Le Courrier | Ecueils de l’accueil XXL
Près de 180 réfugiés mineurs sont hébergés au foyer de l’Etoile à Genève. Le Syndicat des services publics dénonce le manque cruel d’encadrement, mais pour l’Hospice général, tout est conforme aux normes.
Article de Camille Pagella, publié le 06 décembre sur le site du Courrier. Retrouvez ici l’article sur le site du Courrier.
Il y a vingt ans, la Suisse ratifiait la Convention onusienne des droits de l’enfant. Aujourd’hui, les syndicats grondent. «C’est plutôt un triste anniversaire des non-droits de l’enfant», exprime le Syndicat des services publics (SSP). En ligne de mire: le foyer de l’Etoile, qui accueille aujourd’hui 117 requérants d’asile mineurs non accompagnés (RMNA) et une soixantaine de jeunes tout juste majeurs. Manque d’encadrement, déscolarisation, manque de matériel, tentatives de suicide ou enfants laissés sans surveillance pendant la nuit. Selon le SSP, la situation serait «catastrophique».
Depuis son ouverture en janvier 2016, ce centre, coincé entre le parking de l’Etoile et la route des Jeunes, cristallise les critiques. «Tout le monde sait ce qui s’y passe, depuis un bon bout de temps, explique Filipa Chinarro, secrétaire syndicale. Nous voulons que l’Hospice général débloque des moyens d’urgence et qu’il y ait une reconnaissance réelle des besoins.» Le 22 novembre, le SSP a signé une lettre ouverte à Mauro Poggia et à Anne Emery-Torracinta, les magistrats de tutelle, leur demandant «de répondre à des questions qu’il ne serait pas convenable de laisser sans réponse.»
Bref rappel, ce foyer a remplacé en 2016 celui de Saconnex, où se côtoyaient alors RMNA et requérants d’asile adultes. Une situation déjà jugée «alarmante» à l’époque. En 2013, le Conseil d’Etat avait mandaté une task force pour analyser les conditions d’accueil des RMNA à Genève. Dans son premier rapport d’octobre 2013, elle exprimait la nécessité de construire de nouvelles petites structures de 40 ou 50 jeunes, condition sine qua non d’un accompagnement adéquat. Elle révélait qu’il n’y avait qu’un assistant social pour vingt jeunes à Genève, contre un pour cinq dans le canton de Vaud ou un pour deux dans celui du Valais. Il faudra pourtant attendre janvier 2016 et l’arrivée importante de RMNA à Genève pour qu’une structure dédiée soit inaugurée: le foyer de l’Etoile, qui, loin des 40 à 50 places préconisées, en propose 200.
Encadrement insuffisant
Pour Elodie Antony, responsable du programme RMNA de Suisse latine pour l’ONG Service social international, «au moins les mineurs et les adultes sont séparés. Pour le reste, il y a encore du chemin à faire». La principale critique concerne notamment l’encadrement des jeunes du centre. L’Hospice général conteste le chiffre d’un éducateur pour vingt jeunes, avancé par le SSP. «Nous disposons de 21,3 éducateurs temps plein, soit une moyenne de 5,5 dossiers RMNA par éducateur, ce qui est conforme aux recommandations du Service d’autorisation et de surveillance.»
L’encadrement des RMNA est un enjeu majeur dans l’intégration de ces jeunes, dont la grande majorité restent en Suisse de manière permanente. «S’il n’est pas suffisant, les jeunes auront plus de mal à retrouver une sécurité intérieure et à développer des capacités de résilience», explique Philippe Klein, psychologue pour Appartenances Genève, en contact régulier avec les RMNA du centre. «N’oublions pas que la majorité d’entre eux ont connu des situations dangereuses voire traumatisantes. Les jeunes du centre continuent à se plaindre, d’autant plus qu’avec la topographie des lieux, les bureaux de l’équipe éducative ne sont pas dans les ailes réservées aux jeunes. Il manque donc une présence adulte et rassurante qui se soucie, par exemple, de savoir s’ils ont mangé ou pas.»
Autre point de discorde: la scolarisation des RMNA. Certains, après leur arrivée courant 2015, s’étaient retrouvés déscolarisés par manque de places dans les établissements du post-obligatoire. De ce côté-là, Anne Emery-Torracinta, cheffe du Département de l’instruction publique, est claire: «Il est capital de tout mettre en œuvre pour permettre la meilleure intégration possible et la totalité des jeunes du centre sont maintenant scolarisés. Leur arrivée rapide et en grand nombre en 2015 a obligé à trouver des solutions provisoires. Historiquement, les établissements du Secondaire II ne prenaient plus d’élèves après le mois de mars. Pour que les jeunes ne soient pas désœuvrés, un dispositif, financé par des fondations privées, a été mis en place au printemps 2016. A la rentrée, tout était rentré dans l’ordre et à ma demande, des budgets supplémentaires ont été octroyés. Aujourd’hui, nous avons des places en école pour accueillir ceux que l’Hospice général nous envoie et le problème ne se pose plus.»
Le plus grand centre de Suisse
«Notre principale préoccupation reste la taille de ce foyer, explique Elodie Antony. C’est le plus grand de Suisse. Mettre 200 jeunes ensemble, cela révèle aussi la volonté politique du canton, qui considère ces jeunes comme des migrants et non pas comme des mineurs avant tout.» Philippe Klein relève pour sa part que «le surnombre ne favorise pas leur sécurité et leur intégration. Géographiquement ils sont mis à part (le centre se trouve dans la zone industrielle de La Praille, ndlr) et en plus, à l’école, ils se retrouvent ensemble dans des classes quasi homogènes dues à leur grand nombre».
Malgré les avertissements répétés, un centre similaire est en procédure d’autorisation dans le quartier d’Aïre-Le-Lignon. Il pourrait accueillir 120 jeunes. Le Conseil municipal de Vernier est déjà opposé à un foyer d’une telle taille (voir ci-après) Quant au foyer de l’Etoile, la Cour des comptes prépare un audit sur la politique d’accueil des RMNA à Genève. Il devrait être publié durant le premier trimestre de 2018.
Un foyer de 120 places à Aïre
Alors que l’autorisation de construire n’a pas encore été délivrée, le futur foyer d’Aïre, d’une capacité de 120 places, fait déjà face à une levée de boucliers (voir notre édition du 8 juin 2017). Les associations de riverains font le tour du quartier pour mobiliser et le Conseil municipal de la commune de Vernier a déposé une résolution. «Nous voulons simplement que ce foyer soit à taille humaine, explique Esther Schaufelberger, élue verte. Les conseillers municipaux ont été emmenés en course d’école en Appenzell, un canton qui fait office d’exemple en matière d’accueil des RMNA et où les jeunes sont complètement intégrés aux villages. Nous n’arriverons pas à intégrer autant de jeunes au même endroit. Nous souhaitons une réponse plus humaine des responsables chargés du dossier.» De son côté, l’association de riverains s’est aussi positionnée contre ce projet.
CPA
En lien avec cet article, retrouvez la lettre ouverte du Syndicat des services publics (SSP) qui dénonce les conditions de vie des mineurs non-accompagnés au foyer de l’Etoile. Cette lettre est publiée ici sur le site de Vivre Ensemble.