Suisse | Plaque tournante du négoce des matières premières
« La pauvreté est la principale cause de l’émigration du Sud vers le Nord. Or, ceux qui, dans nos Etats nantis, militent pour repousser ces immigrants « économiques », accusés à tort de tous les maux, sont bien souvent les mêmes qui prônent ou soutiennent les politiques fiscales ou commerciales à l’origine de cette pauvreté.»
Bernard Bertossa, ancien procureur général de Genève
Le trading en Suisse
Principales compagnies de trading en Suisse: Glencore, Trafigura, Xstrata, Vitol, Mercuria
Top 4 des matières premières négociées en Suisse: pétrole, céréales / oléagineux, café, sucre
Top 4 des compagnies possédant leur siège social en Suisse et qui contrôlent 3/4 des échanges mondiaux de céréales et oléagineux: ADM, Bunge, Cargill, Dreyfus
Sur 3 litres de pétroles vendus dans le monde, un au moins est vendu depuis la Suisse. Un grain de café sur deux, un morceau de sucre sur deux, un kilo de céréale sur trois.
La Suisse: Plaque tournante du négoce des matières premières
La Suisse occupe une place fondamentale dans le négoce des matières premières. Alors que le pays n’a ni passé colonial ni matières premières, plusieurs facteurs ont contribué à l’essor du négoce dans le pays : secret bancaire, faible taux d’imposition sur les sociétés, faible propension à la régulation de la politique, stabilité politique et sociale.
Si légalement ces sociétés devraient être soumises à la loi fédérale sur le blanchiment d’argent (LBA), « l’Autorité de contrôle de la Confédération a développé une «pratique problématique» carrément illégale», explique Mark Pieth, professeur de droit pénal. Quand Glencore a menacé de délocaliser, la société a obtenu que le trading de matières premières échappe à cette loi.
Depuis plus de 15 ans, des sociétés de négoce des matières premières installées à Genève ou à Zoug génèrent des milliards de dollars par année. Certaines ont un chiffre d’affaires supérieur au PIB des pays producteurs des matières premières sur lesquelles elles négocient: les pays en développement. Certaines sociétés semblent irrésistiblement attirées par les régions en guerre ou à forte instabilité politique.
Exemple: la République démocratique du Congo (RDC), un des pays les plus pauvre et corrompu de la planète. Il regorge de cuivre, de zinc, d’or, de cobalt et de diamants. Jusqu’en 1997, les mines appartenaient à la compagnie nationale d’extraction. Surendettées, elles ont été privatisées. Le directeur de Glencore y verra «une affaire énorme», où «les possibilités d’investissements sont immenses» (p. 259). En dépit du népotisme généralisé et des conditions scandaleuses qui règnent en RDC tant au niveau des droits de l’homme qu’au niveau des conditions de travail dans ce genre de mines (travail des enfants, exploitation, accidents, maladies dues à la radioactivité contenue dans certains extraits miniers, etc.), Glencore devient propriétaire à 75% de la Katanga Mining Ltd (KML). En 6 mois, 10’000 mineurs sont chassés de la nouvelle concession de KML, leur présence étant désormais jugée illégale. D’ici 2015, KML entend devenir la plus grande productrice de cobalt au monde et de cuivre en Afrique et Glencore s’est assurée un contrat d’exclusivité durant 10 ans sur l’ensemble de sa production.
James Dunsterville du Global Commodities Group à Genève explique que « Le commerce de matières premières fonctionne grâce à la corruption. Il s’agit toujours d’aller acheter les politiciens » (p. 255). Les sociétés s’offrent ainsi un service d’ordre contre toute contestation. Dans la région en guerre du Katanga, toujours en RDC, une plainte collective a été déposée contre la société Trafigura en 2010. Elle est accusée d’avoir apporté un soutien logistique aux militaires lors d’un massacre de civils (morts, viols et actes de violences) en 2004 dans la ville de Kilwa, lieu clé pour l’extraction de cuivre que les rebelles voulaient occuper. En 2006, une autre manifestation contre l’entreprise s’est terminée dans le sang.
RDC, Darfour, Soudan, Delta du Nigéria, etc.. l’implantation de multinationales du négoce dans ces régions instables a partout les mêmes conséquences: fuite des matières premières – fuite des capitaux que représentent ces matières premières – appauvrissement de la population et migration.
Pas de responsabilité sociale des maisons-mères
D’après Mark Pieth: «Les carburants fossiles ne sont pas renouvelables et les denrées alimentaires sont indispensables à la survie. Celui qui possède des ressources naturelles dispose donc d’un pouvoir important. Et celui qui les négocie, entre autres en Suisse comme à Zoug et à Genève, a tout autant de responsabilités.»
En droit suisse, la maison-mère n’est pas responsable des violations des droits humains ou des dégâts environnementaux de ses filiales et sous-traitants à l’étranger. Une action vient d’être lancée par une cinquantaine d’ONG pour modifier la loi (www.droitsansfrontieres.ch)
Elise Shubs, CIREC.ch
Lexique
Matières premières: Métaux et minerais (aluminium, zinc, cuivre, or, cobalt, etc), agents énergétiques (pétrole, charbon, gaz, etc) et produits agricoles (céréales, oléagineux, sucre, café, etc.).
Négoce des matières premières: Opération par laquelle une société basée en Suisse achète p.ex. du cuivre, en Zambie, le vend en Chine et en retire une partie du bénéfice.
Spéculation: A l’été 2010, confronté à une sécheresse et craignant une mauvaise récolte le gouvernement russe a interdit les exportations de blé. En 2 jours, le prix de cette céréale a augmenté de 15% à l’échelle mondiale. Une catastrophe pour des millions de personnes qui, déjà avant la hausse du prix, n’arrivaient plus à acheter la céréale. Au début de l’été 2010, Glencore spéculait sur une hausse du prix du blé. La presse anglo-saxonne a rapporté, preuves à l’appui, que la société Glencore avait poussé le Kremlin à édicter cette interdiction. Alors que les bénéfices de la branche agroalimentaire de Glencore ont été multipliés par deux, les populations paupérisées de l’hémisphère sud ont été les premières victimes de cette hausse du blé.
A lire également:
- L’Hebdo, “La tribu des traders”, Clément Bürge, 15/02/12