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Notre regard

Éditorial | La Suisse impuissante?

Sophie Malka

Elle a tenté de masquer son intransigeance en se déclarant impuissante, Karin Keller-Sutter. Alors que les derniers Occidentaux abandonnaient Afghanes et Afghans aux mains des talibans, que les familles en Suisse, désespérées par les messages de leurs proches, tentaient de trouver n’importe quel moyen de les faire sortir du pays, la Conseillère fédérale négociait avec les Européen·es une politique commune de fermeture. À savoir consolider les frontières et limiter l’action des pays de l’UE à une « aide sur place ». Une aide évidemment nécessaire pour soutenir les pays limitrophes qui accueillent déjà l’écrasante majorité des exilé·es afghan·es (voir le dossier « Afghanistan » publié dans le même numéro). Mais qui risque de s’acheminer vers un pacte avec deux acteurs plus que problématiques sur le plan de la sécurité et de la paix mondiale: le Pakistan et l’Iran. Déjà oubliée, l’instrumentalisation des réfugié·es par Erdogan en mars 2020, visant à taire toute protestation de l’UE dans son conflit territorial avec la Grèce? Ou les menaces de Kadhafi dix ans plus tôt ?

Avec quel levier les pays de l’UE arriveront-ils à garantir le respect minimum des droits fondamentaux des réfugié·es parvenu·es à sortir d’Afghanistan et bloqué·es dans des camps ? À voir la situation en Libye, avec laquelle l’UE et la Suisse collaborent, les perspectives restent sombres.

Certes la Suisse ne peut agir « seule « . Mais elle peut montrer l’exemple. Or, celui qu’elle donne est honteux. À la demande d’accueillir des contingents de réfugié·es dans le cadre du programme de réinstallation du HCR, Karin Keller-Sutter affirme que la Suisse en fait assez et qu’elle a déjà « augmenté » son quota de 1900 personnes pour 2022-2023. Sauf que 1600 places étaient déjà planifiées et que le surplus de 300 personnes n’est qu’un report du solde de 2020-2021 que Berne n’a pas honoré, prétendument à cause du Covid… On rappellera juste les appels répétés des églises, de la société civile, et même de villes et communes, à accueillir des personnes vulnérables bloquées dans des conditions abjectes sur les îles grecques depuis mars 2020… La ministre y a opposé la même intransigeance qu’aujourd’hui.

Des hommes afghans déplacés attendent de recevoir une aide financière. © UNHCR/Tony Aseh

Ce genre de mesquinerie est familier du SEM. L’historique des programmes de réinstallation suffit à s’en convaincre. Des 3000 places annoncées en mars 2013 pour permettre à des personnes vulnérables réfugiées dans les pays voisins de la Syrie à trouver une sécurité en Suisse, Berne en avait retranché 1500 pour le programme de relocalisation de l’UE. On se souvient aussi Simonetta Sommaruga à la tête du DFJP faisant la leçon aux Européens, alors que rien qu’en 2016, la Suisse avait transféré vers une Italie surchargée trois fois plus de personnes via le mécanisme de Dublin qu’elle n’en avait accueilli par la relocalisation.

La Suisse impuissante à sortir les réfugié·es d’Afghanistan, peut-être. Mais elle a des outils pour faciliter la venue des proches de celles et ceux qui vivent ici et qui se trouvent aujourd’hui en danger. En simplifiant et en facilitant les démarches de regroupement familial pour les titulaires d’une admission provisoire. En se montrant moins restrictive dans l’application du visa humanitaire, comme elle l’avait fait un temps pour les réfugié·es syrien·nes. En réexaminant les dossiers des personnes afghanes aujourd’hui déboutées, à la lumière de la nouvelle situation, et en leur offrant rapidement des perspectives d’intégration. Gageons qu’au moment de mettre sous presse, le mantra de Karin Keller-Sutter, repris mot pour mot par Mario Gattiker, n’aura pas bougé d’un iota. Et tant mieux si nous nous trompons!