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Appel Dublin | 10 ans d’application, la société civile tire la sonnette d’alarme

Le 14 décembre 2018, cela fera dix ans que la Suisse est entrée dans l’espace Schengen / Dublin. Les associations qui défendent les réfugié-e-s et leurs droits tirent la sonnette d’alarme : les autorités suisses en charge de l’asile doivent davantage entrer en matière sur les demandes d’asile des personnes vulnérables. Pour rappel l’Appel Dublin, constitué d’une coalition d’acteurs (ONG, personnalités politiques, mouvements militants et citoyens) et rassemblant 33 000 signataires, a été déposé il y a une année auprès des autorités fédérales. L’heure est au bilan.

Retrouvez le communiqué de presse lancé par l’Appel Dublin sur le site de Solidarité sans frontières. Le samedi 15 décembre 2018, Solidarité sans frontières organise à Berne une rencontre ouverte à tou.te.s pour établir un bilan  de ces 10 ans d’application du point de vue des personnes concernées et des personnes solidaires. Plus d’informations sur le programme ici.

Communiqué de presse – Appel Dublin

Dix ans d’application du règlement Dublin. La société civile tire la sonnette d’alarme

Berne / Genève (12 décembre 2018) – Dans deux jours, cela fera dix ans que la Suisse est entrée dans l’espace Schengen / Dublin. Les associations qui défendent les réfugié-e-s et leurs droits tirent la sonnette d’alarme : les autorités suisses en charge de l’asile doivent davantage entrer en matière sur les demandes d’asile des personnes vulnérables.

Dublin, un système de plus en plus bureaucratique, inefficient et générateur de souffrance

Si l’accord de Dublin a souvent été défendu comme un système de coopération entre les États, le constat tiré de la réalité est tout autre. Plutôt que la coopération et la solidarité, c’est bien le chacun pour soi que promeut le règlement Dublin, chaque État retraçant les parcours des requérant-e-s d’asile pour en renvoyer un maximum vers d’autres pays, cela sans prendre en compte les énormes souffrances liées à ces renvois. Ces 10 dernières années, la Suisse s’est clairement située du côté des champions des renvois et des « profiteurs » du système Dublin. En effet, elle a globalement renvoyé 4,5 fois plus de personnes vers d’autres États Dublin qu’elle n’en a accueillies. Or, en 2017 et 2018, la différence entre le nombre de personnes renvoyées et le nombre de personnes accueillies depuis d’autres Etats Dublin s’est considérablement réduite. Cela reflète l’inefficience du système Dublin en général :  une bureaucratie énorme liée à des coûts considérables pour un jeu à somme nulle au niveau européen, qui se joue au mépris des besoins, de la volonté et des droits humains des personnes en fuite.

Malgré la mobilisation de la société civile, la Suisse continue de renvoyer des personnes particulièrement vulnérables

Le 20 novembre 2017, 200 organisations de la société civile et plus de 33’000 personnes demandaient aux autorités fédérales, à travers l’Appel contre une application aveugle du règlement Dublin, de renoncer aux renvois des personnes vulnérables et d’entrer en matière sur leur demande d’asile.  En 2018, la coalition Dublin a identifié près de 90 situations de personnes vulnérables menacées d’un renvoi Dublin pour lesquelles elle a alerté le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM).

Depuis la remise de l’Appel, certains renvois ont pu être évités grâce à la mobilisation des organisations de la société civile. Mais dans bien des cas, le SEM a continué à ignorer ces vulnérabilités. Une femme érythréenne enceinte, atteinte de tuberculose et ne pesant pas plus de 42 kilos a été par exemple renvoyée en novembre en Italie. Un couple syrien avec un bébé souffrant de handicap moteur a été séparé par le renvoi Dublin du père, bien que la mère souffre de troubles psychiques et que plusieurs membres de leur famille résident en Suisse. Ce n’est qu’après une longue bataille juridique, une détérioration de la situation rendant nécessaire de multiples hospitalisations ou encore une « disparition » forcée jusqu’à la fin du délai Dublin que certaines personnes peuvent enfin voir leur demande d’asile examinée par la Suisse. La coalition qui a lancé l’Appel Dublin est particulièrement inquiète par rapport à la situation des personnes victimes de traite, des victimes de tortures et des personnes malades dont le renvoi vient parfois rompre un lien thérapeutique difficilement mis en place en Suisse, des femmes et des enfants mineurs, ainsi que des familles séparées par un renvoi. La coalition a eu l’opportunité de transmettre ses observations dans le cadre d’une procédure devant les rapporteurs spéciaux de l’ONU sur la torture et sur les droits humains des migrants, en leur demandant d’intervenir pour que ces critères de vulnérabilité soient mieux pris en compte par le SEM.

La situation en Italie devient très critique : la Suisse doit prendre acte des défaillances du système d’asile

Le 3 août 2018, le Comité contre la torture de l’ONU a prononcé une importante décision (Communication N 742/2016) : le renvoi vers l’Italie d’une personne victime d’actes de torture violerait l’interdiction de commettre des mauvais traitements et le principe de non-refoulement. Par ailleurs, les conditions d’accueil précaires en Italie ont encore été aggravées par le décret Salvini du 5 octobre 2018, adopté par la Chambre des députés fin novembre. Ce décret prévoit que les demandeuses et demandeurs d’asile, y compris les personnes renvoyées dans le cadre de Dublin, ne doivent plus avoir accès au système SPRAR (centres adaptés à l’accueil des personnes vulnérables), mais qu’ils doivent être hébergés dans des centres CAS (centre d’accueil généraux très grands). En réaction à ce décret, deux arrêts du 18 octobre 2018 aux Pays-Bas ont stoppé le transfert de deux Erythréennes vers l’Italie, du fait que les conditions d’accueil prévues par le droit européen n’étaient plus garanties. D’autres jugements en France et au Luxembourg parlent de « défaillances systémiques » dans le système italien et mentionnent également la situation politique difficile actuellement en Italie. L’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés (OSAR) publie ce jour un rapport qui souligne les graves conséquences des renvois de personnes vulnérables vers l’Italie. Il est impératif que la Suisse change sa pratique en conséquence et entre davantage en matière sur les demandes d’asile des personnes vulnérables qui ont transité par l’Italie.

Restructuration de l’asile : le SEM doit assurer l’identification des personnes particulièrement vulnérables

Avec l’entrée en vigueur de la restructuration de l’asile en mars 2019, les demandes d’asile seront traitées dans une procédure accélérée dans les centres d’asile fédéraux. Il est, dès lors, urgent que le SEM mette en place des procédures standardisées, un rapide accès aux soins et une formation adéquate pour le personnel de ces centres, afin de leur donner les outils et les moyens d’identifier les personnes vulnérables. C’est indispensable pour pouvoir ensuite leur fournir une protection adéquate et activer la clause de souveraineté du règlement Dublin pour entrer en matière sur leurs demandes d’asile.

Organisations signataires :

Amnesty International Suisse, Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés (OSAR), Solidarité sans frontières (Sosf), Solidarité Tattes, Collectif R, Droit de rester Neuchâtel

Note: Le 15 décembre 2018, les associations de la société civile feront le bilan critique des dix ans d’application du règlement Dublin, du point de vue des personnes concernées et des personnes solidaires. Les médias sont les bienvenus à cet évènement. Plus d’informations : www.sosf.ch