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Infomigrants | Règlement Dublin: des experts répondent aux questions

En mars 2020, les voyages ont été interdits entre la plupart des pays européens pour enrayer la propagation du Covid-19. Bien que le règlement de Dublin est resté en vigueur, la plupart des transferts entre les États membres ont également été suspendus depuis la mi-mars. En juin, les restrictions de déplacement à l’intérieur de l’Europe ont commencé à être allégées, puis levées, ce qui a rendu les transferts de « dublinés » à nouveau possible. Avant le début de la pandémie, InfoMigrants avait demandé à des avocats de répondre à certaines questions sur le règlement de Dublin reçues via Facebook. Jusque-là, ne sachant pas quand exactement le règlement serait à nouveau mis en application sur le terrain, ils avaient préféré retarder la publication des réponses. Désormais, il semble opportun de faire le point sur ces interrogations.

L’article de Marion MacGregor « Comprendre le règlement de Dublin: des experts répondent à vos question » a été publié le 10 juillet 2020 sur le site de Infomigrants

Comprendre le règlement de Dublin : des experts répondent à vos questions

Allez-vous être renvoyé en Italie si vous y avez déposé vos empreintes digitales mais fait votre demande d’asile dans un autre pays ? Que se passe-t-il si vous refusez d’être expulsé dans le cadre du règlement de Dublin ? Nous avons posé ces questions, et bien d’autres, à plusieurs experts.

Le règlement de Dublin, également appelé Dublin III, est une loi européenne qui détermine quel pays est responsable pour examiner une demande d’asile : il s’agit du pays par lequel un demandeur d’asile est entré en Europe.

L’un des objectifs du règlement est d’éviter qu’une personne ne dépose des demandes d’asile multiples dans plusieurs États adhérant à Dublin III. Ces pays membres, qu’on appellera « pays ou États Dublin » dans l’article, sont ceux de l’Union européenne (UE)  ainsi que le Royaume-Uni, l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein.

[caption id="attachment_59592" align="aligncenter" width="425"] Les pays en bleu adhèrent au règlement de Dublin | Source : Union européenne[/caption]

Le règlement de Dublin et le Covid-19

En mars 2020, les voyages ont été interdits entre la plupart des pays européens pour enrayer la propagation du Covid-19. Bien que le règlement de Dublin est resté en vigueur, la plupart des transferts entre les États membres ont également été suspendus depuis la mi-mars.

En juin, les restrictions de déplacement à l’intérieur de l’Europe ont commencé à être allégées, puis levées, ce qui a rendu les transferts de « dublinés » à nouveau possible.

Sollicité par InfoMigrants, le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) a expliqué, le 24 juin, que les États membres ont manifesté leur intention « d’organiser progressivement davantage de transferts Dublin dans les semaines à venir, tout en respectant la santé publique et les règles sanitaires en vigueur. »

Avant le début de la pandémie, InfoMigrants avait demandé à des avocats de répondre à certaines questions sur le règlement de Dublin que nous avions reçues via Facebook. Jusque-là, ne sachant pas quand exactement le règlement serait à nouveau mis en application sur le terrain, nous avions préféré retarder la publication des réponses. Désormais, il semble opportun de faire le point sur ces interrogations.

Les principes de Dublin III

Il existe différents critères pour décider quel pays a potentiellement la responsabilité d’examiner une demande d’asile. Voici les règles de base :

  • Si vous êtes un demandeur d’asile entré en Europe, que vos empreintes digitales ont été enregistrées dans un pays Dublin, mais que vous vous trouvez désormais dans un autre État Dublin, alors ce dernier va demander au premier pays de vous « reprendre »
  • Si vous avez déposé une demande d’asile dans un pays Dublin et que cette demande a été rejetée de manière définitive mais que désormais vous vous trouvez dans un autre État Dublin sans y avoir fait une demande d’asile : dans ce cas vous pouvez être renvoyé dans le pays par lequel vous êtes arrivé en Europe, ou renvoyé vers votre pays d’origine ou de résidence permanente, ou bien vers un pays tiers considéré comme sûr;
  • Si un autre pays à la charge d’examiner votre demande, vous y serez transféré dans un délai de six mois à partir de la date à laquelle ce pays a répondu et a accepté cette responsabilité. Si vous contestez cette décision, ce délai de six mois débute à partir du moment où un tribunal a décidé que vous devez être renvoyé vers ce pays. Ce délai peut être prolongé jusqu’à 18 mois si vous fuyez les autorités et passez dans la clandestinité ou à 12 mois si vous êtes détenu en prison.
  • Vous avez le droit de dire que vous êtes en désaccord avec la décision d’être envoyé vers un autre pays Dublin. On parle alors d’un « appel » ou d’un « recours ». Vous pouvez demander une suspension du transfert pendant la procédure d’appel. (L’opportunité ou non de faire appel devrait de préférence être discutée avec un avocat ou un conseiller)
  • Vous pouvez être placé en détention si les autorités considèrent que vous présentez un risque significatif de vous enfuir parce que vous ne voulez pas être envoyé vers un autre pays Dublin. Vous avez le droit de contester ce mandat d’arrêt.

Vos Questions :

L’avocat Albert Sommerfeld travaille au sein du cabinet Sommerfeld, Heisiep et Gosman, basé à Soest en Allemagne. Il a accepté de répondre à une série de questions.

Loredena Leo et Gennaro Santoro travaillent pour la Coalition pour les droit et les libertés civiques en Italie. Ils ont également apporté de précieux conseils, tout comme Dirk Morlok, collaborateur de l’ONG allemande Pro-Asyl.

Question : Qu’arrive-t-il si un demandeur d’asile a été dans un pays de l’Union européenne, a ensuite quitté l’UE (pour entrer en Turquie par exemple) avant de revenir dans un autre pays en Europe ?

Albert Sommerfeld : Les obligations du pays responsable d’examiner une demande d’asile cessent lorsque la personne concernée a quitté le territoire des pays membres (du règlement de Dublin) pour au moins trois mois. Le demandeur doit prouver qu’il a quitté le territoire des États membres. Dans ce cas, les règles de Dublin s’appliquent à nouveau, donc l’issue dépend de la situation au moment de la deuxième entrée du demandeur.

Question : Je suis arrivé dans un pays européen avant de poursuivre ma route vers un autre pays Dublin et d’y déposer une demande d’asile. Est-ce que mon dossier va être accepté ? Et si non, que devrais-je faire ensuite ?

A.S. :  Il n’existe pas de liberté de choisir quant au pays dans lequel vous pouvez déposer une demande d’asile. Le règlement de Dublin détermine quel État est responsable pour le traitement d’une demande d’asile. En général, il s’agit du pays de l’espace Dublin par lequel vous êtes entré en premier (généralement l’Espagne ou l’Italie, NDLR).

D’autres règles peuvent parfois s’appliquer. Vous n’êtes pas censé vous déplacer vers un autre pays. Si vous le faites, il est très probable que vous serez renvoyé vers le pays responsable de votre demande. Néanmoins, le système de Dublin connaît des dysfonctionnements.

Vous pourriez réussir à obtenir une procédure d’asile dans le pays de votre choix pour diverses raisons. Cependant, ce n’est en aucun cas une certitude. Si vous avez reçu une réponse favorable dans un pays, vous n’êtes plus un cas Dublin et un autre pays pourrait simplement refuser de traiter une autre demande d’asile.

Question : Mes empreintes digitales ont été enregistrées en Grèce. Si je me rends dans un autre pays de l’Union européenne, est-ce que le règlement de Dublin peut toujours s’appliquer à moi ?

A.S. : Oui bien sûr. Quant à savoir si vous allez être renvoyé en Grèce, cela pourrait dépendre de considérations politiques.

Question : Je suis arrivé en Croatie et on a enregistré mes empreintes digitales, mais je n’y ai pas demandé l’asile. Ensuite, je suis allé en Autriche et j’y ai déposé une demande d’asile. Pendant des mois mon dossier a été rejeté et on me dit que je dois retourner en Croatie pour faire une demande d’asile. Avez-vous un conseil pour moi ?

A.S. : Allez consulter un avocat local. Le simple fait que vous soyez passé par la Croatie pourrait être suffisant pour déterminer que la Croatie est responsable de votre demande d’asile.

La famille

Sous le règlement de Dublin, les familles et les proches qui ont été séparés dans différents pays européens peuvent être réunis via leur demande d’asile. Les mineurs non-accompagnés peuvent faire la demande de rejoindre un parent, un tuteur légal, un frère, une sœur, une tante, un oncle ou un grand parent vivant en Europe.

Les adultes peuvent faire la demande de rejoindre des membres de leurs familles (époux/partenaire ou enfants) dans un autre pays Dublin si ce membre de famille est un demandeur d’asile, un réfugié ou a obtenu une protection subsidiaire.

Question : Quelqu’un a enregistré ses empreintes digitales en Italie, y a passé un entretien pour une demande d’asile mais le résultat est négatif. Est-il possible pour cette personne de se rendre dans un autre pays de l’UE pour refaire une demande d’asile avec sa famille ?

A.S.: Les règles de Dublin s’appliquent à tous les demandeurs d’asile. Il est dit que vous pouvez faire une demande d’asile dans un pays. Si vous vous rendez dans un autre pays, il est possible que l’on vous renvoie vers le pays qui a rejeté votre demande.

Question : Si je me rends en Europe où j’ai déjà un fils, est-ce que je vais obtenir l’asile ?

A.S. : Cela dépend. Avoir un fils qui se trouve déjà en Europe peut être une raison pour obtenir un visa ou un permis de résidence dans certains cas, mais en règle générale cela n’est pas une condition suffisante. L’Allemagne fait figure d’exception. Si certaines conditions sont réunies, vous avez un droit à l’asile si :

  • Le fils à moins de 18 ans
  • Vous avez vécu ensemble en famille dans votre pays d’origine
  • Vous déposez votre demande d’asile immédiatement à votre arrivée
  • Vous avez la garde légale de l’enfant

Question : J’ai travaillé en Allemagne mais la demande d’asile de ma femme a été rejetée. Nous craignons qu’elle soit expulsée. Les enfants sont encore petits. Quel est le meilleur conseil à suivre alors que je suis sur le point de perdre ma famille que j’aime ?

A.S. : Allez voir des conseillers locaux pour trouver une solution.  Votre question sous-entend que vous avez un permis de résidence, mais pas votre femme et vos enfants. Séparer des familles n’est pas complètement laissé à la discrétion des autorités de l’État.

Les délais

Question : J’ai une « Duldung » (statut en Allemagne par lequel une expulsion est temporairement suspendue et la résidence tolérée). Je devais être expulsé vers l’Italie dans le cadre de Dublin mais j’ai refusé d’y aller parce que l’on m’a dit que si je parvenais à rester 18 mois en Allemagne sans que la police ne me renvoie en Italie, alors je pourrais refaire une nouvelle demande d’asile. Que savez-vous de cette situation ?

A.S. : Votre information est correcte. Mais soyez conscient que vous pouvez être expulsé à tout moment avant d’atteindre ce délai limite des 18 mois.

Question : À quelle date exactement commence ce délai de 18 mois (au-delà duquel une personne peut déposer un nouvelle demande d’asile)? Par exemple, un de mes amis est entré dans l’UE via l’Italie, puis a voyagé vers les Pays-Bas, a demandé l’asile en juillet 2019 qui a été refusé en octobre 2019 sur la base du règlement de Dublin. Il se demande à partir de quand ces 18 mois commencent à être comptés, en juillet ou en octobre 2019 ?

A.S./G.S./L.L./D.M. : Les 18 mois commencent à compter à partir du moment où l’Italie s’est déclarée compétente (pour examiner votre demande d’asile). En Allemagne, vous trouverez cette date sur la notification de l’avis d’expulsion. Si vous faites appel avec un effet suspensif, ces 18 mois commencent avec le rejet de l’appel par la cour.

Le travail et Dublin

Question : J’ai un permis de travail italien de deux ans (« lavaro »). Si quelqu’un en Allemagne me propose un contrat de travail avec une adresse de résidence là-bas, puis-je faire transférer mon document italien vers l’Allemagne ?

A.S/D.M. : Si vous êtes un résident en Italie, vous devez faire une demande de visa et de permis de travail en Allemagne (qui ne sont normalement délivrés pour des emplois qualifiés).

Si vous venez en Allemagne sans visa, vous n’aurez pas de permis de travail. Vous devriez discuter de vos prochaines décisions – et si oui ou non vous allez demander l’asile – avec un avocat ou des conseillers. Les pays membres de l’UE délivrent une carte de résident de longue durée à des étrangers de pays tiers qui ont résidé légalement et de manière continue sur leur territoire pendant cinq ans au moment de faire cette demande.  Ces résidents longue-durée sont susceptibles de se déplacer librement au sein de l’UE.

Trouver un bon avocat

Question : Comment trouver le bon avocat pour une demande d’asile quand on est récemment arrivé en Allemagne et que l’on ne connait personne ?

A.S. : Consultez www.dav-migrationsrecht.de. Entrez votre code postal dans le champ « Postleitzahl » et vous aurez une liste des avocats qualifiés les plus proches. (Vous pouvez aussi demander au Conseil pour les réfugiés, « Flüchtlingsrat », dans la région dans laquelle vous vous trouvez. Les contacts sont ici, NDLR)

Question : Un Libyen qui vit au Royaume-Uni pendant six ans (il s’est vu délivrer des permis de séjour temporaires de 6 mois en 6 mois) est désespéré et a demandé à être expulsé vers la Libye. Néanmoins, le Royaume-Uni n’expulse pas vers la Libye à cause des conditions de sécurité qui y règnent. Que faire ?

A.S. : Pourquoi demander à être expulsé si vous pouvez voyager par vos propres moyens ? Demandez à une organisation de vous aider pour un retour volontaire.

N.b. : Le droit international en matière de protection est globalement compliqué. Le terme « asile » a été utilisé dans cet article comme terme regroupant diverses formes de protection internationale.

Traduction : Marco Wolter