées de rentrer chez elles: les effectifs s’accumulent donc au fil du temps. La question à se poser est: sommes-nous cette année face à une situation exceptionnelle? Selon les données du HCR, chaque année depuis 2017 affiche un «niveau historique». Présenter cette donnée comme une nouveauté peut ainsi donner l’impression erronée d’une situation extraordinaire, alimentant le mythe d’une prétendue invasion. L’information en elle-même est factuellement correcte, mais elle n’a rien d’inédit : le même constat aurait pu être dressé l’année dernière, ou les années précédentes, car la tendance à la hausse est continue depuis 2017.
Quel impact sur la situation dans les cantons?
La couverture médiatique a souligné une situation «tendue» dans de nombreux cantons, attribuée au «grand nombre de réfugiés» (Source: Le matin; 20 minutes). Ces articles citaient notamment le président de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS). Afin de vérifier ces informations, asile.ch a contacté la CDAS pour obtenir des précisions sur la situation réelle dans les cantons. Le graphique ci-dessous montre qu’à la semaine 41 de l’année 2025, les cantons disposaient d’environ 6 609 places d’hébergement libres. Ce chiffre est comparable à celui observé à la même période l’an dernier, et proche des niveaux enregistrés en 2023 et 2022.

La tension actuelle ne réside donc pas dans le nombre absolu de personnes réfugiées, contrairement à ce que mentionnent certains articles. Elle découle plutôt de deux facteurs principaux :
- l’expiration prochaine de plusieurs contrats de location d’hébergements temporaires, qu’il faut renouveler ou remplacer par de nouveaux contrats;
- inégalités dans l’offre d’hébergement entre cantons: saturation dans certains, disponibilités dans d’autres.
Il existe donc bien un réel enjeu pour les cantons, mais le problème principal n’est pas le nombre élevé de réfugié·es mais la gestion et la pérennisation des places d’hébergement.
Après la sortie d’un centre fédéral d’asile, comment se passe l’attribution aux cantons?
Pour l’attribution aux cantons, la facilité d’intégration sociale et économique, y compris les compétences linguistiques, ne sont
pas prises en compte. L’attribution est aléatoire et basée sur une clef de répartition inter-cantonale proportionnelle à la population (voir article 21 de l’Ordonnance sur l’asile pour les détails), avec la seule exception du principe d’unité de la famille nucléaire. Si l’hébergement des personnes réfugiées vous intéresse, vous pouvez écouter l’enregistrement d’un point presse organisé par asile.ch et le nccr-on-the move sur ce sujet le 28.09.23.
© Image d’illustration de l’article: Photo de Markus Krisetya sur Unsplash