Livre | « Rosette, pour l’exemple »
« Arrêtés par la police du gouvernement de Vichy complice de l’occupant nazi plus de 11’000 enfants furent déportés de France de 1942 à 1944 et assassinés à Auschwitz parce qu’ils étaient juifs.
Au moins 288 de ces enfants vivaient dans le grand Lyon.
Parmi eux ont fréquenté l’école Jean Jaurès Léon Kahn, 15 ans Rosette Wolczak, 16 ans, dont le frère Nathan a fréquenté cette école.
Ne les oublions jamais. »
Apposée en 2005 sur le mur d’une école primaire lyonnaise, cette plaque rappelle le souvenir de deux adolescents victimes de la barbarie nazie. Mais elle est incomplète. Elle ne dit pas que Rosette Wolczak fut refoulée de Suisse trois semaines après avoir franchi la frontière pour manquement au règlement et avoir «outragé les mœurs». Elle ne dit pas que rien ne justifiait ce refoulement, qu’elle fut victime de l’arbitraire et du manque d’humanité de militaires xénophobes.
Claude Torracinta, Rosette, pour l’exemple!, préface de Ruth Dreifuss. Editions Slatkine, janvier 2016
Rosette avait moins de 16 ans. En raison de son âge, elle n’aurait pas dû être expulsée selon les directives fédérales en vigueur. Directives à l’appui desquelles ses parents, qui se cachaient en France occupée, l’ont envoyée en Suisse, en septembre 1943. Accusée d’avoir eu une relation avec un autre réfugié au camp dans lequel elle séjournait, elle a été punie, par l’expulsion. Les officiers genevois responsables de la politique d’asile du canton connaissaient les risques. Mais ont voulu en faire un exemple. Ses parents et son frère ont survécu à la guerre. Pas Rosette. C’est sur les traces de l’histoire non-dite de Rosette Wolczak que Claude Torracinta nous emmène. Rosette, que la Suisse devait protéger, et que l’antisémitisme conjugué à l’arbitraire institutionnel ont conduite à la mort. Rosette, enfant happée par une guerre qui la dépasse, dont on ne pourra jamais qu’imaginer les pensées, les révoltes, les peurs, les peines. Des émotions que gomment ces actes administratifs, patiemment exhumés des archives suisses, françaises et israéliennes et que les paroles de survivants ou de témoins de cette époque barbare laissent deviner. Au-delà du récit historique, Claude Torracinta tente par son enquête de combler ce manque. En évoquant ses propres réflexions lorsqu’il foule les lieux où Rosette a été ballotée, il raconte l’histoire de l’enfant : la frontière, destination des promenades dominicales d’aujourd’hui; le camp des Cropettes, duquel Rosette a été expulsée. Des lieux terriblement familiers pour les Genevois. Le va-et-vient narratif, entre ce passé indicible et ce présent si connu, rend l’histoire de Rosette palpable, vivante, effroyable. Si ce livre rappelle avec force que la machine nazie était aux frontières genevoises, que refouler un juif était signer son arrêt de mort, il invite également à s’interroger sur le présent.
Un passé si sombre, et si proche à la fois
«Raconter le destin de Rosette, ce n’est pas seulement assumer un devoir de mémoire», relève l’auteur. «Sa mort à Auschwitz nous rappelle à quelles aberrations a conduit la faiblesse des démocraties devant une idéologie qui prônait la disparition d’hommes, de femmes et d’enfants du seul fait de leur race. A l’heure où resurgit l’antisémitisme, où se développe l’islamophobie et se multiplient les actes racistes, la vigilance doit s’exercer sur le présent. Il faut refuser le rejet de celui qui est différent. S’interroger de voir s’ériger des murs entre les peuples. S’interroger sur notre attitude à l’égard de ceux qui fuient les conflits et que nous refusons d’accueillir.»
SOPHIE MALKA