Swissinfo.ch | Demandeurs d’asile: un système de suivi rapide pour atténuer les tensions
Face à l’augmentation du nombre de requérants d’asile, la Suisse veut réduire à moins de cinq mois le temps moyen nécessaire pour traiter une demande. Swissinfo.ch fait le point sur les succès – et les dangers potentiels – de ces procédures rapides ailleurs en Europe.
Article de Jo Fahy, publié sur le site www.swissinfo.ch, le 6 janvier 2014. Pour lire l’article complet sur le site Swissinfo, cliquez ici.
Par rapport aux autres pays européens, les Pays-Bas ont pris un certain nombre de mesures radicales pour réduire drastiquement le temps nécessaire au traitement des demandes d’asile. Jusqu’en juillet 2010, il fallait seulement 48 heures pour que les requérants d’asile présentent leur dossier et que celui-ci soit évalué. Cette procédure expresse a été abandonnée et remplacée par une période d’évaluation de huit jours. Cela reste toutefois rapide, comparé au temps nécessaire dans les autres pays. En 2011, le Conseil néerlandais pour les réfugiés a interrogé des demandeurs d’asile, des avocats et des personnes travaillant dans des centres pour réfugiés afin de connaître leur avis sur la performance du système. Dans le rapport final, Lenny Reesink, en charge de la politique d’asile auprès du Conseil, qualifie les résultats de positifs: «Après huit jours, les demandeurs d’asile connaissent l’issue de leur procédure. En d’autres termes, ils savent si leur demande a été acceptée ou rejetée.» L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) s’est rendue aux Pays-Bas en 2011 pour voir comment ces changements ont été mis en œuvre. «Ce qui nous a vraiment impressionnés dans le système néerlandais, c’est l’aide juridique indépendante accordée à tous les demandeurs d’asile tout au long de la procédure», déclare son secrétaire général Beat Meiner. «C’est essentiel pour avoir une procédure équitable, poursuit-il. Le travail des avocats a beaucoup d’influence. C’est quelque chose qui changera dans le cadre du nouveau projet pilote suisse. Le fait que ce soit le gouvernement et non plus les Eglises et les organisations non gouvernementales qui financera cette aide juridique fera une grande différence.»
Du temps pour se préparer
L’étude du Conseil néerlandais pour les réfugiés souligne toutefois que les demandeurs d’asile sont peut-être auditionnés trop tôt, au troisième jour du processus, bien que cela se fasse après une période de repos et de préparation d’au moins six jours. «Cela signifie qu’il y a un risque que les demandeurs d’asile présentant des cas complexes n’aient pas suffisamment de temps pour préparer leur dossier, ce qui peut déboucher sur un rejet de leur demande, indique Lenny Reesink. Les décisions restaient encore de piètre qualité: les questions médicales n’étaient pas prises en considération et les demandeurs d’asile n’avaient pas droit à une assistance une fois leur demande rejetée.» Des organisations étrangères ont également observé l’évolution de la procédure d’asile aux Pays-Bas. «Tout dépend de la qualité de l’ensemble de la procédure, affirme Kris Pollet, juriste auprès du Conseil européen des réfugiés et des déplacés. A ce stade, il est trop tôt pour dire de manière définitive si cette procédure en huit jours fonctionne ou non. En général, ce type de procédure très rapide implique un risque: que les autorités aient moins de temps pour examiner véritablement les faits.» Bien que l’OSAR soit satisfaite que le projet pilote de Zurich accorde une aide juridique aux demandeurs d’asile, l’organisation estime elle aussi qu’il faut plus de temps pour traiter les cas difficiles. «L’avocat aura dix jours pour faire recours contre une décision officielle, mais si les documents nécessaires ne sont pas en Suisse et sont difficiles à trouver, cela ne sera pas suffisant», estime Beat Meiner. Si une décision ne peut pas être rendue dans le délai initial de huit jours, le cas passe dans la catégorie d’une procédure longue qui devrait être traitée dans un délai de six mois.
Améliorer l’efficacité
Les pays européens travaillent actuellement à mettre sur pied une politique d’asile commune dans le cadre du Système d’asile européen commun (SAEC), mais il reste une grande diversité de politiques, de théories et de pratiques parmi les différents pays. Certains pays ont vu une augmentation importante du nombre de demandes ces dernières années; mais ils ont encore la flexibilité nécessaire pour essayer différentes manières d’y faire face. Plusieurs pays tentent ainsi de mettre davantage de moyens à disposition au début du processus, afin d’accélérer le système. C’est notamment le cas de la Suède. L’Office suédois des migrations teste depuis 2009 la méthode Lean, adoptée par de nombreuses entreprises privées et organismes publics dans le monde pour améliorer l’efficacité. Il s’agit de réaffecter des ressources vers les points les plus importants du travail, ce qui permet d’éliminer les goulets d’étranglement et les chevauchements. L’un des changements clés consiste à procéder à l’audition des demandeurs d’asile de manière précoce, en utilisant davantage de personnel durant ce stade initial que plus tard au cours du processus. «Nous pensons qu’il est judicieux d’investir suffisamment de temps et de ressources pour assurer que la décision de première instance soit la bonne», soutient Marcus Toremar, chef du Centre Lean pour l’Office suédois des migrations. «Les délais ont été réduits de manière assez spectaculaire», commente le responsable suédois. Le temps nécessaire pour rendre une première décision a été réduit à environ deux mois, alors qu’il en fallait autrefois de dix à douze. En 2012, ce délai est cependant remonté à environ trois mois en raison d’une forte augmentation des demandes d’asile (+ 48% par rapport à l’année précédente).
Dans un monde idéal
L’asile et l’emplacement des centres de réfugiés sont des thèmes très controversés en Suisse. Plusieurs communes ont protesté contre la construction de tels centres, préoccupées par des questions de sécurité et de criminalité. La qualité des centres, parfois situés dans des abris souterrains ou dans des zones reculées, suscite également la polémique. En juin dernier, le peuple suisse a par ailleurs accepté un durcissement de la Loi sur l’asile. Désormais, les demandeurs ne peuvent plus déposer leur demande directement auprès d’une ambassade suisse à l’étranger et le statut de réfugié n’est plus accordé pour les cas d’objection de conscience. Dès le 6 janvier, la Suisse va tester une procédure plus rapide dans un nouveau centre fédéral à Zurich, qui peut accueillir 300 demandeurs d’asile. L’objectif est de régler chaque cas en moins de cinq mois. Trente collaborateurs de l’Office fédéral des migrations prendront part au projet pilote. «Si une décision peut être prise en six mois, je pense que ce serait une situation idéale», relève Kris Pollet. «Dans le climat actuel, avec une opinion publique peu favorable aux demandeurs d’asile et avec des partis politiques qui exploitent ce thème pour gagner des voix, ce sera une amélioration sensationnelle si la Suisse parvient à mettre ce système en œuvre. Des procédures rapides et équitables sont mieux pour tout le monde», juge pour sa part Beat Meiner.
Jo Fahy (Traduction de l’anglais: Olivier Pauchard)