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Notre regard

L’édito | Parlement fédéral, quand l’inefficacité fait système

Sophie Malka

« En matière de politique d’asile, nous sommes confrontés à un processus de révision permanente avec un effet de vis sans fin: plus on essaie de resserrer les boulons, moins on s’approche d’une solution raisonnable »

En 2011, pour ses 25 ans, notre revue publiait un article signé par deux élu·es fédéraux. Anne-Catherine Menétrey et Luc Recordon analysaient la façon dont le Parlement fédéral façonne la loi sur l’asile.[1]Anne-Catherine Menétrey, Luc Recordon, « Le tortueux parcours du processus législatif », Vivre Ensemble n° 131 / février 2011. Nous recommandons vivement la (re)lecture des textes parus durant … Lire la suite « Ce qui frappe dans ce processus, c’est que l’inefficacité avérée des stratégies dissuasives pousse la majorité à les renforcer, selon la théorie absurde qu’un peu plus du même finira par payer ! »

15 ans après, on en est encore là : morcellement des décisions, fuite en avant, dispositions « extrémistes » normalisées par une majorité plus soucieuse de l’effet médiatique et électoral que de l’efficacité et des conséquences réelles des lois.

Prenons les interdictions de voyage faites aux titulaires d’admissions provisoires (permis F). (p. 2) À quel objectif rationnel répondent-elles à part « pourrir » la vie des personnes concernées et les faire se sentir des citoyens de seconde zone (p. 5) ? Le maintien de la liberté de circuler pour les réfugié·es d’Ukraine témoigne à lui seul de l’inanité de ce durcissement de la loi, en plus de son caractère discriminatoire. (p. 6)

Les motions visant à prolonger de 5 à 10 ans le délai pour demander la transformation d’un permis F en permis B relèvent d’une même « logique »[2] Le processus législatif vient de démarrer. Il sera probablement traité au Conseil des États lors de sa session de printemps 2026. (voir p. 21) . Dans un arrêt récent [3]ATF 2C_64/2025 (voir p. 9) , le Tribunal fédéral rappelle les motifs pour lesquels la justice genevoise a estimé qu’un homme bien intégré avait droit à une autorisation de séjour à la place d’une admission provisoire : « celle-ci rendait sa position sur le marché du travail plus difficile et impliquait des contraintes en matière de mobilité internationale. » Cet arrêt a surtout été retentissant, car il condamne (enfin) l’exigence d’un passeport pour valider cette transformation de statut : une pratique contraignant les Érythréen·nes à faire allégeance au régime qu’ils et elles ont fui en signant une lettre « de regret » pour obtenir ce document. (p. 9)

Pour revenir aux travaux parlementaires, prolonger de 5 ans les restrictions liées au permis F aura un coût sociétal, au-delà de porter préjudice aux personnes visées. Rappelons-le: on parle majoritairement de réfugié·es de guerre qui restent durablement en Suisse. Les empêcher de contribuer pleinement à la vie sociale et économique n’apporte rien à la collectivité. Les cantons seraient bien inspiré·es de le dire à leurs représentant·es du Conseil des États : l’ascension professionnelle, c’est plus de recettes fiscales et moins d’aide sociale en cas d’emplois précaires ou de chômage…

Incohérences hier, incohérences toujours ? À nous de rappeler que l’état actuel du droit ne constitue pas une fatalité. Que les va-et-vient de la loi n’ont jamais pesé sur les causes de la fuite ni sur les arrivées en Suisse. Et de débusquer les fausses promesses faites à la population. 

Comme le souligne Danielle Othenin-Girard, une des plus anciennes membres du comité (p. 26), la société civile joue un rôle essentiel pour faire valoir à Berne les préoccupations des réfugié·es, mobilisé·es pour défendre leurs droits. Le défi est de convaincre, au-delà des convaincu·es.


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Notes
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1 Anne-Catherine Menétrey, Luc Recordon, « Le tortueux parcours du processus législatif », Vivre Ensemble n° 131 / février 2011. Nous recommandons vivement la (re)lecture des textes parus durant le 25e, à découvrir ici
2 Le processus législatif vient de démarrer. Il sera probablement traité au Conseil des États lors de sa session de printemps 2026. (voir p. 21)
3 ATF 2C_64/2025 (voir p. 9)