Rapport sur les mesures d’accélération des procédures | Pas de quoi se réjouir!
Le nouveau rapport du Département Fédéral de Justice et Police sur les mesures d’accélération dans la procédure d’asile a été salué tant par la gauche que par la droite, et par la principale organisation nationale de défense des réfugiés, l’OSAR. Un consensus surprenant: une lecture attentive du rapport en question laisse craindre de nouveaux durcissements drastiques dans le domaine de l’asile.
Que propose concrètement le projet? Une première étape transitoire mise sur l’entrée en vigueur à brève échéance des durcissements de la LAsi proposés par Mme Widmer-Schlumpf: exclusion des déserteurs, raccourcissement des délais de recours à 15 jours sans assistance juridique gratuite, suppression des demandes d’asile à l’ambassade . Aucune des mesures préconisées par l’ex-représentante de l’UDC à la tête du DFJP n’a semblé disproportionnée à la nouvelle Conseillère fédérale socialiste. Pire, celle-ci propose de les renforcer par des révisions transitoires additionnelles, qui s’attaquent directement à l’octroi de l’admission provisoire.
L’admission provisoire en péril
En effet, près de la moitié des décisions positives rendues par l’ODM et le Tribunal Administratif Fédéral octroie l’admission provisoire à des demandeurs d’asile considérés comme réfugiés de la violence ou pour des motifs médicaux -qui résultent souvent de traumatismes subis. Dorénavant, ces derniers se verront proposer un examen médical dès l’arrivée en Suisse. Si les problèmes médicaux sont identifiés, ils pourront par la suite les invoquer dans leur procédure. Dans le cas contraire, ces motifs médicaux seront jugés non crédibles, car tardifs. La suite de la procédure - la décision de renvoi et son exécution, qui peut induire la privation de soins médicaux vitaux - dépendra donc uniquement de l’état de santé établi en début de procédure, sauf exception.
Dans la pratique, les problèmes de santé sont rarement identifiés à l’entrée en Suisse, en particulier ceux d’ordre psychique, fréquents chez les victimes de violences. La raison en est simple : encore faut-il que les intéressés eux-mêmes parviennent à exprimer leur mal-être en toute confiance et à relater les événements à l’origine de celui-ci. Un cheminement que le traumatisme et la honte peuvent souvent freiner.
Des déserteurs obtiennent l’asile car ils risquent la mort dans leur pays? Il faut les en exclure. Des personnes malades peuvent séjourner en Suisse à titre humanitaire car leur santé voire leur vie serait en danger autrement? Empêchons-les de faire valoir leurs problèmes médicaux. Il semble qu’il s’agisse là de la seule vision que soit parvenue à développer notre nouvelle Conseillère fédérale, avec l’aide de son chef d’office, Alard Du Bois-Reymond, qui, selon ses propres dires, n’a jamais vu un réfugié en Suisse (Vivre Ensemble, n°130).
Mais l’ODM reste soucieux de préserver la « tradition humanitaire » de la Suisse, comme le démontre son projet à plus long terme. Afin que ces demandeurs, dont la vie ou la santé pourraient être en danger, ne se fassent point trop d’illusions, il s’agit de ne pas les laisser végéter dans une attente infructueuse. Car le problème principal de la procédure d’asile n’est pas d’accorder la protection à des individus en danger, apprend-on, mais bien sa lenteur. Accélérer les procédures envers et contre tout constitue la réponse ultime à la question migratoire, car les gens en attente d’une décision s’intègrent et s’enracinent, au risque que la Suisse doive au final les laisser vivre parmi nous…
L’ODM s’auto-blanchit
Quelles responsabilités l’ODM entretient-il dans ces lenteurs? Aucune : les véritables instigateurs de cette machination temporelle sont les CFF et la Poste, car les demandeurs d’asile – comble de la complexité procédurale – doivent prendre le train pour se rendre à leurs auditions et parfois, ils ne reçoivent pas les convocations de l’autorité. Sans oublier les mandataires des œuvres d’entraide, submergés de travail faute d’assis-tance juridique, qui s’évertuent à utiliser les lois et à introduire des recours considérés comme inutiles et abusifs par le DFJP, et pourtant acceptés par le Tribunal administratif fédéral (TAF) dans un nombre non négligeable de cas. Pas un mot en revanche sur le constat pourtant cinglant du TAF en décembre 2010: 50% des recours dont il est saisi sont motivés par le fait que l’ODM refuse de respecter la jurisprudence, au point que le TAF lui reproche de mettre à mal la sécurité du droit.
Sur cette base, le projet Sommaruga s’attaque à l’indépendance de la justice au mépris des droits des justiciables concernés, pourtant parmi les plus vulnérables. En plus de reléguer le TAF, trop soucieux de son indépendance, à une instance de contrôle de la légalité des décisions, le projet introduit une instance de recours administrative, directement rattachée à l’autorité du DFJP, seule chargée d’apprécier les recours sur le fond. Les requérants d’asile n’auront plus 30 jours pour saisir cette instance, comme le prévoit le droit en vigueur, ni même 15, comme le prévoit le projet de révision actuel. Ils n’auront plus que 7 jours pour faire recours, dans 80% des décisions et 15 jours dans les 20% restants. Si une protection juridique est envisagée, celle-ci n’est pas conçue comme une véritable assistance d’office, telle qu’elle est pratiquée dans d’autres domaines du droit. Ce conseil juridique sera entièrement conçu et décidé par le DFJP, voire le Département de l’Intérieur, qui choisiront les personnes autorisées à défendre les requérants. Quant au personnel médical chargé d’évaluer l’état de santé des requérants, là encore, il travaillera sous la houlette de l’office.
Centraliser, pour mieux contrôler
Plus inquiétant, tout ce beau monde sera regroupé dans un seul lieu, un vaste centre à la logique quasi-concentrationnaire où collaboreront décideurs et défenseurs, à l’abri des intrusions critiques et des milieux associatifs. Car regrouper tous les requérants dans des centres de procédure et d’enregistrement où toutes les étapes de la procédure seront menées, c’est le but final du projet de Mme Sommaruga, en plus d’accroître les places de détention administrative, vers laquelle seront directement envoyés ceux dont la demande n’aura pas abouti. Devait-on attendre autre chose d’une Conseillère fédérale socialiste? Vous avez dit «socialiste?»
Marie-Claire Kunz