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Le Courrier | Genève: La triple peine des femmes sans-papiers

Le syndicat SIT dénonce des pratiques policières qui réduisent les femmes sans statut légal et victimes de violences au silence face à la justice et les menacent d’expulsion. À Genève, porter plainte pour violences peut conduire à une menace d’expulsion lorsqu’on est sans-papiers. Alors que la Convention d’Istanbul impose la protection des victimes, plusieurs femmes dénoncent une pratique policière qui les traite comme des délinquantes plutôt que comme des personnes à protéger. Entre devoir légal et violence institutionnelle, l’État faillit-il à ses engagements ? Nous relayons ci-dessous l’article « Genève: La triple peine des femmes sans-papier » paru le 24 septembre dans Le Courrier.

Licence Unsplash

La triple peine des femmes sans-papiers

Article paru le 24 septembre 2025 dans Le Courrier.

Le syndicat SIT dénonce des pratiques policières qui réduisent les femmes sans statut légal et victimes de violences au silence face à la justice et les menacent d’expulsion.

«Violentées, condamnées, expulsées. C’est la triple peine des femmes sans-papiers victimes de violences à Genève», s’insurge Ximena Osorio Garate, secrétaire syndicale du Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs (SIT). Mercredi, cinq femmes ont témoigné des menaces d’expulsion qui pèsent sur elles après avoir porté plainte pour violences ou avoir été contrôlées par la police à la suite d’accidents. Pour le SIT, les choses sont claires: la police traite ces victimes comme des
criminelles plutôt que de les protéger.

Sous la menace d’expulsions

Les cinq femmes soutenues par le SIT ont raconté avec beaucoup d’émotion leurs calvaires devant la presse. Daniela* a vécu l’enfer durant plusieurs années. Venue rejoindre son compagnon, également sans-papiers, avec leur enfant de 6 mois en 2018, elle a subi des violences physiques et psychiques. «Il m’a tapée, menacée avec un couteau et une arme à feu devant nos deux enfants.» Elle le dénonce et se réfugie dans un foyer. Le temps de la procédure, Daniela obtient un permis provisoire, révoqué après la condamnation de son ex-conjoint. Les autorités lui enjoignent de quitter la Suisse. Mais elle craint de retrouver son
bourreau, sorti de prison depuis, dans son pays d’origine, dans lequel elle ne sera pas protégée.
Pour Luciana, tout a commencé quand son colocataire a tenté de la violer. Elle n’a rien osé dire, de peur de l’expulsion. Mais l’homme, renvoyé du logement, la dénonce pour séjour illégal. «A la police, on ne m’a jamais laissé parler de ces violences. On m’a dit de me limiter à répondre aux questions concernant mon statut», explique-t-elle.

Accidents et détention

Comme elles, Esperanza a subi deux relations violentes. Après avoir dénoncé la première, elle et sa fille ont été détenues durant huit heures, à des fins d’interrogatoire. Elle ne portera plainte qu’un mois après. Si son agresseur a bien été condamné, elle a été sommée de partir. Plusieurs années après, une deuxième relation débouche à nouveau sur des violences. Elle précise que c’est son conjoint qui l’a dénoncée à la police.
Pour Amélia et Alejandra, ce sont deux accidents qui ont transformé le cours de leur existence. La première, âgée de 60 ans, a été régularisée lors de l’opération Papyrus, mais a peiné ensuite à renouveler son titre de séjour. Aussi, lorsque le bus freine violemment, occasionnant des blessures à plusieurs passager·ères, elle est contrôlée par la police. «Quand ils ont vu que je n’avais pas de papiers, ils ne se sont plus intéressés qu’à cela. Le reste des blessés a été emmené à l’hôpital, mais
pas moi», souligne la femme, qui s’y est rendue le lendemain. Apeurée, elle n’a plus répondu à la police et s’est rendue auprès du SIT.
Quant à Alejandra, elle a été renversée par un vélo alors qu’elle promenait en poussette le nourrisson dont elle s’occupait comme nounou et son fils. «Ils ont laissé le cycliste repartir après qu’il a laissé ses coordonnées.» Contactés, ses employeurs sont venus chercher leur bébé. Alejandra, elle, a passé des heures au poste, pour répondre de son statut légal. «Ils me demandaient où j’habitais, si j’habitais avec d’autres personnes.» Elle dit également avoir été privée de soutien-gorge, la
laissant en débardeur, et humiliée par les policiers.

Des travailleuses

Aujourd’hui, trois de ces cinq femmes ont reçu des ordres d’expulsion. Pour les autres, ce n’est qu’une question de temps, relève le SIT. «Alors que ce sont des travailleuses qui participent à la prospérité du canton», souligne Mirella Falco, secrétaire syndicale. Le SIT s’indigne qu’elles soient traitées en criminelles et pas en victimes pour le seul fait de se trouver en situation irrégulière. Il exige un changement de pratiques de la police et rappelle que le protocole en vigueur postule la protection des
victimes.
«Nous voulons que les deux procédures, violences et statut, soient dissociées», détaille Blerta Tolaj, juriste au SIT. «La police n’a pas à demander le statut de la personne, renchérit Ximena Osorio Garate. La pièce d’identité doit suffire pour la procédure.» Elles en veulent pour preuve la pratique du Tribunal des prud’hommes et que le Ministère public, renonçant à poursuivre une femme dans un cas similaire, notait qu’il «convient d’éviter, qu’à l’avenir, une victime de violence se mure dans le silence du fait de son séjour illégal». Enfin, la Suisse est signataire de la Convention d’Istanbul. Pour le SIT, ces situations constituent une violence d’Etat et garantissent l’impunité des agresseurs.

Respect de la loi

Clairement attaqué, le Département des institutions et du numérique a répondu avoir repris la procédure policière avec le Ministère public, dans l’esprit de la convention d’Istanbul, après un cas similaire en 2024. «Les personnes sont d’abord entendues en tant que victimes et traitées comme telles indépendamment de leur statut. Ces personnes seront néanmoins
reconvoquées ultérieurement pour traiter de leur situation selon la Loi sur les étrangers et l’intégration.»
Carole-Anne Kast, magistrate chargée du DIN, affirme avec fermeté: «On ne peut pas demander aux autorités cantonales de violer le droit fédéral même si celui n’est pas adéquat face à ces situations.» Et de rappeler que le canton a demandé une modification de la loi dans le cadre d’une consultation fédérale.

*Toutes ces femmes ont témoigné anonymement

Maria Pineiro, journaliste au Courrier