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Le Courrier | En 1999 déjà, des voix s’élevaient contre les bunkers

Contrairement à ce qu’a affirmé le conseiller d’Etat Mauro Poggia, l’hébergement de migrants en abris PC a déjà suscité indignation et mobilisation.

Article de Pauline Cancella, paru dans Le Courrier, le 30 juillet 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Cela fait maintenant un mois et demi que la mobilisation contre l’hébergement des migrants dans les bunkers fait rage à Genève (lire ci-dessous). Contrairement à ce qu’a toujours affirmé le conseiller d’Etat Mauro Poggia, la fronde contre les abris souterrains n’est pas nouvelle. En 1999 déjà, cette pratique a suscité l’émoi d’une frange de la population. C’était pendant la crise des Balkans, lorsque Genève a dû ouvrir tous les abris du canton. A cette époque, des requérants d’asile ont manifesté contre leurs conditions de logement et un «Comité pour sortir les réfugiés des abris» s’est fortement mobilisé.

«Les abris de protection civile ont accueilli les personnes qui fuyaient la guerre des Balkans sans que cela  suscite d’indignation de la part de qui que ce soit», a pourtant déclaré Mauro Poggia sur le plateau de l’émission Infrarouge le 23 juin dernier. Le chef du Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé justifiait ainsi la décision de l’Hospice général, chargé de l’hébergement des demandeurs d’asile à Genève, d’ouvrir depuis 2012 un certain nombre d’abris antiatomiques pour faire face à la pénurie de place d’accueil.

Des migrants manifestent

C’est Aldo Brina, chargé d’information sur l’asile au Centre social protestant, qui a mis le doigt sur l’argument fallacieux du magistrat. La presse de l’époque en témoigne: le recours aux bunkers a toujours provoqué l’indignation d’une partie de la société civile, d’autant plus qu’à l’époque on y logeait des familles entières.

Pour mémoire, fin 1998, c’est toute la Suisse qui s’est trouvée aux prises avec un afflux de réfugiés, en provenance de l’ex-Yougoslavie notamment. Pendant cette période, les cantons ont été mis à rude épreuve. A Genève, des dizaines de réfugiés errent dans les rues faute de places d’accueil. Laurent Moutinot, alors chef du Département de l’aménagement, met sur pied une cellule de crise. Avec un mot d’ordre: éviter les abris. Un vœu pieu puisqu’au printemps 1999, plus de quinze structures souterraines sont ouvertes pour accueillir 900 «pré-requérants», comme on les appelait alors.

Au bout de quelques mois, les journalistes se font l’écho d’un malaise croissant face à cette solution, que tout le monde juge indigne. Voyant que la situation stagne, même si de moins en moins de migrants sont hébergés sous terre, des militants issus du milieu associatif et de la gauche au sens large créent, durant l’été, le «Comité pour sortir les réfugiés des abris».

Empathie généralisée

La colère vient aussi des  demandeurs d’asile en personne. En septembre, une quarantaine d’occupants kosovars de l’abri PC des Grottes passent une semaine dehors, matelas sur le bitume, pour sensibiliser la population. Si bien qu’une délégation du Grand Conseil fait le déplacement et rédige une interpellation urgente. A Noël, même pas neuf mois après l’ouverture des abris, tous les demandeurs d’asile sont relogés en surface.

La rapidité avec laquelle la situation s’est résorbée est notable. Tout comme l’empathie générale à l’égard des migrants qui ressort des articles de presse. Un climat qui explique peut-être pourquoi un dialogue soutenu et fructueux a pu être mis en place entre les militants et le Département de l’aménagement, dirigé par Laurent Moutinot. D’un commun accord, le magistrat fait publiquement état de l’avancement du dossier une fois par semaine.

Malgré la volonté affichée du socialiste de trouver des alternatives, les militants de 1999 doivent tirer la sonnette d’alarme à plusieurs reprises pour faire bouger les choses. Jusqu’à manifester dans les locaux de l’administration cantonale. Mais finalement, tout le monde y met du sien, des communes aux églises en passant par les Services industriels qui prêtent des locaux à la rue de ­l’Arquebuse.

Entre autres mesures, un pavillon provisoire est érigé à la rue de Feuillasse à Meyrin. C’est aujourd’hui le siège d’un des plus gros foyers «en dur» de l’Hospice général.

«Le travail de sape de l’UDC est passé par là»

«L’histoire se répète. Sauf qu’à la fin des années 1990, l’épisode s’est bien terminé et rapidement. On avait davantage conscience que la solution des abris PC ne pouvait pas durer», analyse Aldo Brina, chargé d’information sur l’asile au Centre social protestant. Selon lui, le Conseil d’État de l’époque de la crise des Balkans était probablement plus courageux que l’exécutif actuel, du moins en ce qui concerne l’hébergement de requérants d’asile dans des abris souterrains.

«Aujourd’hui, des personnes passent plus de six mois, parfois un an, dans des abris PC», relève-t-il. Et pour cause, depuis 2012, ils n’ont cessé d’être ouverts. Et ce, alors que les autorités martèlent toujours que cette solution est indigne et provisoire.

Comment expliquer qu’en 1999 la situation se soit résorbée en à peine neuf mois? L’ampleur et la proximité de la crise des Balkans suffisent-elles à l’expliquer? «C’est vrai que nous avions été très actifs sur ce dossier. Mais la situation s’est surtout apaisée avec la baisse des demandes d’asile», se souvient Laurent Moutinot, ancien conseiller d’État chargé des constructions.

La situation de 1999 serait comparable à celle d’aujourd’hui, qui devrait susciter le même élan de solidarité. «Quand on voit les décapitations de Daech en Syrie, nous sommes aussi face à une crise. Et c’est tout aussi problématique aujourd’hui que dans les années 1990 de prétendre que la plupart des demandeurs d’asile sont des faux réfugiés. Fuir son pays parce qu’on n’a plus rien à manger est tout aussi honorable que fuir la guerre», poursuit-il.

Mais à l’époque comme aujourd’hui, assure l’ancien magistrat, il était difficile d’obtenir des appuis politiques pour la construction de foyers d’hébergement. Le démantèlement progressif du réseau d’accueil par Berne, sous l’impulsion de Christoph Blocher, n’a pas arrangé la situation. Depuis 2005, le dispositif a été recalibré pour faire face à 10’000 nouvelles demandes par année. Des centaines de places d’accueil ont été supprimées dans les cantons.

«Sauf qu’en réalité, rappelle M. Brina, la moyenne des nouvelles demandes d’asile se situe entre 10’000 et 30’000 si l’on se fie à l’évolution depuis la fin de la crise des Balkans.»

Or c’est plus souvent l’argument d’une hausse spectaculaire des nouvelles demandes, que celui du manque de places planifiées, qui justifie actuellement le recours urgent aux abris de la protection civile. S’il est vrai que la tendance est en légère hausse depuis le Printemps arabe, on ne peut pas parler d’un afflux exceptionnel. «Cet argument a toujours permis aux autorités de justifier certaines impréparations», commente-t-il.

Aujourd’hui, l’utilisation des bunkers n’émeut même plus l’Hospice général, qui assure disposer des moyens suffisants pour héberger tous les requérants d’asile.
Enfin, la crise du logement est bien pire qu’il y a quinze ans et les terrains se font de plus en plus rares. Le «travail de sape de l’UDC», à grand renfort de préjugés xénophobes, est, lui aussi, passé par là.