Loi sur l’asile | Pour une protection juridique de qualité
Raphaël Rey Chargé d’information, Secteur réfugié du CSP Genève
Début mars, Le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) lançait le nouvel appel d’offres pour le conseil et la représentation juridiques dans les centres fédéraux pour requérants d’asile[1]SEM, Appel d’offre (29.02.24 (CFA). Dans une prise de position, la Coalition des juristes indépendant·es pour le droit d’asile, dont fait partie le CSP Genève, émet une série de recommandations à l’intention des futurs prestataires et du SEM.
Une accélération drastique des procédures, compensée par la protection juridique des personnes en demandes d’asile: voilà l’un des principaux arguments de vente de la restructuration du domaine de l’asile mise en œuvre en 2019. Dès le départ, le CSP Genève et les membres de la Coalition s’étaient montrés très critiques à l’encontre de l’application concrète proposée par l’autorité[2]Voir entre autres, Marie-Claire Kunz, La protection juridique en matière d’asile : un millefeuille incomplet, VE 172/avril 2019; CSP, Prise de position sur la restructuration de l’asile, 22. … Lire la suite. Cinq ans plus tard, force est de constater que la promesse n’est pas tenue.
La qualité de la protection juridique varie considérablement entre les six régions d’asile dessinées par la restructuration. Pour la Coalition, ces différences s’expliquent par des conceptions variées des prestataires de leur rôle, par un manque de coordination entre les différentes organisations mandatées et par l’imprécision de leur cahier des charges. Surtout, les problèmes principaux qui se posent à l’heure actuelle sont en grande partie dus aux moyens limités octroyés par le SEM. La réattribution de ce mandat est l’occasion de faire le point.
L’augmentation du nombre de demandes d’asile en 2023 a montré que la protection juridique et son fonctionnement actuel sont extrêmement fragiles. Dans certaines régions d’asile, en raison du manque de ressources en personnel, les personnes ne sont plus accompagnées à des étapes importantes de la procédure, notamment à l’entretien Dublin ou parfois même à l’audition sur les motifs d’asile. Ces étapes sont pourtant cruciales, parce qu’elles constituent les seuls moments où les personnes sont en contact avec l’administration et peuvent exposer leurs motifs d’asile.
Autre constat, l’absence de continuité dans le suivi des dossiers et ce, dans toutes les régions d’asile. Les représentant·es juridiques doivent gérer un nombre impressionnant de cas et trop souvent les requérant·es d’asile voient un·e mandataire différent·e à chaque rendez-vous. De tels changements de mains peuvent altérer la relation de confiance qui devrait s’instaurer avec leur représentation. Les personnes s’inquiètent souvent d’une défense juridique ne connaissant pas leur situation et la situent parfois «du côté du SEM».
La multiplication des centres « satellites », les transferts incessants d’un CFA à l’autre et les attributions anticipées dans les cantons, associés à la cadence des procédures imposée par le SEM, péjorent encore la capacité à assurer un suivi juridique adéquat[3]Collectif, Mesures d’urgence: droit d’asile en danger, VE 190/décembre 2022,avec des conséquences considérables notamment pour la notification des décisions. Les problèmes de communication engendrés par cette situation peut ainsi priver la personne en demande d’asile de son droit de recours. Par exemple lorsqu’elle est informée de sa décision avec plusieurs jours de retard faute d’avoir pu rencontrer son ou sa représentant·e juridique. Les personnes ne dis- posent alors plus que d’un délai extrêmement restreint pour contester les rejets. Le droit de recours, aux délais déjà extrêmement serrés, est ainsi vidé de sa substance.
Assurer une protection de meilleure qualité…
Face à ces quelques constats, posés ici de manière non exhaustive, la Coalition émet une série de recommandations. En premier lieu, il paraît primordial que le nouveau cahier des charges de la représentation juridique l’oblige à assister à toutes les étapes importantes de la procédure, notamment aux entretiens Dublin. Les prestataires doivent également éviter les changements de mains et assurer un maximum de deux représentant·es juridiques par personne. Une présence dans chaque CFA, même éloigné, est également essentielle afin de garantir un contact personnel avec les personnes. En outre, il est crucial que les personnes en demande d’asile puissent recevoir immédiatement toutes les notifications, notamment celle liée à la décision d’asile. Des explications détaillées de la décision, ainsi que les motivations de la résiliation du mandat juridique – le cas échéant – doivent pouvoir être données dans les 24 heures. C’est à ces conditions que la personne pourra prendre une décision sur sa situation et se tourner vers d’autres mandataires.
… et donner les moyens suffisants pour le faire
Bien entendu, la Coalition est bien consciente que ces garanties ne peuvent être tenues que si les ressources nécessaires sont assurées par l’autorité fédérale. Elle demande donc au SEM de prioriser la qualité de la protection juridique lors de l’attribution des mandats, mais surtout de garantir un financement suffisant de la protection, afin que les mandataires puissent assurer l’ensemble des prestations, financer les augmentations de personnel nécessaire en cas de hausse des demandes d’asile et ouvrir des antennes dans les CFA les plus éloignés, ce qui n’est de loin pas le cas dans toutes les régions d’asile. La Coalition demande également au SEM de notifier la décision à la représentation juridique mandatée, mais aussi à la personne requérante d’asile, afin que celle-ci soit immédiatement informée des décisions la concernant et ne soit pas tributaire des questions d’organisation interne et de surcharge de travail. Assurer de bonnes conditions-cadres, c’est aussi revoir en profondeur la nouvelle procédure et sa cadence effrénée. C’est adapter son rythme lorsque la situation l’impose: comme lorsque des clarifications médicales doivent être effectuées ou que les problèmes de surcharge ne permettent pas à la protection juridique de faire son travail. C’est aussi prévoir une augmentation durable des capacités d’hébergement dans les CFA, afin de ne pas devoir recourir à des hébergements temporaires et des transferts à répétition dans des lieux isolés et inadaptés. Enfin, la Coalition demande la mise en place d’une évaluation externe, indépendante et régulière de la protection juridique.
Rappelons-le, le but premier de la procédure d’asile est l’octroi d’une protection aux personnes en danger dans leur pays. En ce sens, la restructuration de l’asile est souhaitable uniquement si elle permet aux personnes à protéger d’obtenir rapidement des décisions justes et équitables, et de trouver au plus vite un ancrage en Suisse. Or, cela fait maintenant cinq ans que le poids de l’accélération repose principalement sur les personnes en demande d’asile et sur leur représentation légale, soumises à d’innombrables pressions et à des délais bien trop courts. Au final, celles qui paient le prix fort des dysfonctionnements chroniques des procédures sont toujours les mêmes, à savoir les principales personnes concernées.
L’information a un coût. Notre liberté de ton aussi. Pensez-y !
ENGAGEZ-VOUS, SOUTENEZ-NOUS !!
Notes
↑1 | SEM, Appel d’offre (29.02.24 |
---|---|
↑2 | Voir entre autres, Marie-Claire Kunz, La protection juridique en matière d’asile : un millefeuille incomplet, VE 172/avril 2019; CSP, Prise de position sur la restructuration de l’asile, 22. 11.17; Coalition des juristes indépendants, Bilan de la restructuration dans le domaine de l’asile, 08.10.20 |
↑3 | Collectif, Mesures d’urgence: droit d’asile en danger, VE 190/décembre 2022 |