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Notre regard

Témoignage | En quarantaine à Boudry: quand la désorganisation mène à la maltraitance

Simone Woolf* est journaliste. Menacée dans son pays, elle est venue en Suisse en mai 2020 avec son fils pour y demander l’asile. En pleine pandémie. Attribuée au centre fédéral de Boudry, elle a été soumise aux nouvelles directives pour lutter contre la Covid-19. Une expérience effarante: séparée de son fils, oubliée dans la distribution des repas… Son récit rejoint d’autres témoignages qui pointent des manquements un peu trop similaires pour être qualifiés de ponctuels [1].

J’ai dû fuir mon pays avec mon fils de 15ans pour échapper aux menaces proférées à mon encontre par des paramilitaires. Je suis arrivée au centre d’enregistrement de Boudry le 13 mai 2020 et y suis restée 5 mois.

Au début, mon fils et moi étions seuls dans un dortoir, puis deux autres femmes seules avec leurs fils nous ont rejoints. Mon fils, qui parle couramment anglais, a créé de forts liens avec les personnes qui vivaient avec nous. Mais, systématiquement, ces nouveaux amis devaient poursuivre leur procédure ailleurs et quittaient le centre. Pour lui, cela représentait à chaque fois une nouvelle rupture de lien qui l’affectait beaucoup. À force, il a commencé à se sentir de plus en plus déprimé.

Comme dans une prison

Le contexte général était pénible, on subissait une forme de harcèlement psychologique. Parfois, durant la nuit ou tôt le matin alors que nous dormions, des agents de sécurité (généralement des hommes) faisaient irruption dans notre chambre. Ils disaient vouloir contrôler que tout se passe bien. Ils frappaient, mais entraient immédiatement, comme s’ils cherchaient quelque chose. À cause de cela, nous ne nous sentions pas en sécurité, nous avions peur. Dans le centre, je me sentais comme dans une prison, nous étions contrôlés comme dans une prison. Nous pouvions sortir, mais il fallait revenir à l’heure et à chaque retour nous étions entièrement fouillés. C’était difficile à vivre.

Durant ce séjour, il y a eu une semaine particulièrement pénible pour moi. Le personnel du centre a suspecté que j’avais le Covid-19. Ils m’ont alors enfermée dans un bâtiment spécifique, dédié aux quarantaines. Mon fils n’a pas pu m’accompagner, il est resté seul dans notre dortoir.

Harcèlement psychologique

C’est durant cette semaine, alors que j’étais en isolement, que la décision négative du SEM à notre demande d’asile nous a été transmise. J’étais particulièrement inquiète pour mon fils, dont je n’avais pas de nouvelles, car je savais qu’il était probablement très affecté par cette décision.

Heureusement, le mercredi, j’ai reçu le résultat de mon test Covid qui s’est avéré négatif. J’ai alors demandé aux gardiens de me laisser sortir, mais on m’a répondu que seule l’infirmière pouvait décider de ma sortie et qu’elle était absente ce jour-là. Je devais donc attendre son retour prévu le lendemain. Or, le jour suivant, des gardiens sont venus avec un chien pour inspecter le bâtiment où je me trouvais. Ils m’ont informée avoir découvert qu’il y avait des puces dans ma chambre. C’était apparemment la seule chambre infectée. Quatre agent·e·s de sécurité sont venus m’annoncer qu’en raison de cela je ne pourrais pas être libérée avant le mardi suivant, car on ne voulait pas que j’emmène les puces avec moi. Je ne sais pas pourquoi ils ont envoyé quatre gardien·ne·s, peut-être avaient-ils peur que je devienne folle, je ne sais pas.

J’ai protesté, je ne voulais pas rester là, ça ne faisait aucun sens de me laisser enfermer dans une chambre avec des puces. Attendait-on qu’elles me mangent ? Finalement le lendemain, une assistante sociale a accepté de me faire sortir, constatant qu’il suffisait de laver mes habits pour éviter que les puces ne se répandent.

Durant toute cette semaine enfermée, je me suis sentie vraiment lésée. Je voyais que tout était désorganisé, le personnel n’avait aucun plan, et on ne m’informait de rien. À deux reprises, on a même oublié de me nourrir: un matin, je n’ai pas reçu de petit-déjeuner et un autre jour on ne m’a pas amené de souper. Quand j’ai appelé l’agent de sécurité pour lui dire que je n’avais pas eu à manger, il est parti informer l’infirmière, mais n’est jamais revenu, et une heure plus tard il n’y avait toujours personne. J’ai appelé une autre agente qui est allée chercher une assistante sociale. Celle-ci m’a dit qu’elle ne savait pas que j’étais là, que personne ne l’avait informée de ma présence.

Le pire dans tout cela ce n’était pas de ne pas être nourrie, mais d’être enfermée et oubliée, sans savoir ce qu’il advenait de mon fils. Je me suis sentie négligée et maltraitée.

ÉLISA TURTSCHI

* Nom d’emprunt choisi par la témoin

 [1] Voir Louise Wehrli, «En quarantaine car vulnérable, il reçoit une décision Dublin», Vivre Ensemble, N° 177, avril-mai 2020