Italie | Le droit d’asile à la botte de Matteo Salvini
Giuseppe Conte a beau être officiellement le Président du Conseil des ministres depuis le 1er juin 2018, c’est son ministre de l’intérieur d’extrême droite, Matteo Salvini, qui fixe le tempo de la politique gouvernementale en matière migratoire. À peine investi, celui-ci déclare: « [L]e bon temps pour les clandestins est fini: préparez-vous à faire vos valises.» Dès le 29 juin, l’Italie décrète la fermeture de ses ports aux bateaux ramenant des personnes secourues en mer. La répression du délit de solidarité s’est également accentuée à l’image de l’arrestation de Domenico Lucano, le maire de Riace, poursuivi pour «aide à l’immigration clandestine» en raison de la politique d’accueil menée au sein de sa commune. Dans le même temps, Matteo Salvini approfondit le mémorandum d’entente conclu par le précédent gouvernement avec les autorités libyennes, prévoyant une aide notamment logistique aux garde-côtes libyens pour empêcher et contenir les candidats à l’exil. Selon Amnesty International, 20 000 réfugiés ont été interceptés en mer en 2017 et conduits dans des centres de détention en Libye.
Le décret Salvini
Le 29 novembre 2018, la chambre des députés a adopté le décret « Sécurité et immigration » (ou décret Salvini). Le texte comporte un ensemble de règles lourdes de conséquences pour les personnes migrantes. L’une des principales mesures controversées est la suppression du permis de séjour humanitaire accordé aux personnes dont la demande d’asile a été rejetée, mais ne pouvant être renvoyées en raison d’un danger dans leur pays d’origine. Valable deux ans et renouvelable, cette protection italienne permettait d’accéder au marché du travail ainsi qu’aux centres d’accueil. Les milliers de personnes ne pouvant plus bénéficier de ce statut se voient ainsi poussées vers la clandestinité et davantage de précarité.
Le décret prévoit également un nivellement par le bas des conditions d’hébergement. À l’exception des mineurs non accompagnés, tous les demandeurs d’asile, y compris les personnes en situation de vulnérabilité, se verront systématiquement refuser l’accès aux « Systèmes de protection des demandeurs d’asile et des réfugiés » (SPRAR), des centres proposant une assistance juridique et sociale en plus de mesures d’insertion. Par soucis d’économie, les demandeurs d’asile sont regroupés dans de grands centres aux standards très bas notamment en termes d’accès aux soins et aux mesures d’intégration (CAS et CARA). Enfin, le texte étend la durée de la détention administrative à six mois pour les personnes menacées d’un renvoi. Une procédure d’urgence a été Mario Fornasari Migrants – Hospitality in Como 17 mise en place visant à expulser tout demandeur d’asile considéré comme « dangereux ». Afin de mettre en œuvre sa politique d’éloignement, Matteo Salvini espère passer des accords de rapatriement avec les pays d’origine et de transit. De nouveaux centres de rétention devraient voir le jour afin que chaque région du pays en soit dotée. Face à ce recul du droit d’asile, nombreuses sont les voix qui se sont élevées pour défendre une politique d’accueil solidaire des réfugiés. Plusieurs manifestations ont eu lieu dans la péninsule et une centaine de municipalités ont annoncé leur intention de ne pas appliquer le décret qu’elles jugent inhumain, criminogène et inconstitutionnel (Voir carte réalisée par Cristina Del Biaggio). Quatre administrations régionales ont de leur côté contesté la constitutionnalité de la législation devant la Cour constitutionnelle.
Quelles conséquences pour l’Europe?
Selon l’ONG française la Cimade, une hausse du nombre des sans-papiers en Italie entrainera une recrudescence des départs vers les pays limitrophes notamment à travers les Alpes où les réfugiés risquent leur vie. La politique menée par Matteo Salvini n’est pas non plus sans conséquences sur le fonctionnement du règlement Dublin dont la Suisse est partie, lequel prévoit le transfert des demandeurs d’asile vers le pays de première entrée en Europe. Anticipant les effets du décret, en particulier pour les personnes identifiées comme vulnérables, certaines juridictions européennes ont annulé des demandes de renvois.
Plusieurs tribunaux européens ont invoqué l’existence de «défaillances systémiques » dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil, entrainant un risque de traitement inhumain et dégradant. Sur la base de ce constat, le Tribunal administratif de Düsseldorf a estimé en octobre 2018 que les garanties relatives aux conditions d’accueil des enfants et à la préservation de l’unité familiale, fixées par l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Tarakhel c. Suisse, ne pouvaient plus être assurées. Celui-ci exigeait de l’État souhaitant transférer une famille ou personne vulnérable vers l’Italie qu’il obtienne de Rome des garanties de prise en charge, lesquelles ne pouvaient être assurées qu’au sein des centres SPRAR. La loi Salvini exclut désormais cette possibilité, ouvrant la voie à de nouveaux litiges, notamment sur le plan international. La proposition italienne d’accueillir les personnes « dublinées » dans les centres à bas seuil CAS ou CARA est insuffisante en terme de respect des droits fondamentaux selon les observateurs. À voir comment la Suisse se positionnera, elle qui, en Europe, figure parmi les pays qui appliquent avec le plus de zèle le règlement Dublin avec près de 700 renvois en Italie recensés entre janvier et novembre 2018.
ALEXIS THIRY
Données socio-politiques
[caption id="attachment_52835" align="alignright" width="251"] Carte réalisée par Cristina Del Biaggio https://visionscarto.net/italie-resistances-municipales[/caption]
Capitale : Rome
Président : Sergio Mattarella
Président du Conseil des Ministres : Giuseppe Conte
Ministre de l’intérieur: Matteo Salvini (Lega)
Quelques chiffres
Nombre d’arrivées en provenance d’Afrique du Nord en 2018: 23 370 contre 119 369 en 2017. (Source: UNHCR)
Taux de protection en 2017: 41 % dont 8 % sous forme du statut de réfugié, 8 % de la protection subsidiaire et 25 % de la protection humanitaire. (Source: AIDA)
Nombre de bénéficiaire de la protection humanitaire depuis 2008: 120000. (Source: La Cimade)
Quelques sources
» Amnesty International, Un an après l’accord italo-libyen, il est temps de libérer les milliers de migrants bloqués dans des conditions terribles, 1.02.2018
» Danish Refugee Council and OSAR, Mutual trust is still not enough, 12.12.2018
» Info Migrant, Que contient le décret anti-immigration adopté en Italie ?, 29.11.2018
» La Cimade, En Italie, une loi contre les droits des personnes migrantes, 21.12.2018
» OSAR, Notiz : Aktuelle Situation in Italien, 11.01.2019
» Stefano Liberti, Le grand business des centres d’accueil en Italie, Vivre Ensemble n° 152, avril 2015