Australie | Les dessous d’un « modèle »
L’Australie a mis en place une «stratégie draconienne» de gestion des réfugiés. Le résultat est radical: «Selon le ministre de l’Immigration, Peter Dutton, seule une embarcation est arrivée en Australie au cours des dix-huit derniers mois, contre 534 au cours du même laps de temps sous le régime précédent» (Etienne Dubuis, «Le traitement des migrations en Méditerranée pourrait se ‘militariser’», Le Temps, 22.04.2015). Un «modèle australien» salué par certains politiciens européens et suisses qui aimeraient l’appliquer au continent européen:
«Si certains [migrants] ont vocation à demander l’asile, qu’ils le fassent dans des camps organisées sur le continent africain comme le font les Australiens avec un certain succès», déclarait Yves Nidegger, conseiller national UDC, à la RTS, le 26 avril 2015.
Une idée largement débattue au Parlement européen en mai dernier, mais rejetée au final.
A quoi avons-nous échappé? Ce dossier propose un bref aperçu des principales caractéristiques du «modèle australien».
Externalisation et privatisation
L’Australie a mis en place, au fil des ans, un système de gestion des réfugiés de plus en plus restrictif, se fondant d’une part sur l’externalisation extrême et de l’autre sur la privatisation. Un modèle illégal au regard du droit international, car violant le principe de non-refoulement notamment garanti par la Convention contre la torture (ratifiée par l’Australie en 1989).
Dans une vidéo qui a fait le tour des réseaux sociaux, le commandant de l’opération Sovereign Borders (1) ne pouvait être plus clair:
«C’est la politique et la pratique du gouvernement australien d’intercepter tout navire cherchant à entrer illégalement en Australie et de le refouler en sécurité au-delà de ses eaux. Si vous voyagez par bateau sans visa vous ne pourrez pas vous installer en Australie. Les règles s’appliquent à tout le monde […]. Il n’y a aucune exception».
Cette déclaration met en évidence une discrimination intrinsèque de ce modèle à l’encontre des migrants irréguliers arrivant par bateau sur l’île, sans documents. En effet, si ceux qui arrivent en avion munis d’un visa valide peuvent déposer une demande d’asile (et attendre en détention d’une durée illimitée la réponse des autorités sur leur dossier), ceux qui arrivent par voie maritime n’ont pas la possibilité de le faire.
Ainsi, depuis 2012, comme durant l’opération Pacific solution (2001 – 2007), les demandeurs d’asile arrivant par bateau vers l’Australie sont interceptés et sont soit retournés vers l’Indonésie ou le Sri Lanka, soit envoyés sur l’île de Nauru (une République de 21 km2 se situant à 3500 km des côtes australiennes) ou sur l’île de Manus en Papouasie-Nouvelle Guinée, où leur procédure d’asile est externalisée. Cette pratique, appelée opération Sovereign Borders, a été rendue possible par l’adoption de deux lois, qui déterminent que:
- les îles appartenant à l’Australie sont exclues de sa zone migratoire (2001)
- tout le territoire continental australien est exclu de sa zone migratoire (2013)
La zone migratoire correspond à un territoire dans lequel il est possible, pour une personne arrivant sans un visa valable, d’en faire la demande sur place.
Conditions de vie
Les conditions de vie sur les îles de Nauru et Manus ont été dénoncées par des organisations internationales et par le HCR (communiqué, 26.11.2013):
«Les demandeurs d’asile transférés depuis l’Australie vers des centres de traitement des demandes d’asile à Nauru et dans l’île de Manus vivent en détention arbitraire dans des conditions non conformes aux normes internationales».
De plus, dès le 19 juillet 2013, les personnes qui obtiennent le statut de réfugié à travers une procédure externalisée sont installées soit sur lesdites îles ou alors dans des pays-tiers (dont le Cambodge). Mais pas en Australie.
Les coûts de l’externalisation
Un rapport de la Commission nationale d’audit de 2014 montre que les dépenses concernant la détention et la procédure d’asile de demandeurs d’asile arrivant par bateau ont augmenté de 129% en quatre ans. Estimés à 120 millions de dollars australiens en 2009-2010, les coûts ont grimpé à plus de 3 milliards en 2013-2014. La procédure externalisée coûte à l’Australie 10 fois plus que si elle se déroulait sur le continent. La détention sur les îles pour un demandeur d’asile coûte 400’000 dollars, contre 239’000 si on le détenait sur le continent. Soit dix fois le montant qu’aurait coûté un accueil «normal» dans la société, comprenant le montant octroyé pour les frais quotidiens et pour la santé (2). Un modèle bien coûteux.
Données socio-démographiques
Capitale: Canberra
Densité de population: 2,6 hab/km2
Réfugiés reconnus (décembre 2014): 35’582
Demandeurs d’asile (décembre 2014): 21’518
Principaux pays d’origine des demandeurs d’asile: Chine, Inde, Pakistan Réfugiés reconnus sur l’île de Nauru (décembre 2014): 389
Demandeurs d’asile sur l’île de Nauru (décembre 2014) : 733
Personnes en détention administrative au 30.09.2015: 2044, dont 113 enfants. 631 sur l’île de Nauru et 934 sur l’île de Manus.
Morts recensés aux frontières australiennes (2000-2015): 1973
Documentation – sources
- Amnesty International, Australia: By hook or by crook – Australia’s abuse of asylum-see- kers at sea, 28.10.2015
- Australian Human Rights Commission, Asylum seekers, refugees and human rights – Snapshot Report, 2013 et The Forgotten Children: National Inquiry into Children in Immigration Detention, 2014 >> www.humanrights.gov.au
- Human Rights Watch, World Report 2015 : Australia >> www.hrw.org
Cristina Del Biaggio
Notes:
(1) Une opération militaire de sécurité aux frontières initiée en 2013 par le gouvernement australien (https://www.border.gov.au/about/operation-sovereign-borders)
(2) Source: Refugees: why seeking asylum is legal and Australia’s policies are not, McAdam & Chong, 2014)