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Impakter | Un « nouveau » pacte pour la migration et l’asile ?

Le média en ligne Impakter propose un article d’analyse du Pacte pour la migration et l’asile de l’Union européenne. Publié le 23 septembre 2020, le pacte a été annoncé comme un « nouveau départ ». En réalité, le pacte n’est pas du tout un nouveau départ, mais la même politique avec un ensemble de nouvelles propositions. L’article pointe l’aspect critique du projet, et notamment des concepts clés tels que : « processus de pré-selection », « le processus accélérée » et le « pacte de retour ». L’article donne la parole à plusieurs expertises et offre ainsi une meilleure compréhension de ce que concrètement ce pacte implique pour les personnes migrantes.

L’article de Charlie Westbrook “A “New” Pact on Migration and Asylum?” a été publié le 11 février dans le magazine en ligne Impakter (sous licence Creative Commons). Nous vous en proposons un résumé traduisant les lignes directrices de l’argumentaire, en français ci-dessous. Pour lire l’intégralité du texte en anglais, vous pouvez vous rendre sur le site de Impakter.

Le « Nouveau pacte pour la migration et l’asile », a été publié le 23 septembre, faisant suite à l’incendie du camp surpeuplé de Moria.  Le pacte a été annoncé comme un « nouveau départ ». En réalité, le pacte n’est pas du tout un nouveau départ, mais la même politique avec un ensemble de nouvelles propositions sur lesquelles les États membres de l’UE devront maintenant se mettre d’accord – une entreprise qui a déjà connu des difficultés.

Les universitaires, les militants et les organisations de défense des droits de l’homme de l’UE soulignent les préoccupations éthiques et pratiques que suscitent nombre des propositions suggérées par la Commission, ainsi que la rhétorique axée sur le retour qui les anime. Charlie Westbrook la journaliste, a contacté Kirsty Evans, coordinatrice de terrain et des campagnes pour Europe Must Act, qui m’a fait part de ses réactions au nouveau Pacte.

Cet essai vise à présenter le plus clairement possible les problèmes liés à ce nouveau pacte, en mettant en évidence les principales préoccupations des experts et des ONG. Ces préoccupations concernent les problèmes potentiels liés au processus de présélection, au processus accéléré (ou « fast-track ») et au mécanisme de parrainage des retours.

Le processus de présélection

La nouvelle proposition est d’instaurer une procédure de contrôle préalable à l’entrée sur le territoire européen. L’ONG Human Rights Watch, dénonce la suggestion trompeuse du pacte selon laquelle les personnes soumises à la procédure frontalière ne sont pas considérées comme ayant formellement pénétré sur le territoire. Ce processus concerne toute personne extra-européenne qui franchirait la frontière de manière irrégulière. Ce manque de différenciation du type de besoin inquiète l’affirme l’avocate et professeur Lyra Jakulevičienė, car cela signifie que la politique d’externalisation sera plus forte que jamais. Ce nouveau règlement brouille la distinction entre les personnes demandant une protection internationale et les autres migrants « en plaçant les deux groupes de personnes sous le même régime juridique au lieu de les différencier clairement, car leurs chances de rester dans l’UE sont très différentes ». Ce processus d’externalisation, cependant, « se déroule « à l’intérieur » du territoire de l’Union européenne, et vise à prolonger les effets des politiques d’endiguement parce qu’elles rendent l’accès au territoire de l’UE moins significatif », comme l’expliquent Jean-Pierre Cassarino, chercheur principal à la chaire de la politique européenne de voisinage du Collège d’Europe, et Luisa Marin, professeur adjoint de droit européen. En d’autres termes, les personnes en quête de protection n’auront pas pleinement accès aux droits européens en arrivant sur le territoire de l’UE. Il faudra d’abord déterminer ce qu’elles « sont ». En outre, les recherches universitaires montrent que les processus d’externalisation « entraînent le contournement des normes fondamentales, vont à l’encontre de la bonne gouvernance, créent l’immobilité et contribuent à la crise du régime mondial des réfugiés, qui ne parvient pas à assurer la protection ».  Les principales inquiétudes de ces deux expert·es sont les suivantes : la rapidité de prise de décision (pas plus de 5 jours), l’absence d’assistance juridique, Etat membre est le seul garant du respect des droits fondamentaux et si cette période de pré-sélection sera mise en œuvre comme une détention.

Selon Jakulevičienė, la proposition apporte « un grand potentiel » pour créer davantage de camps de style « Moria ». Il est difficile de voir en quoi cela profiterait à qui que ce soit.

Procédure accélérée

Si un demandeur est orienté vers le système accéléré, une décision sera prise dans un délai de 12 semaines – une durée qui fait craindre que le système accéléré n’aboutisse à un retour injuste des demandeurs. En 2010, Human Rights Watch a publié un rapport de fond détaillant comment les procédures d’asile accélérées étaient inadaptées aux demandes complexes et comment elles affectaient négativement les femmes demandeurs d’asile en particulier.
Les personnes seront dirigées vers la procédure accélérée si : l’identité a été cachée ou que de faux documents ont été utilisés, si elle représente un danger pour la sécurité nationale, ou si elle est ressortissante d’un pays pour lesquels moins de 20% des demandes ont abouti à l’octroi d’une protection internationale.

Comme l’exprime le rapport de Human Rights Watch (HRW), « la procédure à la frontière proposée repose sur deux hypothèses erronées – que la majorité des personnes arrivant en Europe n’ont pas besoin de protection et que l’évaluation des demandes d’asile peut être faite facilement et rapidement ».

Essentiellement, comme l’écrivent Cassarino et Marin, « elle porte atteinte au principe selon lequel toute demande d’asile nécessite une évaluation complexe et individualisée de la situation personnelle particulière du demandeur ».

Tout comme Jakulevičienė, Kirsty Evans s’inquiète de la manière dont le pacte va alimenter une rhétorique préjudiciable, en faisant valoir que « le langage de l’accélération fait appel à la « protection » de la rhétorique nationale évidente dans la politique et les médias en se concentrant sur le retour des personnes sur leur propre territoire ».

Un pacte pour le retour

Désormais, lorsqu’une demande d’asile est rejetée, la décision de retour sera rendue en même temps.

Le raisonnement présenté par la Commission pour proposer des procédures plus rapides et plus intégrées est que des procédures inefficaces causent des difficultés excessives – y compris pour ceux qui ont obtenu le droit de rester.

Les procédures restructurées peuvent en effet profiter à certains. Cependant, il existe un risque sérieux qu’elles aient un impact négatif sur le droit d’asile des personnes soumises à la procédure accélérée – sachant qu’en cas de rejet, il n’existe qu’un seul droit de recours.

La proposition selon laquelle l’UE traitera désormais les retours dans leur ensemble, et non plus seulement dans un seul État membre, illustre bien l’importance que l’UE accorde aux retours. À cette fin, l’UE propose la création d’un nouveau poste de coordinateur européen des retours qui s’occupera des retours et des réadmissions.

Décrite comme « la plus sinistre des nouvelles propositions », et assimilée à « une grotesque parodie de personnes parrainant des enfants dans les pays en développement par l’intermédiaire d’organisations caritatives », l’option du parrainage de retour est également un signe fort de l’approche par concession de la Commission.

Pour M. Evans, le fait d’autoriser les pays à opter pour le « retour » comme moyen de « gérer la migration » semble être une validation du comportement illégal des États membres, comme les récentes expulsions massives en Grèce. Alors, qu’est-ce que le parrainage de retour ? Eh bien, selon les termes de l’UE, le parrainage du retour est une option de solidarité dans laquelle l’État membre « s’engage à renvoyer les migrants en situation irrégulière sans droit de séjour au nom d’un autre État membre, en le faisant directement à partir du territoire de l’État membre bénéficiaire ».

Les États membres préciseront les nationalités qu’ils « parraineront » en fonction, vraisemblablement, des relations préexistantes de l’État membre de l’UE avec un État non membre de l’UE. Lorsque la demande d’un individu est rejetée, l’État membre qui en est responsable s’appuiera sur ses relations avec le pays tiers pour négocier le retour du demandeur.

En outre, en supposant que les réadmissions soient réussies, le parrainage des retours fonctionne sur la base de l’hypothèse qu’il existe un pays tiers sûr. C’est sur cette base que les demandes sont rejetées. La manière dont cela affectera le principe de non-refoulement est la principale préoccupation des organisations des droits de l’homme et des experts politiques, et c’est une préoccupation qui découle d’expériences antérieures. Après tout, la coopération avec des pays tiers jusqu’à présent – à savoir l’accord Turquie-UE et l’accord Espagne-Maroc – a suscité de nombreuses critiques sur le coût des droits de l’homme.

Mais en plus des préoccupations relatives aux droits de l’homme, des questions sont soulevées sur les implications ou même les aspects pratiques de l' »incitation » des pays tiers à se conformer, l’image de l’UE en tant que champion des droits de l’homme étant déjà corrodée aux yeux de la communauté internationale.

Il s’agira notamment d’utiliser la délivrance du code des visas comme méthode d’incitation. Pour les pays qui ne coopèrent pas à la réadmission, les visas seront plus difficiles à obtenir. La proposition visant à pénaliser les pays qui appliquent des restrictions en matière de visas n’est pas nouvelle et n’a pas conduit à une amélioration des relations diplomatiques.  Guild fait valoir que cette approche est injuste pour les demandeurs de visa des pays « non coopérants » et qu’elle risque également de susciter des sentiments d’injustice chez les voisins du pays tiers.

L’analyse de Guild est que le nouveau pacte est diplomatiquement faible. Au-delà du financement, il offre « peu d’attention aux intérêts des pays tiers ». Il faut reconnaître, après tout, que la réadmission a des coûts et des avantages asymétriques pour les pays qui les acceptent, surtout si l’on considère que la migration, comme le soulignent Cassarino et Marin, « continue d’être considérée comme une soupape de sécurité pour soulager la pression sur le chômage et la pauvreté dans les pays d’origine ».