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Notre regard

Indignation, rencontre, persévérance: entretien avec Nicole Andreetta

Propos recueillis par Sophie Malka

À Genève, elle est bien connue des membres des associations de défense de l’asile. Mais surtout des innombrables personnes ayant un jour frappé à la porte de l’Agora, situé au cœur du foyer des Tattes, l’un des plus grands foyers d’hébergement de requérant·es d’asile de Suisse. L’écoute, l’empathie, le temps offert aux personnes ballottées et désorientées ou cherchant à partager leur culture et savoir-faire ont été au cœur de son action. Combien en a-t-elle accompagné lors de démarches officielles pour rappeler aux fonctionnaires qu’ils s’adressaient à un être humain! Nicole Andreetta raccroche aujourd’hui son habit d’aumônière pour une retraite active. Et quitte le comité de rédaction de Vivre Ensemble, où elle a été durant 15 ans une portraitiste et offert une voix aux personnes issues de l’asile. Nicole n’a cessé de nous inciter à vulgariser nos articles pour qu’ils soient lus et compris par le plus grand nombre. Elle nous manquera!

Nicole Andreeta (au milieu) à La Pointe, à Genève, lors de la campagne « Ma Genève » dénonçant la construction d’un méga-centre de détention administrative dans le canton. La prison a été construite, mais est toujours pour l’heure dévolue aux mesures pénales.

Tu es entrée au comité de rédaction de Vivre Ensemble il y a 15 ans. Qu’est-ce qui t’a poussée à cet engagement bénévole, davantage axé sur l’information que sur l’action d’accompagnement et de terrain propre à l’Agora ?

Nicole Andreetta: Ce sont Yves Brutsch et Isabelle Fürrer, alors président et coordinatrice de Vivre Ensemble qui, en 2007, m’ont proposé de faire partie du comité rédactionnel. J’ai tout de suite accepté, tellement ces deux mots « vivre ensemble » illustraient la finalité de mon travail d’accompagnement à l’AGORA. Très vite, j’avais réalisé qu’il était important de témoigner du vécu et des conditions de vie des requérants d’asile, des difficultés qu’ils rencontraient et surtout des obstacles que les durcissements successifs de la loi sur l’asile dressaient sur leur chemin d’intégration dans notre société.

Que t’as apporté cet engagement?

Participer aux comités de Vivre ensemble m’a permis d’acquérir de solides connaissances concernant la politique d’asile, de repérer les différents acteurs du réseau et comprendre comment, tous ensemble, nous pouvions tenter de faire bouger les choses. Auprès d’un public plus large que celui auquel s’adressent habituellement des aumônier·es, Vivre ensemble m’a apporté assurance, légitimité, crédibilité et cohérence. Dans le domaine de l’asile, les ambiguïtés et les paradoxes sont monnaie courante. Ils diffusent une espèce de brouillard opaque autour de la situation des réfugiés. Pour la population, il est difficile de comprendre, au premier abord, que l’exclusion peut se cacher derrière des termes a priori positifs. Un simple exemple: l’aide d’urgence. Tant que l’on n’a pas pu réaliser que cette « aide » a pour but de péjorer la vie des personnes déboutées pour les forcer à disparaître, on ne peut pas affirmer clairement que c’est injuste. Et par conséquent réagir.

Dans le domaine de l’asile, les ambiguïtés et les paradoxes sont monnaie courante. Ils diffusent une espèce de brouillard opaque autour de la situation des réfugiés. Pour la population, il est difficile de comprendre, au premier abord, que l’exclusion peut se cacher derrière des termes a priori positifs.

Nicole Andreetta

Qu’évoquent pour toi les mots…

Indignation: Au départ c’est une réaction de colère devant des situations injustes qui va se transformer sur le long terme en bouée de sauvetage évitant la noyade dans la mer de l’indifférence. Lorsque rien ne bouge, le risque est grand de s’habituer. L’indignation ressentie par différentes personnes rencontrées tout au long des années passées à l’AGORA a heureusement entretenu la mienne.

Rencontre: Moment (ou espace) précieux qui permet un changement de regard, souvent non programmable. Lors de mes débuts à l’AGORA, je me souviens d’un jeune albanais qui s’était fait voler son argent au foyer. Il souhaitait ouvrir un compte et déposer son argent. C’était impossible à l’époque pour des personnes encore en procédure, mais il ne voulait rien entendre. Devant son insistance, je l’ai tout de même accompagné à la banque. Or, à ma grande surprise, touché par mes explications, l’employé qui se trouvait au guichet a convaincu le gérant de faire une exception.

Complémentarité: Il est important de s’appuyer sur ses propres valeurs, mais il faut aussi réfléchir à comment elles peuvent interagir et se consolider avec les compétences des autres. Cela permet de quitter le terrain des émotions pour une démarche constructive plutôt que réactive.

Jeunes: Qu’ils viennent d’ici ou d’ailleurs ils représentent notre avenir. Il est indispensable de leur transmettre nos meilleurs outils pour affronter les difficultés de la vie tout en reconnaissant à chacun la possibilité d’utiliser et partager ses propres ressources. Comment peut-on empêcher des jeunes de terminer une formation?!

Persévérance: La confiance en la vie de ceux et celles qui ont bravé tant de dangers avant d’arriver en Suisse nous interdit de baisser les bras. Hommage à toutes les personnes anonymes ou connues qui ont rencontré leur semblable en tissant des liens d’amitié. Elles grignotent le cadre rigide de la loi et inlassablement travaillent à ouvrir des portes pour un accueil digne.