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Notre regard

Editorial | Détention, entre absurdité et brutalité

«Quel que soit le nom qu’on leur donne, les camps d’étrangers sont devenus un instrument central des politiques migratoires dont le très large usage est désormais banalisé. Toutes les enquêtes et observations de terrain amènent pourtant au constat que la privation de liberté, peu importe la forme qu’elle prend, entraîne la violation des droits humains et sert une politique de criminalisation des étranger-e-s.»

Cette dérive, contre laquelle le réseau Migreurop appelle à résister, s’illustre de façon éclatante dans la mise en place des fameux « hotspots » en Grèce et en Italie.

Créés en 2015 par l’Union européenne, ces centres promettaient aux pays-frontières de l’espace Schengen/Dublin un soutien pour « gérer les afflux migratoires exceptionnels ». Soutien sécuritaire essentiellement, par le renforcement de Frontex et d’Europol, chargés de « filtrer » les personnes autorisées à entrer sur sol européen. Un soutien également sensé être « solidaire », les pays européens s’étant dans la foulée engagés à accueillir 160’000 personnes. En huit mois, 1441 personnes ont été relocalisées depuis la Grèce et l’Italie, soit un pathétique 0,9% (mai 2016).

Très vite, et toujours au prétexte d’une « crise migratoire» les hotspots sont devenus des camps. Les conditions d’accueil, en dessous des standards minimaux, y ont été dénoncées. Le sort réservé aux personnes écartées d’emblée parce qu’originaires d’une liste de pays sûrs, seul critère du fameux « tri » visant à identifier les personnes à protéger, est resté flou, sinon celui d’un renvoi vers un pays de transit: Libye, Turquie…

Puis nouveau glissement avec l’accord de l’Union européenne et la Turquie, justement. Les hotspots grecs deviennent des prisons, poussant le HCR et MSF à y suspendre leurs programmes. Après avoir fui leur pays, après avoir surmonté les dangers que représente le passage des frontières européennes, des réfugiés potentiels – hommes, femmes, enfants – sont incarcérés, puis renvoyés de force par paquebot vers d’autres camps, turcs cette fois. Sans garantie que leurs besoins de protection soient examinés, ni par l’Europe, ni par une Turquie rehaussée au rang de « pays tiers sûr », realpolitik oblige. (p. 12)

La Suisse n’est de loin pas épargnée par cette dérive. Voilà 21 ans que la détention administrative des étrangers existe en Suisse. La nouvelle loi sur l’asile prévoit de doubler les places d’enfermement et prône la création de centres « spécifiques » pour « récalcitrants ». Sans compter le « tri » et la « gestion » des demandeurs d’asile prévus dans les grands centres fédéraux isolés, qui témoignent d’une volonté de mise à l’écart des réfugiés.

Pourquoi enfermer une personne dont le seul tort est d’avoir franchi une frontière sans les bons papiers? Pourquoi une jeune fille, pourtant identifiée et reconnue comme victime de traite humaine par les autorités suisses, doit-elle subir cinq mois et demi de prison ?!! (voir p. 2) Que répondre à Mohammed, qui dit la blessure profonde que lui a laissée le séjour forcé en zone de transit de l’aéroport de Genève et en questionne la raison d’être (p. 8-11)?

L’isolement, l’enfermement des exilés dont la forme la plus brutale est la détention, ne sont qu’un aveu d’échec. Ils contre- viennent à nos valeurs, celles prescrivant à l’Etat de protéger les membres les plus faibles de sa communauté. N’est-ce pas justement signifier à une personne qu’elle ne fait pas partie de notre communauté humaine que de la confiner, l’astreindre à un droit d’exception, lui retirer toute autonomie, marge de manœuvre, liens avec la société civile? Une conception contre laquelle nous nous battrons. En continuant à informer, décrypter, donner une visibilité publique à ces personnes que l’on cherche à soustraire à notre regard. La société civile s’est récemment emparée de cette réalité. Et tente de la transformer, par la création de liens avec les nouveaux venus, quel que soit leur statut. La route est longue et les institutions sont sou- vent rétives à toute intervention extérieure.

Mais revendiquer un droit de regard et d’accès à tous ces lieux de privation et de restriction de liberté auxquels les demandeurs d’asile, réfugiés et migrants sont astreints est plus que jamais une nécessité.

SOPHIE MALKA

1 Migreurop, La campagne « Open Access Now » laisse place à la mobilisation « Close the Camps », 23 mai 2016. (sur notre site)