Aller au contenu
Documentation

Covid-19 | Lettre ouverte du CSP de Genève concernant la lutte contre le covid-19 dans le domaine de l’asile

Source: csp.ch

Malgré des demandes répétées émanant de toute part, les autorités refusent de suspendre le traitement des demandes d’asile. Le CSP de Genève leur adresse une lettre ouverte pour expliquer en quoi cet entêtement menace l’effort collectif pour lutter contre la propagation du covid-19.

Nous reproduisons ci-dessous la lettre ouverte du CSP publiée le 26 mars 2020.

Lettre ouverte du Centre social protestant Genève
concernant la lutte contre le Covid-19 dans le domaine de l’asile

Genève, le 26 mars 2020

Madame, Monsieur,

A l’instar de plusieurs autres organisations, le Centre social protestant (CSP) s’est adressé la semaine dernière aux autorités fédérales concernées pour demander la suspension du traitement des procédures d’asile en cours. Cet appel n’a malheureusement pas été entendu. Aucune réponse ne lui est parvenue et les procédures d’asile se poursuivent.

De nombreux demandeurs d’asile continuent ainsi à recevoir des courriers et des décisions qui les obligent à contacter et à rencontrer travailleurs sociaux, traducteurs et services juridiques pour les aider à les comprendre et à y apporter des réponses. D’autres continuent à être convoqués à des auditions les contraignant à se déplacer d’un canton à l’autre, généralement en transports publics et souvent accompagnés de proches et de personnes de confiance pour les assister durant les entretiens. Beaucoup d’entre eux, souffrant de problèmes de santé, se voient aussi obligés de solliciter le corps médical, soit pour produire les certificats médicaux que ces démarches administratives requièrent, soit en raison du stress qu’elles induisent.

Le monde entier ne parle plus aujourd’hui que du coronavirus et de sa propagation foudroyante. Ce sont partout des images de structures médicales débordées par l’afflux de personnes contaminées, et le nombre de victimes se multiplie et double pratiquement chaque jour dans de nombreux pays, dont le nôtre. Devant ce drame, à l’instar des autres Etats, la Suisse a dû prendre des mesures drastiques et inédites. Le mot d’ordre du Conseil fédéral et de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), répété haut et fort, est de Rester à la maison – Sauvez des vies. Il est demandé à tout le monde d’adopter un comportement responsable, car c’est seulement en agissant tous ensemble que nous parviendrons à limiter le nombre de personnes gravement malades et une surcharge de notre système de santé (voir ofsp-coronavirus.ch). Comme on le sait, toutes les activités jugées non essentielles ont été suspendues. Sur le plan judiciaire, le Tribunal fédéral a suspendu dans un premier temps les délais accordés dans le cadre des procédures en cours. En matière civile et administrative, le Conseil fédéral a fait débuter avec effet immédiat les féries judiciaires de Pâques, interrompant ainsi les procédures en cours devant les instances concernées. Toutefois, ces féries ne s’appliquent pas à la procédure d’asile, qui elle se poursuit. Tout au plus le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) a-t-il décrété une suspension d’une semaine des auditions, le temps d’installer des vitres de plexiglas dans les salles prévues à cet effet afin d’éviter la contamination des personnes présentes. Alors que la plupart si ce n’est tous les pays voisins ont mis leurs procédures d’asile à l’arrêt, la Suisse fait cavalier seul, tout en prônant une politique concertée entre les Etats membres du système Dublin dans ce domaine.

Invoquer une quelconque urgence pour justifier la poursuite des procédures d’asile en cours est mensonger et totalement hors de propos dans la situation actuelle. Selon les autorités fédérales elles-mêmes, le nombre de nouveaux demandeurs d’asile a chuté depuis une dizaine de jours, notamment en raison des nombreuses limitations frontalières réintroduites entre les Etats de l’espace Schengen. Il est certes logique de garder les centres d’enregistrement (CFA) ouverts, afin d’éviter que les nouveaux arrivants doivent rester à la rue. Il n’y a par contre aucune nécessité à maintenir une cadence accélérée des procédures, puisque les renvois sur les pays de provenance ou d’origine ne peuvent de toutes manières plus être exécutés aujourd’hui et que les intéressés seront quoi qu’il arrive envoyés des centres d’enregistrement vers les cantons après une certaine période (140 jours selon la loi). Il en va de même pour les demandeurs d’asile déjà attribués dans lesdits cantons. Ils y attendent une décision fédérale depuis des mois et souvent des années. En quoi est-il nécessaire que leur cas soit traité sans délai et que cette décision leur parvienne aujourd’hui, alors que toute activité est en suspens et qu’ils ne peuvent de toutes manières pas être renvoyés de Suisse ?

Cette politique des autorités fédérales concernées entraîne de nombreux déplacements en transports publics et de nombreuses réunions de personnes. Vu les informations médicales disponibles, on sait qu’il en résulte tout autant de foyers et de champs de contagion. Les recommandations et mesures officielles mentionnées ci-dessus ont précisément pour but d’éviter cette contagion. Il est donc aussi inadmissible qu’irresponsable de la part des autorités en question qu’au lieu d’être les premières à montrer l’exemple, comme il se devrait, elles bafouent au contraire les consignes que l’on demande à la population de respecter, et participent ainsi activement à la propagation de la pandémie. Il est de plus particulièrement choquant qu’à l’exact opposé de la réalité, elles prétendent continuer à mener les procédures d’asile en appliquant pleinement les mesures d’hygiène recommandées par l‘OFSP (voir la lettre circulaire du Département fédéral de justice et police (DFJP) du 17 mars dernier). A l’heure où nombre de sommités médicales et de spécialistes en épidémiologie de notre pays demandent des mesures de confinement général bien plus strictes que celles actuellement en vigueur, avec le soutien déclaré de presque la moitié de la population, l’attitude du SEM et du DFJP est tout-à-fait scandaleuse, pour ne pas dire criminelle, et ce vis-à-vis de l’ensemble des habitants de notre pays.

Cette attitude témoigne aussi d’un mépris regrettable des administrés directement concernés, soit les demandeurs d’asile, et viole leur droit à une protection juridique effective. Comme les autres bureaux de consultation juridique, nous avons ont été contraints d’apporter d’importantes restrictions à nos activités et ne pouvons plus assurer normalement nos permanences de consultation. Nombre de demandeurs ne pourront donc pas faire valoir valablement leurs arguments et notamment leur droit de recours. De plus, dans le contexte actuel, les sollicitations qu’ils reçoivent dans le cadre de leur procédure d’asile, qu’ils comprennent souvent mal, les plongent inévitablement dans le désarroi et le stress.

Enfin, et ce n’est sûrement pas le moins grave, la poursuite des différentes étapes de la procédure constitue une surcharge de travail significative pour le corps médical, à l’heure où celui-ci est entièrement mobilisé par la pandémie et consacre tous ses efforts à sauver des vies. Les médecins concernés doivent ainsi recevoir des patients supplémentaires et rédiger les certificats médicaux que la procédure d’asile requiert. Comme l’écrit une médecin responsable d’un service de médecine communautaire, « en tant que médecin hospitalier mon activité professionnelle, comme celle de mes collègues prenant en charge des demandeurs d’asile en ambulatoire, est entièrement réorganisée pour contribuer à la lutte contre l’épidémie de COVID19 au sein de notre institution. Prendre du temps pour rédiger un rapport médical (…) est du temps perdu pour la lutte contre l’épidémie et c’est éthiquement peu acceptable. » Alors que toute la population de notre pays et de nombreux autres se rassemble le soir à sa fenêtre pour faire part de ses encouragements et de ses remerciements au formidable travail accompli par tous le personnel médical, la politique d’asile menée aujourd’hui par les autorités fédérales résonne comme une trahison.

Au vu de ce qui précède, le CSP demande instamment et urgemment à toute autorité ou tout organisme concerné, quel qu’il soit, de prendre toute initiative en son pouvoir pour faire pression sur les autorités fédérales responsables afin qu’elles prononcent la suspension jusqu’à nouvel ordre des procédures d’asile en cours, ou à tout le moins de tout acte de procédure impliquant une action ou une réponse de son destinataire.

Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’assurance de notre considération distinguée.

Alain Bolle
Directeur