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Documentation

Les Hongrois, « réfugiés modèle » des années 1950

Guerre froide, réfugié modèle et «miracle humanitaire»

Retour sur les réfugiés hongrois des années 1950 dans l’extrait d’un article de Pauline Cancela, publié dans Le Courrier, le 6 août 2013. Pour lire l’article complet, cliquez ici.

En moins de six mois, les 200 000 réfugiés de la révolution hongroise ont été pris en charge par 29 pays occidentaux. Un exploit que le Haut Commissariat des Nations Unies, chargé de coordonner l’accueil des exilés au niveau international, a pu réaliser non sans un travail d’organisation colossal, le soutien des Etats ainsi que l’approbation passionnée de l’opinion publique. Pour un coût total estimé à plus de 1 milliard de dollars, estime l’historien hongrois Gusztáv Kecskés. Cela tient, selon lui, du «miracle humanitaire». Explications.

Guerre froide et anticommunisme
En 1956, le monde est manichéen. L’anticommunisme fait l’unanimité à l’ouest du rideau de fer. Venir en aide aux «combattants de la liberté» ne fait aucun doute. «Lorsque la révolution hongroise est matée par le régime de Moscou, la déception des Occidentaux est énorme», explique le professeur Gusztáv Kecskés, que nous avons rencontré à Genève.
Au niveau stratégique, les Etats ont tout intérêt à collaborer à cet élan de solidarité. L’OTAN veille à ce que l’effort se maintienne tout au long de l’année 1957. En termes de politique intérieure aussi, les atrocités du régime communiste donnent du grain à moudre à l’antisoviétisme, permettant d’affaiblir les fractions d’extrême gauche qui se distancient avec peine de Moscou.
Quant à la Suisse, relève M. Kecskés, «cela lui permet d’afficher son soutien au camp occidental sans trahir sa légendaire neutralité».

L’après-guerre
Après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, l’opinion publique est déterminée à éviter que l’histoire ne se répète. On vient également de signer la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. La Suisse est d’autant plus ouverte à l’asile que «la publication du rapport Ludwig provoque un malaise», note le professeur de géographie Etienne Piguet. La Confédération a mauvaise conscience après sa politique restrictive envers les réfugiés juifs.
Enfin, l’Europe a besoin de main-d’œuvre pour se reconstruire. «Les Hongrois tombaient bien car l’Occident était en pleine expansion économique.»

Les réfugiés modèles
«Blancs et anticommunistes, les Magyars étaient les parfaits demandeurs d’asile», reprend Gusztáv Kecskés. Ils arrivent en général bien formés, célibataires, en bonne santé et jeunes. Même religion, même culture, les occidentaux n’ont aucun mal à s’identifier.
«Le Hongrois est d’ailleurs devenu le symbole du bon réfugié», rappelle M. Piguet. Sauf que, même fuyant pour des motifs légitimes, ils n’étaient pas tous persécutés individuellement – c’est un des critères actuels pour obtenir l’asile en Suisse. D’après M. Kecskès, moins de 5% des réfugiés pouvaient réellement craindre des mesures de rétorsion en vertu de leur participation aux combats de Budapest.
A l’époque, on a toutefois jugé que l’absence totale de perspective et le contexte global de violence étaient des motifs suffisants. Les temps ont changé, regrette Etienne Piguet: «C’était l’âge d’or de l’asile. Bien des requérants qu’on classe actuellement dans les ‘faux’ réfugiés, ou envers lesquels on observe une politique d’accueil restrictive, sont dans la même situation.»