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Documentation

Votation du 9 février 2014 | Prise de position du HCR

Sur la base de son mandat, le HCR a développé son avis sur la votation populaire du 9 février 2014 relative à l’initiative populaire fédérale «contre l’immigration de masse». 

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L’avis du UNHCR

Le UNHCR souhaite, tout d’abord, souligner que le principe général selon lequel chaque État a le droit souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’expulsion des étrangers sur son propre territoire national est soumis à certaines limites de droit international, entre autres au principe du non-refoulement. Le système de la protection internationale repose sur ce principe. En cette période marquée par de nombreux conflits et crises – en Syrie, au Soudan du Sud, en République centrafricaine – ce principe est respecté dans le monde entier par une large majorité d’États. Il ne faut, cependant, pas négliger le fait qu’une écrasante majorité des réfugiés dans le monde sont accueillis dans des pays nettement plus faibles économiquement que la Suisse. La Suisse aurait donc intérêt à donner le bon exemple à d’autres États et à respecter les principes de droit international, principes qu’elle a largement contribué à créer.

Les personnes déplacées par la guerre et la violence et l’« admission provisoire »
Les personnes déplacées par la guerre et la violence sont reconnues dans le monde entier comme devant être protégées, souvent avec le statut de réfugié. Dans le contexte européen, un statut de protection positif (dit protection subsidiaire) a été créé par la directive européenne qualification de 2004, qui n’est pas contraignante pour la Suisse. La refonte de la directive européenne qualification de 2011 prévoit un rapprochement des droits des réfugiés avec asile et des personnes déplacées par la guerre et la violence ; dans certains États, on est déjà parvenu à une égalité complète des droits. Ce phénomène tient compte du fait que le besoin de protection en raison de situations de conflit et de violence de longue durée est souvent de même nature et de même durée que celui des personnes qui obtiennent l’asile. Toutefois, les personnes déplacées par la guerre et la violence obtiennent en Suisse une décision d’asile négative avec un renvoi, qui ne peut être suspendu qu’en faveur d’une « admission provisoire ». L’« admission provisoire » n’est pas définie comme un statut positif de protection et elle n’est pas non plus accompagnée d’une autorisation de séjour. Cela a pour conséquence que les personnes déplacées par la guerre et la violence sont recensées dans les statistiques suisses comme demandeurs d’asile refusés, ce qui est malheureusement parfois interprété, à tort, comme si les intéressés séjournaient en Suisse de manière abusive.

Le principe du non-refoulement comme partie du droit international impératif

Comme le mentionnent eux-mêmes les auteurs de l’initiative, même en cas de succès de celle-ci, le droit international impératif devra toujours être observé par la Suisse. Le droit international impératif inclut, entre autres, le principe du non-refoulement, qui est également prévu à l’art. 33 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, à l’art. 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et à l’art. 3 de la Convention de l’ONU contre la torture, ainsi qu’à l’art. 25, alinéa 2 et 3 de la Constitution fédérale suisse. Il est, par conséquent, interdit de renvoyer ou d’expulser des personnes vers leur pays ou d’autres pays si elles y sont menacées de persécution, de torture ou de tous autres traitements ou peines cruels et inhumains. Ce principe est particulièrement important dans les cas de personnes déplacées par la guerre et la violence, qui obtiennent en Suisse une « admission provisoire », et il interdit le refoulement des intéressés. La Suisse serait, par conséquent, obligée de fixer des plafonds soit très élevés soit flexibles dans le domaine de l’asile, de manière à ce que le droit international impératif puisse être pris en considération dans chaque cas et pour qu’il puisse être exclu que ces plafonds entraînent des cas de refoulement de personnes provisoirement admises.

L’interdiction du refoulement s’accompagne du droit prévu à l’art. 14, al. 1, de la Déclaration universelle des droits de l’homme, selon lequel, devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile dans d’autres pays, ce qui entraîne l’obligation d’examiner individuellement chaque demande d’asile. La fixation de contingents annuels limités de demandes d’asile ne serait donc pas défendable du point de vue du droit international. En outre, un tel contingentement ne serait pas pertinent car l’on peut penser que le nombre de demandes d’asile en Suisse dépend de facteurs extérieurs à la Suisse, notamment de situations conflictuelles dans les pays d’origine des demandeurs d’asile et des évolutions politiques mondiales. Le nombre de demandes d’asile en Suisse – et dans tous les pays du monde – varie, par conséquent, d’année en année et de mois en mois. La manière dont il serait garanti, dans la pratique, que l’interdiction du refoulement serait prise en considération dans chaque cas individuel malgré l’introduction de contingents n’est pas très claire.

Le droit au séjour durable
Quant à la possibilité prévue dans l’initiative de limiter le droit au séjour durable, il convient de remarquer qu’aujourd’hui, le droit au séjour durable en Suisse n’existe qu’après une période extraordinairement longue, dans le cadre d’une comparaison internationale. Les personnes qui ont besoin d’une protection internationale se distinguent des migrants par le fait qu’elles ne peuvent pas rentrer dans leur pays d’origine, avant tout à cause de leur besoin de protection. Pour cette raison, la Convention de Genève relative au statut des réfugiés vise à simplifier l’intégration et la naturalisation des réfugiés. Ce n’est actuellement pas le cas en Suisse.

Le droit au regroupement familial
La possibilité, avancée dans l’initiative, de limiter le droit au regroupement familial ne serait pas, en soi, exclue sur la base de l’art. 8 CEDH et de l’art. 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte II de l’ONU). Cependant, comme l’observe le Conseil fédéral, un refus automatique d’une autorisation de séjour pour épuisement de contingent serait difficilement compatible avec les obligations de la Suisse découlant de la CEDH et du Pacte II de l’ONU. Il faudrait, au contraire, une pondération, dans chaque cas individuel, entre l’intérêt privé de l’intéressé à obtenir une autorisation de séjour aux fins du regroupement familial, d’une part, et l’intérêt public à la refuser, d’autre part.15 Les personnes à protéger – contrairement aux migrants qui peuvent rentrer dans leur pays d’origine – n’ayant la possibilité de mener leur vie familiale dans aucun autre pays, cette pondération devrait régulièrement advenir en faveur d’un regroupement familial.

Le droit aux prestations sociales
Concernant la proposition de limiter les prestations sociales, il convient de remarquer que les art. 23 et 24 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés obligent la Suisse à accorder aux réfugiés le même traitement qu’aux nationaux en matière d’assistance publique et de sécurité sociale, afin d’aider les intéressés, qui ont souvent tout perdu, à reconstruire leur vie dans un autre pays. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pacte I de l’ONU) reconnaît aussi, dans son art. 9, le droit de toute personne à la sécurité sociale.

Renégociation des traités internationaux existants
Dans la mesure où l’initiative demande que les traités internationaux contraires aux modifications proposées de la Constitution soient renégociés et adaptés, il convient de rappeler que le principe du non-refoulement, en tant que partie du droit international impératif, n’est pas négociable. Il semble, du reste, difficile de penser qu’il est dans l’intérêt de la Suisse – un pays avec une grande tradition humanitaire, qui a largement participé à la négociation des traités internationaux en question – de dénoncer unilatéralement ces traités fondamentaux en matière de droits de l’homme et de droit international, car une modification des traités existants nécessiterait un consensus de toutes les parties contractantes, qui semble difficile à obtenir. Il convient, à ce propos, d’indiquer que les traités en question ont été ratifiés presque universellement, ce qui exprime leur signification fondamentale pour le droit international et la protection internationale des droits de l’homme.

Conclusion
Le UNHCR invite la Suisse à conserver sa forte tradition humanitaire et à respecter ses obligations internationales à l’égard des personnes qui ont besoin de la protection internationale et qui ne doivent pas être renvoyées là où elles sont menacées de persécution ou de traitement inhumain ou contraire à la dignité. Il n’est pas pertinent de mettre ces personnes dans le même sac que l’ensemble des étrangers qui séjournent légalement en Suisse. Les personnes qui ont besoin de la protection internationale ne sont pas seulement les réfugiés, mais aussi les personnes déplacées par la guerre et la violence, qui actuellement obtiennent une « admission provisoire » en Suisse. La situation de ces deux groupes de personnes se distingue de celle des migrants. Ils ne peuvent pas aller vivre en sécurité ailleurs et subiraient autrement la persécution ou des traitements ou peines inhumains ou contraires à la dignité.

UNHCR Bureau pour la Suisse et le Liechtenstein Janvier 2014