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Décryptage | L’aide sociale, une base fragile pour toutes et tous

Les médias traitent régulièrement du haut pourcentage de personnes au bénéfice de l’aide sociale dans le domaine de l’asile. En 2018, un tout ménage de l’UDC dénonçait des dépenses jugées trop importantes dans ce secteur pour des personnes réfugiées accusées de n’avoir jamais travaillé, et donc cotisé. Au niveau fédéral, la somme dévolue à cette aide subit ponctuellement des coupes. L’aide sociale serait-elle devenue un luxe superflu pour des réfugiés au repos ? Une remise en contexte permet de comprendre que c’est avant tout sa politisation récurrente qui déforme la réalité et renforce les préjugés envers la population étrangère, mais aussi les plus pauvres. L’asile servant à nouveau de laboratoire à des restrictions prêtes à être étendues.

L’aide sociale a une fonction intégratrice fondamentale pour contrer toutes sortes de précarités. Elle « est considérée comme le dernier filet de la sécurité sociale qui empêche que certaines personnes ou certains groupes de personnes soient exclus de la participation active à la vie sociale. Sa contribution est essentielle pour maintenir les fondements de notre État démocratique et pour assurer la paix sociale. [1] » Ses objectifs dépassent donc la garantie du minimum vital économique. Néanmoins, dans son application, la notion libérale de « mérite » influence les conditions de son octroi, afin de limiter la facture globale de la communauté. Or, et c’est là que se situe la pierre d’achoppement, les personnes migrantes récemment arrivées n’en sont souvent pas considérées comme des membres à part entière. À cet égard, les écarts entre les montants versés sont évocateurs.

UNE ASSISTANCE DIFFÉRENCIÉE

Dans le domaine de l’asile, la Confédération verse des forfaits d’aide sociale aux cantons pendant cinq à sept ans maximum. Les montants sont octroyés en fonction du statut de séjour. Les personnes réfugiées reçoivent l’aide sociale ordinaire, équivalente à celle des résident-e-s permanents. Par contre, une aide sociale réduite est allouée aux requérants d’asile et aux personnes admises provisoirement. Elles reçoivent en moyenne la moitié du montant de 986 CHF défini par la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS) comme forfait de base, même si cela diffère légèrement d’un canton à l’autre. Depuis 2008, pour les personnes déboutées de l’asile ou frappées d’une décision de non-entrée en matière, cette aide sociale au rabais a été supprimée. Elle est remplacée par une aide d’urgence, de survie, encore inférieure.

UN PALLIATIF À L’ACCÈS AU TRAVAIL

En avril 2018, 40 % des personnes réfugiées et admises provisoirement étaient intégrées sur le marché du travail. Or, comme l’a dit la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga à l’occasion de la présentation du nouvel agenda intégration : « Un réfugié, soit il travaille, soit il a besoin de l’aide sociale. » (RTS,19h30,30.04.2018). En effet, pas de droit au chômage pour celles et ceux qui n’ont pas cotisé. Si la proportion de personnes actives semble basse, elle s’explique par des facteurs multiples, davantage structurels qu’individuels. La majorité des bénéficiaires de l’aide sociale souhaiterait en effet prendre une part active à la vie économique, d’autant plus que le travail donne accès à un permis plus stable et davantage de droits. Mais l’accès à l’emploi reste difficile. Beaucoup ont besoin d’une reconstruction psychologique importante. De surcroit, il faut acquérir une langue, faire reconnaître des diplômes obtenus à l’étranger ou suivre une formation adaptée aux besoins du marché suisse. Enfin, il s’agit de convaincre les employeurs. Outre la discrimination à l’embauche basée sur des préjugés raciaux et culturels, les personnes titulaires d’un permis F par exemple rencontrent une difficulté spécifique, liée au fait que leur séjour est perçu comme « provisoire ». « La durée de validité très courte du permis F (une année) empêche la réalisation de formations sur plusieurs années, rend difficile l’intégration sociale et contrarie le développement de perspectives à long terme. Ces personnes n’ont guère de chances sur le marché du travail. » [2] L’illégitimité et la méconnaissance de ce statut cachent les faits : ces personnes restent en moyenne plus de dix ans en Suisse et leur mobilité est restreinte à un canton. Dès 2018, la Confédération a introduit une série de modifications pour réduire les barrières administratives de l’accès à l’emploi pour les personnes dans le domaine de l’asile. Suffiront-elles ?

POUR SUISSES OU RÉFUGIÉS LES MONTANTS FRAGILISÉS DE L’AIDE SOCIALE

Le budget de la Confédération concernant l’aide sociale du domaine de l’asile a subi des coupes récentes qui sont plus corrélées à la mise en œuvre d’une politique migratoire qu’à des besoins réels. Pour preuve, les raisons contradictoires invoquées pour les justifier. En 2017, pour éviter des coûts trop élevés suite à une augmentation des demandes d’asile. En 2019, pour anticiper la baisse des demandes.

Une tendance similaire s’observe en dehors du domaine de l’asile, où la politique sociale globale évolue davantage au gré des agendas politiques que des besoins des plus faibles. À Berne, le Grand Conseil a avalisé la réforme de sa loi sur l’aide sociale, décidant de ne plus respecter les normes recommandées par le CSIAS en réduisant de 8 % le montant de l’aide sociale ordinaire, et de 30% pour les « étrangers qui ne monteraient aucune volonté de s’intégrer » (RTS La Première, 12 h 30, 07.04.2018). Cette décision a été importante car jusque-là tous les cantons versaient une somme identique. Et depuis, d’autres cantons souhaitent lui emboîter le pas, comme le révèle une étude 2019 mandatée par le CSIAS [3]. Celle-ci rappelle que le montant actuellement recommandé couvre de justesse le minimum vital. En deçà, les personnes se retrouvent à nouveau au ban de la société. Or, l’aide sociale est le fruit de luttes sociales contre la marginalisation des plus faibles. Sa remise en question constante et la suspicion d’abus qui l’entache ne permettent pas d’offrir une place digne aux personnes, suisses et étrangères, que l’on souhaiterait voir partie prenante de la société.

GIADA DE COULON