Statistiques: À quoi servent-elles?
Instrument indispensable à la gouvernance des Etats et à la démocratie, la statistique est généralement auréolée du sceau de la transparence et de la fiabilité. Politiques, journalistes, partis politiques, citoyens en sont tributaires: les statistiques permettent d’interpréter l’évolution de la société, de l’économie, de la population. A cet égard, il n’était pas anodin de voir l’UDC lancer en 2015 une fronde contre l’Office fédéral de la statistique, appelant à réduire son budget et son personnel. Le parti, comme d’autres mouvements populistes, ne cachent pas ses velléités de distiller ses propres vérités et ses propres infographies, finançant médias et chaînes de télé. La lutte pour le pouvoir passe par le contrôle de l’information, et des chiffres.
Signe de son importance pour la gestion du pays, le Bureau fédéral de la statistique est né dix ans après la création de l’Etat fédéral, et le premier recensement de la population suisse a été effectué en 1850. Une loi sur la statistique et un code de déontologie entourent la production et la divulgation des données. Un cadre essentiel, d’autant plus lorsque ces données touchent à des sujets sensibles, comme l’asile.
Dans le cadre de notre travail d’information, nous nous appuyons essentiellement sur les données fournies par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM). Celui-ci dispose de son propre service statistique, indépendant de l’Office fédéral de la statistique (OFS), et établit ses propres contrôles qualité.
Or, la présentation des statistiques du SEM nous a questionné à de nombreuses reprises: taux de protection, infographies tendancieuses ou datées de façon avantageuse pour donner de la Suisse une image «humanitaire» ou «dissuasive». Notre travail de sensibilisation aux préjugés sur l’asile et celui auprès des journalistes dans le cadre du Comptoir des médias consiste à décrypter des données, à traduire les «cases» statistiques dans leurs réalités juridiques et sociales. Exemple le plus flagrant: la case «Rejet avec AP» des statistiques du SEM apparaissait jusqu’en 2015 uniquement comme «décision négative» [AP = admission provisoire]. Les autorités reconnaîtront tardivement – mais pas de façon systématique – cette admission provisoire comme la protection qu’elle est en réalité. (Voir brochure)
Les statistiques de l’asile produites par le SEM nous apparaissent donc bien souvent davantage comme un outil de communication qu’une balise fiable et transparente.
En témoignent les décryptages sur les statistiques d’Eurostat et sur la détention des mineurs.
Dans ce contexte, on ne manquera pas de citer Jean-Pierre Renfer, chef de la section méthodes statistiques de l’OFS:
«Comme les médias, les offices de statistiques devraient dans l’idéal être indépendants de l’Etat, ce qui n’est pas toujours le cas.» [1]
Sophie Malka
Note:
[1] Tribune de Genève, «La statistique est un outil indispensable de la démocratie», 21 juin 2016.
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