Aller au contenu
Notre regard

Libye | Chaos et impunité

La situation politique de la Libye est particulièrement chaotique depuis la chute du Colonel Kadhafi. Coupé en deux par les dissensions entre le Gouvernement d’union nationale (GUN, appuyé par l’ONU) et le gouvernement militaire de Tobrouk (à l’est), le pays est de surcroît la cible des troupes de Daech, solidement installées depuis plus d’un an dans la région pétrolifère de Syrte, au centre du pays. Auteur de nombreuses exactions depuis son arrivée dans la région en juin 2015, Daech profite de la faiblesse des autorités politiques pour faire main basse sur les champs de pétrole et compenser ses pertes territoriales en Syrie et en Irak.

Pourtant, l’accord politique négocié sous l’égide de l’ONU et signé fin 2015 par les deux groupes rivaux d’alors, le Congrès de Tripoli et le Parlement de Tobrouk, devait permettre de mettre fin aux luttes de pouvoir, en créant le GUN avec à sa tête Fayez el-Saaraj, reconnu comme indépendant par les deux camps. Si le Congrès de Tripoli s’est finalement rangé derrière le GUN, le chef du Parlement de Tobrouk, Khalifa Haftar, en conteste aujourd’hui encore la légitimité. Lueur d’espoir, les représentants des deux gouvernements rivaux se sont rencontrés le 9 mai 2017 (une première depuis 15 mois) pour négocier l’ajout des amendements réclamés par Tobrouk à l’accord de 2015. En jeu: la reconnaissance unanime du GUN et des règles de gouvernance. À noter que la renaissance du secteur pétrolier, première source de revenus du pays et exsangue depuis de longues années, semble elle aussi en bonne voie.

© UNHCR/Iason Foounten

Déplacé-e-s internes

La décomposition de l’Etat se traduit par une incapacité à maintenir l’ordre et par une impunité généralisée, dont la population est la première victime. Le HCR précise dans un rapport de 2017 que devant la violence des groupes armés (souvent affiliés aux différents gouvernements), 313’000 Libyens ont été forcés de quitter leur foyer pour échapper aux exécutions et arrestations arbitraires et sont actuellement réfugiés dans leur propre pays. L’état de guerre permanent aurait pour effet d’aggraver cette «crise humanitaire» alors que «les conditions de vie des civils ordinaires se détériorent» toujours plus.

Autres victimes de ces luttes de pouvoir, les quelque 276’000 migrants arrivés en Libye et recensés par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) (ils seraient au total entre 700’000 et 1 million selon ses estimations). Dans un rapport de 2016, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, estimait que « la liste des violations et des abus auxquels sont confrontés les migrants en Libye est aussi longue que terrible. Il s’agit tout simplement d’une crise des droits de l’homme qui touche des dizaines de milliers de personnes». Torture, travail forcé, enlèvement, extorsion, exploitation sexuelle, détention arbitraire… L’OIM affirmait en octobre 2016 que 71% des migrants tentant de rejoindre l’Europe indiquaient avoir subi des pratiques s’apparentant à de la traite, alors que 49% avaient été victimes d’enlèvement et d’extorsion en Libye. En mai 2017, l’organisation dénonçait même un « marché aux esclaves».

Les autorités feraient surtout peu de cas de la situation intenable des migrants entassés dans les 24 centres de détention que compte le pays: sans eau potable ni nourriture, sans toilettes, sans accès à un avocat… Forcés de vivre dans des cellules surpeuplées, arrêtés sous prétexte de séjour irrégulier, ces migrants ne sont la plupart du temps même pas enregistrés et ne font l’objet d’aucune procédure, condamnés à croupir dans des conditions indignes. Ces prisons, censées être gérées par le GUN, sont dans les faits souvent hors de contrôle, car placées entre les mains de milices armées, exploitant les détenus et les soumettant à des actes de maltraitance sordides, comme le mentionnait Amnesty International dans son dernier rapport. Dans ces conditions, la fuite vers l’Europe apparaît comme la seule issue possible pour échapper à l’enfer libyen.

Dans le même numéro, lire l’article « La Libye, l’Europe et les flux migratoires. Pactiser, quoi et à quel prix? »

Données socio-démographiques

Capitales: Tripoli, Tobrouk
Population: 6,4 millions
Langues officielles: arabe, berbère (tamazight)
Religion: islam sunnite
Groupes ethniques : Arabes, Berbères
Chefs d’Etat: Fayez al-Saaraj (Gouvernement d’union nationale, reconnu par la communauté internationale depuis décembre 2015), Khalifa Haftar (Parlement de Tobrouk)

Sources

Robin Junod