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Notre regard

INÉDIT | Immersion dans la loge des agent·es de sécurité du CFA de Boudry

L’enregistreur vocal du smartphone était enclenché. Confisqué par des agent·es de sécurité du Centre fédéral de Boudry, le téléphone d’une requérante d’asile a enregistré par inadvertance durant près de deux heures les conversations qui se sont tenues dans leur loge. Nous publions la retranscription complète et inédite de cette capture audio, anonymisée.

Discussions entre membres du personnel, interactions avec des requérant·es d’asile:  les échanges sont révélateurs d’un climat latent d’irrespect et de violence ordinaire induite par le rapport de force et le choix de confier l’encadrement des résident·es des Centres fédéraux d’asile à des agents de sécurité démunis d’outils de médiation. La gestion uniquement sécuritaire des tensions, inévitables dans des lieux de vie collectifs, l’absence de prise en compte par le personnel d’une réalité évidente, celle que les personnes logées là sont dans une angoisse existentielle liée à leur demande de protection, l’impunité renforcée par des mécanismes visant à tout régler « à l’interne », ressortent de leurs propos. Dans la dernière édition de la revue « Vivre Ensemble », nous avons publié un extrait de cet enregistrement : celui-ci montre comment les agent·es trafiquent un rapport justifiant la mise en cellule d’isolement d’une femme, en accusant celle-ci d’acte de violence. La retranscription complète de l’enregistrement montre que celle-ci était venue solliciter l’aide de la sécurité pour que celle-ci aide un enfant (en pleurs) à récupérer un téléphone portable qu’il s’était fait voler par un homme hébergé au centre, et que face au refus de l’agent, elle avait voulu en référer à la direction du centre.  La suite permet de s’immerger dans un huis clos quasi fictionnel. 

Sophie Malka

Dessin issu du rapport sur les violences au Centre de Bâle publié par 3rgg.ch

Transcription d’un enregistrement audio réalisé au Centre fédéral d’asile de Perreux (Boudry)

Date: mercredi 20 janvier 2021, en fin de journée

Légende

A : femme requérante d’asile, dont le téléphone a capté cet enregistrement
AS 1 : agent de sécurité impliqué dans la scène de démarrage du conflit
AS 2 : agent de sécurité qui vient rapidement en renfort du 1er. Il semble qu’il y ait deux personnes derrière AS 2. Les voix sont difficiles à identifier
AS 3 : agente de sécurité avec une fonction qui semble supérieur à AS 1 et 2
AS 4 : agente de sécurité avec une fonction dirigeante, ou en tout cas davantage administrative car elle rédige les rapports
+ autres agent·es non-distingués les un·es des autres

Le téléphone d’un enfant vient d’être volé dans le centre par un requérant d’asile à qui il l’avait confié. « A » interpelle alors un agent de sécurité pour lui demander d’agir et de retrouver le téléphone. L’agent de sécurité pense que l’enfant est son fils, mais ce n’est pas le cas. A enclenche alors le mode enregistrement sur son téléphone. 

A : You’re the security and you should to take a look
Agent de sécurité 1 : No, no security for look the child, look your phone there
A : I’ll complain, I’ll complain about that interacting
AS 1 : No, what what, the time where you put your phone here, no security must look, it’s your mission. 
A : You’ll not try to search, not at all ?
AS 1 : No, no, no, that your responsability. 
A : But you’re security
AS 1 : That your responsability. Look, your children, madame, your children, they go up. The time when something happens to up, you come see security ?
A : But normally you’re accessing the doors without permission ? 
AS 1 : I ask you, you no see your children you (mot incompréhensible)
A : I’ll complain about that. What is your name or number of the working ? Because you’re just not searching for this telling stuff but discussing about me
AS 1 : Yes
A : You don’t do that. So what is your name because I need to complain. 
AS 1 : For me ?
A : Yes or number of working. 
AS 1 : My number ? 
A : Yes
AS 1 : For what ? 
A : For working. Because you’re working here and you have the number. I’ll complain, believe me, you don’t do your work
AS 1 : No. Madame, I’m telling you something, ok ? I know place you’re coming from, ok ? 
A : Poland
AS 1 : Ok in Switzer… I don’t know. 
A : We’re complainig pretty much and we’ll complain, not to the SEM, but your boss I’ll complain, Protectas, and to the SEM, to the SEM, to the government and to the everyone. 
AS 1 : If you don’t take your responsability… (en s’adressant à un autre requérant d’asile) Brother, brother, come in please. Tell this woman, ok, « if you come here… »
A : (également à l’autre requérant d’asile) He doesn’t want to check the stealing stuff but they’re accessing the doors and checking the people. But he can’t check the stealing stuff. 
AS 1 : Can you leave me talk with him ?

Brouhaha car A et AS 1 parlent en même temps avec beaucoup de bruits en arrière-fond et notamment l’enfant qui s’est fait voler son téléphone qui pleure. On entend plusieurs autres requérants d’asile parler de ce qui s’est passé. AS1 finit par proposer à A de se rendre à la loge des agent.es de sécurité pour discuter de l’affaire. 

AS 1 : Can you go to the security office ?
A : (A l’enfant qui pleure) Yes, we’ll look for you phone. (à AS 1) You still didn’t tell me your number !

Echanges entre différents requérants d’asile avec l’agent de sécurité. A redemande le numéro de l’agent et insiste.

AS 1 : Take my picture
A : No, I don’t want to take your picture
AS 1 : Take my picture
A : Ok no problem 

A le prend en photo. On entend ensuite du bruit et on imagine que l’AS1 essaie de lui retirer son téléphone et user de la force. A commence à gémir « ahouaoua, ahouaha » (« aïe » à de multiples reprises).

Extrait de la même conversation publié dans le bulletin du mois de juin 2021 (n° 183)

« Il faut qu’on charge le rapport »

Extrait d’une conversation entre agents de sécurité du CFA de Boudry, enregistrée par inadvertance par le téléphone saisi d’une requérante, enfermée dans une cellule d’isolement.Agent de sécurité 3 (AS3) (à voix plus basse) Mais là, les gars, il faut vraiment qu’on charge très bien le rapport hein. Car celle-là…
Agent de sécurité 4 (AS4) Là faut qu’on fasse gaffe j’pense hein.AS3  Il faut qu’on fasse vraiment gaffe à ce que c’est noté dans le rapport car celle-là, elle va nous péter les couilles je vous l’dis hein.
AS4  Ah ça c’est clair. […]
AS4 J’te jure. (En regardant la propriétaire du téléphone dans sa cellule à la caméra) Elle est toute triste, t’as vu ?
Agent de sécurité 1 (AS1) Qui ça ?
AS4 Ta « pote » ! (Rires)
AS1 Elle n’est pas triste. Ah ouais, ça l’apprendra. […], elle croit que tout est permis, dire n’importe quoi, faire n’importe quoi, mais non.
AS4 Non, mais elle s’est crue à la maison ici. […]
AS3  On peut mettre ça d’une façon plus belle
AS4  Mais faudrait presque un peu… enfin ouais…
AS3  Plus formelle ? Et…
AS4  Mais ça c’est une chose, plus formelle, mais avec des mots encore plus forts encore. Tu vois ? Vraiment que le SEM comprenne que. Tu vois ? Comme là avant le gars… Des fois y a des rapports moi je les charge un peu plus que la réalité comme ça, ça justifie mieux le truc tu vois ?
AS3  Oui! Mais oui! Oui, oui!
AS4  Tu vois, parce que si on s’arrêtait à certains propos, ils vont se dire, « mais… » […]
AS3 Mais on va mettre qu’elle a frappé l’agent, on met son numéro, au niveau de l’épaule, car…
Autre AS Du thorax
AS3 Du thorax, ouais
Autre AS Du thorax ça vaut mieux, c’est zone rouge, c’est mieux
AS3 Je sais pas, car il faut vraiment qu’on mette les détails car vous la connaissez, hein.
Autre AS Tu as une déchirure pectorale ou pas, non ? (sur le ton de la moquerie, rires)

Capture audio d’une conversation entre agent·es de sécurité dans la loge du CFA de Boudry Cliquer sur l’image pour télécharger le texte complet