Témoignage | L’aide d’urgence a-t-elle un sens quand elle se prolonge?
L’aide d’urgence constitue un ensemble de prestations accordées aux requérants d’asile exclus de l’aide sociale. Elle concerne, depuis le 1er avril 2004, les personnes frappées d’une non-entrée en matière (NEM) et, depuis le 1er janvier 2008, les déboutés de l’asile. Cette aide, comme son nom l’indique, est prévue pour une situation temporaire. Elle procure un minimum, censé garantir des conditions matérielles d’existence. Ce minimum est toujours plus contesté, dans la mesure où il tend à durer plusieurs années.
Au-delà de quelques mois, l’aide d’urgence ne permet pas de vivre décemment et dignement. C’est d’ailleurs son objectif: outre des économies sur le budget de l’asile, la mesure cherche à inciter les personnes soumises à ce régime à quitter le territoire suisse le plus rapidement possible.
La réalité ne remplit de loin pas le but poursuivi. Ceux qui retournent effectivement dans leur pays d’origine sont peu nombreux. Plusieurs choisissent de disparaître dans la clandestinité ; d’autres, en dépit de conditions de vie extrêmement difficiles, préfèrent demeurer en Suisse. Actuellement, à Genève, quatre personnes frappées d’une NEM, se trouvent dans cette situation depuis 2004.
Cissé (prénom d’emprunt) témoigne de cette situation:
«On vit ainsi parce qu’on n’a pas le choix. Quand on arrive ici, ce n’est pas comme on avait pensé. Alors on ne sait que faire.»
Sentiment d’abandon
L’état d’abandon dans lequel sont laissées les personnes à l’aide d’urgence concerne aussi bien l’entretien des bâtiments dans lesquels elles sont logées que le manque d’information concernant ce qu’elles sont en droit d’obtenir. A titre d’exemple, plusieurs ignoraient qu’elles avaient la possibilité de rencontrer un assistant social, ou, plus pratiquement, qu’elles pouvaient réclamer les produits d’hygiène indispensables ainsi que des bons pour des vêtements.
Chez Cissé, qui a accepté de se confier, transparaît le désarroi face à la non-maîtrise de son destin: «Ici, on n’est pas bienvenus et chez nous c’est pire ! Certains font des «conneries», d’autres pas. Mais on en subit tous les conséquences. La police arrive à 3h du matin. Ils ouvrent toutes les portes des chambres et on ne peut plus dormir. J’essaie d’éviter ceux qui tournent mal. Mais rester tout seul avec ses idées, ça ne change pas non plus la vie.»
Insécurité et inactivité
Un fort sentiment d’insécurité, alimenté par ce manque d’information mais aussi par l’incertitude, les rumeurs de renvoi imminent, provoque de profonds dégâts auprès des personnes vulnérables. Un jeune Nigérian de 26 ans, malvoyant, a préféré s’enfuir une semaine avant l’ intervention médicale programmée qui lui aurait permis de récupérer la plus grande partie de sa vue. La peur d’être refoulé dans son pays était trop forte.
L’inactivité forcée est également néfaste, particulièrement pour des jeunes qui ont dépassé l’âge de la scolarité obligatoire. Un garçon de 17 ans a attendu 10 mois une décision qui va lui permettre d’intégrer le SCAI.
Avoir un projet de vie…
Aux yeux de Cissé, «pour tenir le coup, il faut avoir quelque chose à faire, à espérer, il faut connaître des gens. Ceux qui s’en sortent n’habitent pas au foyer, mais sont hébergés par des amis. La plupart disparaissent, on ne sait pas où. Parfois, certains reviennent et cela recommence pour un moment. Je vis comme cela, moi aussi, depuis 5 ans, avec des moments où j’espère m’en sortir et des moments où cela va très mal.»
…pour « tenir le coup »
Il faut encore ajouter de nombreuses tracasseries administratives inutiles. Un exemple parmi beaucoup d’autres: on oblige le père d’une famille de 6 enfants à se rendre à l’OCP, avec son fils aîné adulte, chaque semaine depuis une année, pour faire tamponner la pièce de légitimation demandant l’aide d’urgence.
Tout semble être fait pour pourrir davantage une situation déjà difficile. C’est oublier que la Constitution suisse garantit à toute personne en détresse le droit d’être aidée et assistée afin de recevoir les moyens de mener une existence conforme à la dignité humaine.
Nicole Andreetta