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Notre regard

Le Courrier | Affaire Musa: «Genève doit rester une ville-refuge»

Le renvoi en Croatie de trois frères et soeurs de la famille Musa continue d’indigner. Leurs soutiens, dont le conseil administratif de la Ville de Genève, dénoncent l’«exécution aveugle» des décisions fédérales par le Conseil d’Etat.

Article d’Aline Zuber, publié le 14 septembre 2016 dans le Courrier. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Solidarité Tattes ainsi que différentes personnalités politiques membres du Conseil administratif de la Ville de Genève -dont Rémy Pagani (Solidarités), Sandrine Salerno (PS) et Esther Alder (Verts)- ont vivement dénoncé, lors d’une conférence de presse, le renvoi des trois aînés de la fratrie Musa, expulsés mercredi dernier en Croatie par vol spécial. Étaient également présentes Carole-Anne Kast, maire d’Onex et présidente du Parti socialiste genevois, ainsi que Frédérique Perler, député verte.

Une application «dénuée de bon sens»

Le groupe de soutien a rappelé sa persévérance dans la lutte contre les renvois «absurdes et inhumains» effectués par les autorités en vertu d’une application des accords de Dublin jugée «sans aucune marque de bon sens». Notons que lors de leur périple depuis la Syrie, les Musa n’avaient passé que deux heures en Croatie, le temps de traverser ce pays dans lequel ils n’ont aucune attache.

«Le problème majeur ne réside pas fondamentalement dans les accords de Dublin, mais dans ce que la Confédération et le Secrétariat d’Etat aux Migrations (SEM) en font», a déclaré Mme Kast, juriste de formation. Et d’insister sur l’article 17 du Règlement Dublin III qui laisse aux Etats signataires une marge de manœuvre permettant de favoriser le rapprochement des familles. «Cela fait aussi partie du droit, n’en déplaise à certains», ajoute-t-elle. Pour rappel, seul Redur, benjamin  de la fratrie, a pu rester à Genève auprès de sa tante qui y vit depuis dix ans.

Tradition d’accueil mise à mal

Le Conseil administratif –dans sa majorité- a réitéré son soutien à la famille kurde syrienne. Une lettre a parallèlement été envoyée au Conseil d’Etat lui demandant de reconsidérer le cas Musa ainsi que l’application des accords de Dublin. L’exécutif municipal rappelle également la tradition genevoise en matière de droits humains et d’accueil. «Genève se targue de cet aspect de son identité remontant à la Réforme. Elle se doit donc aujourd’hui de lui faire honneur», a affirmé Mme Salerno.

Pour son collègue Rémy Pagani, «il est exclu de voir cette cité-refuge se transformer progressivement en plateforme de refoulement. Quelque chose ne joue pas au sein des politiques d’asile fédérale et cantonale». Aude Martenot, membre de Solidarités, a parallèlement dénoncé la violence employée par les forces de l’ordre envers la fratrie lors de son renvoi, et notamment le ligotage de l’une des deux sœurs au cours de son voyage à destination de l’aéroport de Zurich (lire ci-dessous).

La «frilosité» du Conseil d’Etat critiquée

Le groupe de soutien aux Musa déplore une réaction trop tardive de certains conseillers d’Etat face à la menace d’expulsion brandie par Berne. Selon Martine Félix, de Solidarité Tattes, «une prise de position plus rapide et plus ferme aurait pu permettre de stopper la procédure de renvoi». Marie-Claire Kunz, juriste de la Coordination asile, regrette «que le Conseil d’Etat se place de plus en plus en tant qu’exécutant des autorités fédérales sans user de sa marge de manœuvre».

Même constat pour Carole-Anne Kast qui regrette une trop forte mainmise de la Confédération sur des autorités cantonales manquant de «courage politique»: «Si l’on veut appliquer les décisions fédérales de manière aveugle, il serait préférable de remplacer les conseillers d’Etat par des préfets.»

L’ainé, Walat, témoigne

Contacté par téléphone à Zagreb, l’ainé des frères et sœurs Musa, Walat, raconte les conditions de leur renvoi et la situation sur place.

Depuis l’arrestation devant l’OCPM tout a été très vite, trop vite. Coupés de leur famille et surtout de leur frère Redur, le jeune homme de 25 ans et ses soeurs ont été transférés de nuit à Zurich. Il explique qu’ils ont été entravés et que ses sœurs en ont gardé des séquelles physiques.

Appelé à s’exprimer sur ce sujet, le Département de la sécurité et de l’économie (DSE) ne souhaite pas commenter ce cas particulier mais affirme qu’une telle situation n’a pas été portée à sa connaissance, et de rajouter que «l’accompagnement des personnes amenées à être renvoyées de Suisse se fait de la manière la plus humaine possible».

Pour Walat, les conditions sur place sont difficiles. La prise en charge semble minime: le simple fait de voir un médecin serait une épreuve. Les jeunes kurdes de Syrie n’entrevoient aucune possibilité d’avenir en Croatie: «Notre seul avenir est à Genève, nous ne demanderons jamais l’asile dans ce pays qui nous est totalement étranger.»

Le cadet de la fratrie, Redur, a pu, quant à lui, rester en Suisse, étant mineur au moment de sa demande d’asile. Intégré en classe d’accueil, il n’a cependant pas la tête à ça. Son seul désir est de revoir au plus vite ceux avec qui il a vécu le pire sur la route de l’exil. «J’aimerais les rejoindre, mais mes papiers (un permis N, ndlr) ne me permettent pas de sortir du pays.»

QUENTIN PILET