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Notre regard

Analyse d’une juriste | Quelle représentation juridique en procédure étendue?

Karine Povlakic

La nouvelle Loi sur l’asile, entrée en vigueur en mars 2019, prévoit une représentation juridique d’office «tout au long de la procédure d’asile». Or, cette défense juridique n’est toujours ni définie, ni organisée en procédure étendue[1]Procédure étendue : lorsque la décision sur la demande d’asile ne peut pas être prise dans le cadre de la «procédure accélérée» au centre fédéral, car trop complexe et demandant des … Lire la suite. Alors que nous sommes supposés aider nos client·es, les requérant·es d’asile, à présenter les faits pertinents à l’appui de leur demande de protection, l’exercice de notre travail est entravé par l’autorité d’asile: soit nous sommes limités dans nos interventions durant l’audition; soit notre accès au dossier, autrement dit aux informations nécessaires à l’exécution de notre mandat, est restreint. Une situation proche de celle que nous connaissions sous l’ancien droit. On aurait été pourtant en droit d’attendre un renforcement du rôle du représentant juridique vu l’insistance des autorités fédérales sur ce point lors de la campagne de votation. Un argument qui avait convaincu une majorité de Suisses à voter en faveur de la nouvelle loi. Pour l’heure, tel n’est pas le cas.

Le bâtiment du Secrétariat d’État aux migrations à Berne (©Yesuitus2001)

La représentation juridique signifie aider les requérant·es d’asile à porter leurs motifs devant l’autorité. Il s’agit d’abord d’un important travail d’écoute et de tri de tous les événements de leur vie passée et présente afin de ne conserver que les éléments pertinents à la procédure. Ensuite, la connaissance particulière que le ou la juriste a des pratiques administratives doit contribuer à formuler l’histoire d’une vie qui soit en rapport avec les critères reconnus de protection. La représentation juridique est donc un conseil individuel, propre à chaque requérant·e.

Actuellement, les représentant·es juridiques (RJ) cantonaux n’ont pas les moyens d’exercer leur mandat.

Accès au dossier entravé

Tout d’abord, parce que le SEM nous refuse l’accès au dossier. En cas de convocation d’une audition complémentaire (deuxième audition sur les motifs d’asile), nous n’avons pas connaissance du contenu des auditions précédentes menées dans les centres fédéraux et auxquelles nous n’avons pas assisté. On nous propose de lire le procès-verbal 30 minutes avant l’audition comme cela était la pratique sous le régime des représentant·es d’œuvre d’entraide (ROE)[2]Représentant·es d’œuvre d’entraide : sous l’ancien droit, les ROE assistaient à l’audition en tant que tiers neutre, en plus du représentant juridique, afin de veiller à ce que … Lire la suite. Outre qu’il faut deux heures pour lire un PV d’audition correctement, nous ne sommes pas une présence neutre à l’audition comme l’étaient les ROE. Nous représentons les intérêts des requérant·es, et notre tâche est donc de préparer la personne à une nouvelle audition. Il s’agit d’expliquer au mandant·e quel sera l’objet potentiel de la prochaine audition compte tenu des éléments déjà établis, quels aspects particuliers de son histoire paraissent pertinents ou non en rapport avec les pratiques en matière d’asile, et quels moyens de preuve complémentaires pourraient être apportés au dossier. Ces conseils ne peuvent pas être dispensés sans une connaissance préalable du dossier.

Il en va de même lorsque le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) demande de répondre à des questions complémentaires par écrit. Dans un cas dont j’ai suivi le dossier, la requérante doit se déterminer si, en tant que victime de traite humaine, elle pense pouvoir retourner dans son pays d’origine. La dame vient d’être attribuée en procédure étendue. Elle rencontre sa nouvelle mandataire pour la première fois. Or, la réponse va déterminer la décision finale puisqu’elle revient à demander: «avez-vous besoin d’une protection de la Suisse ou peut-on vous renvoyer?». Dans un contexte d’une telle violence subie, il n’est pas souhaitable que la requérante relate son récit douloureux une fois de plus. Or, sans accès au procès-verbal de l’audition, qui dure souvent plusieurs heures, la réponse ne peut être que superficielle ou stéréotypée, ce qui pourrait motiver un refus de la part du SEM. On a besoin de l’audition telle qu’elle figure au dossier, pour aider la requérante à exposer quels aspects de son parcours appellent une protection au sens de la Loi sur l’asile.

Les refus du SEM de nous communiquer les pièces du dossier ne permettent actuellement pas de garantir une représentation juridique effective, c’est-à-dire une défense concrète des requérant·e·s d’asile. La loi a changé, mais la représentation juridique n’a pas évolué en conséquence. Nous travaillons dans les mêmes conditions qu’avant, avec la charge de remplacer les ROE en plus.

Actuellement, les représentant·es juridique cantonaux n’ont pas les moyens d’exercer leur mandat.

Karine Povlakic

Un rôle insuffisamment défini

Par ailleurs, le rôle des représentant·es juridiques au cours de l’audition n’est pas explicité clairement. Le plus souvent, nous assistons sans réellement pouvoir intervenir. Dans le canton de Vaud, la convention entre l’EPER et le SEM prévoit que les RJ «accompagnent» les requérants d’asile aux auditions, sans autre précision. Sur le terrain, le SEM limite généralement nos interventions à deux ou trois moments choisis, où l’auditeur-trice nous demande si on a une question. Ces moments arrivent toujours en « fin de partie », lorsque les enjeux du récit sont retombés, que les aspects essentiels sont dépassés, qu’on évoque des questions subalternes. Nous ne sommes plus dans le vif de l’audition, et il n’est pas possible de revenir en arrière sans prendre le risque d’apporter de la confusion au récit. Ce décalage nous oblige à renoncer le plus souvent.

Actuellement, il n’y a pas de réelle proposition pour un rôle des représentant·es juridiques pendant les auditions[3]Dans ses Recommandations relatives au conseil et à la représentation juridiques dans la nouvelle procédure d’asile, le HCR propose aux RJ le même rôle au cours des auditions que les ROE (voir … Lire la suite. Nous aurions besoin d’un règlement opposable aux auditeur·es qui spécifie nos modalités d’intervention, dans l’intérêt des requérant·es et pour l’idéal de défense du droit d’asile. Comme il n’appartient pas au SEM de nous dicter ce rôle, celui-ci devrait faire l’objet d’un consensus au sein des milieux intéressés.

Une autre difficulté importante est la communication entre les œuvres d’entraide chargées de la représentation juridique lors du passage des centres fédéraux vers les cantons, des premières étapes de la procédure à la procédure étendue. Les représentant·es cantonaux reçoivent un dossier du mandataire antérieur·e chargé de documents inutiles (accusés de réception d’actes, de résiliation de la procuration, de communication de ceci cela au SEM et pléthore de formulaires de transmission de données médicales succinctes). Parfois y est adjoint un résumé en quelques lignes des motifs d’asile. Une transmission des éléments importants de la demande, de la façon dont la/les premières auditions se sont déroulées, des éléments à creuser, serait indispensable. Il n’y a pas de continuité du suivi du dossier assurée, au détriment des requérant·es d’asile.

Meilleur suivi des dossiers

Par exemple, au cours d’une audition complémentaire, je remarque que la requérante répond trop succinctement aux questions. La mandataire antérieure l’avait sûrement relevé. Cette information aurait dû figurer au dossier afin que je puisse en parler avec la requérante, avant son audition. Une autre fois, le requérant a commencé son récit très loin dans le temps, avec une quantité de détails sans intérêt. Là encore, cette difficulté avait sûrement été constatée lors de la première audition et aurait mérité d’être signalée à la nouvelle représentante, afin qu’elle puisse préparer le requérant à se concentrer sur les événements essentiels. Dans un autre cas, les motifs d’asile n’avaient pas été abordés lors de la première audition. L’auditrice avait posé toutes sortes de questions qui ont créé de la confusion dans l’esprit de la requérante. À l’audition suivante, elle ne savait ni par où commencer, ni comment orienter son récit. La mandataire, qui ne savait pas que l’auditrice ignorait les motifs au stade de l’audition complémentaire, n’a pas pu préparer la requérante à se concentrer sur le plus important. Du coup, celle-ci a raconté sa vie qui était dense et jalonnée de nombreux événements. Ce n’est qu’à la troisième audition que les motifs d’asile ont finalement pu être évoqués. Comme j’avais assisté à la seconde, j’ai pu la préparer à la troisième de manière ciblée. Si j’avais eu connaissance des problèmes dès le départ, nous nous serions épargné une troisième audition.

La défense juridique doit être assurée tout au long de la procédure. Cette défense a nécessairement une continuité. Elle ne devrait pas être interrompue par un changement de représentant·e juridique, au sein de l’organisation elle-même, ou lors du passage d’une organisation à une autre. Il manque un protocole de consignation au dossier des événements qui se sont produits au cours de l’audition, afin que la connaissance acquise par la représentation juridique du moment puisse être transmise de manière utile pour le suivi juridique ultérieur de la personne concernée.

Notes
Notes
1 Procédure étendue : lorsque la décision sur la demande d’asile ne peut pas être prise dans le cadre de la «procédure accélérée» au centre fédéral, car trop complexe et demandant des investigations supplémentaires, le SEM attribue la personne à un canton. Le ou la requérant·e est alors suivi·e par un bureau cantonal de représentation juridique pour la suite de la procédure qui peut comprendre une audition complémentaire, ou la réponse à un droit d’être entendu.
2 Représentant·es d’œuvre d’entraide : sous l’ancien droit, les ROE assistaient à l’audition en tant que tiers neutre, en plus du représentant juridique, afin de veiller à ce que celle-ci se déroule dans les formes.
3 Dans ses Recommandations relatives au conseil et à la représentation juridiques dans la nouvelle procédure d’asile, le HCR propose aux RJ le même rôle au cours des auditions que les ROE (voir p. 26-27 des recommandations), en ajoutant la possibilité pour la RJ de discuter des moyens de preuve à fournir avec le·la représentant·e du SEM.