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ODAE | Durcissement à l’encontre des Érythréen·ne·s : une communauté sous pression

Depuis quelques mois, un nombre croissant de requérant·e·s d’asile érythréen·ne·s se retrouvent avec une décision de renvoi. Comment s’explique ce changement de pratique des autorités suisses ? Que savons-nous de la situation des droits humains en Érythrée ? Quel est le parcours et le déroulement de la procédure d’asile pour ces personnes, majoritairement des jeunes, qui forment le groupe le plus important de réfugié·e·s en Suisse. Le rapport de l’Observatoire romand du droit d’asile et des étrangers (ODAE romand) apporte plusieurs éléments de réponses à ces questions.

Au-delà de l’attention médiatique et des conflits de politique interne, l’ODAE romand a analysé les changements de pratique et a récolté des informations et des témoignages auprès de ces réfugié·e·s et des personnes qui les accompagnent. En se fondant sur des cas concrets, il met en lumière les conséquences humaines de ces durcissements. Pour la première fois, l’ODAE romand s’intéresse au sort d’un groupe en particulier, mais ses conclusions ne concernent pas seulement cette communauté et montrent qu’il y a lieu de s’inquiéter pour le droit d’asile au sens large.

Le rapport de l’ODAE Romand « Durcissement à l’encontre des Érythréen·ne·s : une communauté sous pression« , publié le 29 novembre 2018, est également disponible sur leur site internet.

Communiqué de presse

Durcissement à l’encontre des Érythréen·ne·s : une communauté sous pression

Depuis quelques mois, l’Observatoire romand du droit d’asile et des étrangers (ODAE romand) suit de près la situation des requérant∙e∙s d’asile érythréen∙ne∙s. Un nombre croissant de ces personnes se retrouvent actuellement avec une décision de renvoi, après que les autorités aient annoncé le réexamen des admissions provisoires de quelque 3’000 personnes et que le Tribunal administratif fédéral (TAF) ait confirmé en grand nombre des décisions de renvoi prises par le Secrétariat d’État aux Migrations. La Suisse est ainsi devenue le seul État européen à rendre de telles décisions à l’égard des ressortissant∙e∙s de ce pays de la Corne de l’Afrique.

La situation a-t-elle changé en Érythrée pour que les autorités suisses durcissent leur pratique ? En dépit d’un accord de paix signé avec l’Éthiopie voisine, rien ne montre que la situation des droits humains se serait améliorée. La difficulté à trouver des informations fiables et indépendantes sur ce qui s’y passe réellement persiste. Les travaux menés par la Commission d’enquête du Comité des droits de l’Homme des Nations Unies constituent l’une des plus solides références. Ils témoignent de crimes contre l’humanité commis depuis un quart de siècle : réduction en esclavage, détention arbitraire, représailles contre des tiers, disparitions forcées, tortures, persécutions, viols, exécutions extrajudiciaires, etc.

Cédant aux pressions politiques appelant à durcir la pratique – l’ODAE romand observe que cette communauté suscite un grand nombre d’interpellations au Parlement fédéral, la Suisse appréhende toujours plus strictement la situation juridique des requérant∙e∙s d’asile provenant d’Érythrée. En juillet 2018, le TAF a jugé que les renvois étaient en principe licites et exigibles y compris pour les personnes qui risquent d’être enrôlées dans le service national à leur retour (arrêt E-5022/2017). Les durcissements reposent également sur une appréciation toujours plus exigeante quant aux motifs d’asile évoqués par les requérant∙e∙s. Dans la pratique, les cas dans lesquels les récits ont été jugés invraisemblables sont toujours plus nombreux.

Sur le terrain, l’ODAE romand constate les difficultés des requérant∙e∙s d’asile à remplir ces exigences de vraisemblance : départ à un âge très jeune, traumatismes liés à la route de l’exil, paranoïa et méfiance vis-à-vis de l’autorité, méconnaissance de ses droits et du déroulement d’une procédure administrative, temps écoulé entre les faits et le moment des auditions sur les motifs d’asile, etc. La situation des Érythréen∙ne∙s est emblématique et illustre un constat plus général : le fardeau de la preuve repose de plus en plus sur les requérant e∙s. Par ailleurs, il apparait que leurs vulnérabilités individuelles ne sont pas suffisamment prises en compte. Ces difficultés à obtenir la reconnaissance d’un besoin de protection ne remettent-elles pas en question l’essence même du droit d’asile ?

Malgré l’absence d’accord de réadmission et, partant, l’impossibilité d’effectuer des renvois forcés, les décisions de renvoi continuent de tomber. Les levées d’admissions provisoires se poursuivent également, alors même que certaines requêtes décisives sont pendantes devant le Comité de l’ONU contre la torture. La seule perspective en Suisse pour les personnes déboutées réside alors dans la précarité de l’aide d’urgence. Ce régime anéantit tout effort d’intégration et tout processus de reconstruction de personnes déjà fragilisées par l’exil, notamment les enfants, sans oublier ses conséquences sur la santé physique et psychique. Le coût humain, social (et financier à long terme) en vaut-il la peine ?

 

CONTACT
Mélissa Llorens, Coordinatrice de l’ODAE romand
Tél. +41 22 310 57 30 ; +41 79 738 80 14
melissa.llorens@odae-romand.ch
www.odae-romand.ch