Décryptage | Neuchâtel: La « mutation » des centres d’accueil
Écartés des villages et des zones urbaines, exclus de l’aide sociale et caritative, les requérants d’asile sont, dans les faits, mis au ban de la société. Conséquences de plus en plus visibles du durcissement du droit d’asile. Le cas neuchâtelois.
Est-ce un hasard si les actuels deux centres d’accueil du canton de Neuchâtel sont situés en zone périphérique, l’un à Couvet, dans le Val-de-Travers, l’autre à Fontainemelon, dans le Val-de-Ruz? D’après une récente étude* publiée dans Géo-Regards, revue neuchâteloise de géographie, «ces choix de localisation s’expliquent majoritairement par la disponibilité d’infrastructure pouvant rapidement être transformées en centre d’accueil». Romaric Thiévent, auteur de l’étude, s’est entretenu avec des représentants des autorités cantonales et communales et consulté de nombreux documents. On ne trouve cependant pas trace dans son travail d’avis émanant d’associations ou d’autres groupe de personnes liés à la défense des réfugiés ou du droit d’asile, encore moins de réfugiés eux-mêmes.
Depuis 1986, tous les sites d’accueil sont situés à distance respectable des zones urbaines et même le plus souvent à l’écart des villages qui les accueillent (voir encadré). Ce n’est qu’en deuxième phase que les requérants sont installés dans des logements essentiellement à Neuchâtel, à La Chaux-de-Fonds et au Locle.
Changement de cap
L’Office social de l’asile (OSAS) estime que la période passée par les requérants dans les centres d’hébergement doit leur permettre «d’y acquérir quelques connaissances de la langue française ainsi que les us et coutumes suisses». On peut douter que cette « mission » soit accomplie dans les meilleures conditions. Et pas seulement à cause de l’isolement géographique!
Le canton de Neuchâtel, historiquement pays d’immigration, a jusqu’à peu été considéré comme étant parmi les plus « humains » dans le traitement des demandes d’asile. Mais il n’a pas échappé aux ravages dus à l’introduction de la loi votée par le peuple le 24 septembre 2006 qui généralise notamment l’exclusion de l’aide sociale à tous les demandeurs d’asile déboutés.
La volonté fédérale de mener une politique de dissuasion porte ses fruits. On prendra pour exemple la démarche entravée de quelques citoyens des Hauts-Geneveys qui avaient constitué un groupe de soutien aux réfugiés logés durant l’hiver 2008-2009 dans leur abri PC. Ils voulaient d’abord faire preuve de solidarité envers eux, mais aussi démontrer que l’hostilité, parfois véhémente, manifestée par une partie de la population, ne reflétait pas l’opinion générale. Ils ont pu, quelque temps, leur apporter un peu d’aide matérielle et morale, en organisant des loisirs, des promenades, récoltant des habits et du matériel pour améliorer un « confort » plus que précaire. La responsable du centre, soucieuse de respecter les nouvelles directives a rapidement mis fin à leur action.
Aujourd’hui, un peu mieux lotis dans leur ferme de Fontainemelon, les requérants ne bénéficient plus que sporadiquement et le plus souvent individuellement et en catimini de ce soutien spontané. Un nouveau règlement, entré en vigueur l’an dernier, oblige les responsables à une stricte observation de celui-ci. Ceux-là même qui, pendant des années, se sont efforcés de rendre le séjour dans les centres le moins désagréable possible voient leurs efforts anéantis par ces durcissements.
Le responsable du centre de Couvet, unanimement apprécié par la manière dont il menait la barque, est actuellement en congé-maladie. Les deux centres de Couvet et Fontainemelon sont momentanément placés sous la baguette d’une seule personne: celle-là même qui, aux Hauts-Geneveys, a mis des bâtons dans les roues du groupe de soutien.
L’étude citée plus haut n’avait pas pour objet de démontrer la qualité de l’accueil des réfugiés dans le canton. Il s’agit d’une analyse scientifique visant à établir des critères objectifs de localisation. Son auteur relève toutefois qu’il «n’est pas exclu que les autorités cantonales ou communales s’accommodent volontiers d’une mise à l’écart des requérants d’asile».
Il cite aussi un représentant de l’OARA (Office d’accueil des requérants d’asile) qui a géré les centres d’accueil jusqu’en novembre 2005: «S’il y a lieu de prendre des mesures visant à dissuader les requérants d’asile potentiels ou à limiter l’intégration de ceux qui ont accès à la procédure, elles doivent être prises au niveau de la Confédération. Mais dès lors qu’un requérant d’asile est attribué au canton de Neuchâtel, autant pour sa dignité que pour la nôtre, il n’y a pas de raisons de le pénaliser de quelques manières que ce soit.»
Paroles de sage prononcées bien avant le durcissement de la loi et dont on aimerait bien qu’elles inspirent certains responsables actuels.
Claude Joly
* Migrations contemporaines
Géo-Regards, Revue neuchâteloise de géographie, n°2, 2009
Ouvertures et fermetures
Le premier centre d’accueil du canton ouvre en 1986 aux Verrières (à 3 km du village), à l’extrémité ouest du Val-de-Travers, à deux pas de la frontière française. Il ferme ses portes en 2005. En 1990, pour faire face à l’arrivée massive de requérants provenant de l’ex-Yougoslavie, deux centres voient le jour. Le premier dans le hameau de La Prise-Imer, sur le territoire de la commune de Rochefort, fermé en 1994, il est réutilisé entre 1999 et 2004. Le second est installé à Couvet, au centre du Val-de-Travers. Il est l’un des deux centres encore en activité, mais il est mis en veille entre 1999 et novembre 2004.
De juin 1999 à juin 2000, l’afflux massif de réfugiés kosovars nécessite l’ouverture d’un autre centre à Fontainemelon, dans le Val-de-Ruz. Celui-ci, situé dans une ancienne ferme, accueille depuis août 2009 des réfugiés qui étaient, dès décembre 2008, hébergés à quelques kilomètres de là, dans l’abri de protection civile de la commune des Hauts-Geneveys.
Claude Joly