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Notre regard

Interview de Pascal Onana et Living Smile Vidya | « Un soutien psychologique avant, pendant et après l’audition est indispensable »

Pascal Onana et Living Smile Vidya (Smiley) sont deux des quatre protagonistes demandeurs et demandeuses d’asile du film L’Audition de Lisa Gerig. Nous les avons rencontrés au Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH) à Genève, où il et elle participaient à un débat. Pascal et Smiley ont déposé une demande d’asile avant la réforme de la LAsi, entrée en vigueur en 2019, qui prévoit désormais une information sur la procédure et une représentation juridique pour toutes les personnes requérantes d’asile avant et durant leur audition.

Pascal et Smiley, leur histoire

PASCAL ONANA (PASCAL) est arrivé du Cameroun en 2018 dans le cadre d’une conférence aux Nations Unies et n’est jamais reparti. Menacé de persécutions par le gouvernement camerounais, il dépose une demande d’asile en Suisse. La décision négative tombe deux ans et demi plus tard. Son récit n’a pas été cru et la Suisse considère qu’il peut être renvoyé vers le Cameroun. Malgré plusieurs recours, il est débouté. Il vit actuellement à Winterthur à l’aide d’urgence, où il s’engage comme travailleur social et professeur d’allemand bénévole. Il a également écrit le livre Das Labyrinth: Der Weg eines Asylsuchenden in der Schweiz (2021, publié à compte d’auteur).

LIVING SMILE VIDYA (SMILEY) est une artiste indienne, comédienne, actrice, et militante des droits des trans et des dalits [1]Les dalits, aussi appelés «intouchables» sont des groupes d’individus considérés du point de vue du système des castes en Inde notamment, comme «hors castes» et sont victimes de nombreuses … Lire la suite. Première personne transgenre en Inde à voir son identité de genre reflétée sur son passeport, elle subit des persécutions, discriminations et menaces de mort à cause de son identité, de sa notoriété artistique et de son activisme. Elle fuit l’Inde et se réfugie en Suisse en 2018, où elle demande l’asile. Une première décision, négative, tombe quelques mois après sa demande, estimant qu’elle peut rentrer en Inde au motif que le pays est un endroit sûr pour les personnes trans et qu’elle «est jeune et parle anglais». Elle fait appel en août 2018. Toujours en attente d’une décision, elle est impliquée dans la scène culturelle suisse, où elle se produit et performe régulièrement. Elle est aussi l’auteure du livre I Am Vidya: A Transgender’s Journey (2014, Rupa Publications Private Limited), une autobiographie traduite dans plus de 7 langues.

Pourquoi avoir participé au documentaire de Lisa Gerig?

PASCAL: J’ai refusé à quatre reprises avant d’accepter. La perspective de me replonger dans mon traumatisme était trop dure pour moi. Puis j’ai réfléchi à l’utilité d’un tel film, celle de faire changer les choses. Si pour moi il était trop tard, d’autres devront passer par cette procédure, que l’on doit repenser. J’ai aussi pensé à la société, très peu au courant de ce qu’il se passe pendant les auditions et qu’il faut sensibiliser.

SMILEY: Pour ma part, j’ai tout de suite accepté. Je viens d’un milieu d’artiste, je milite et me produis sur scène pour parler de ma vie, de mes réalités et essayer de changer les choses. Le film m’est donc apparu comme une opportunité. Il me semblait aussi important de parler de mon pays, l’Inde, qui est considéré comme un pays «sûr» dans la procédure d’asile en Suisse. Il me paraissait important de raconter mon histoire et mon parcours en tant que personne trans, victime de discriminations en Inde.

Qu’attendiez-vous de votre audition, et comment s’est-elle déroulée?

PASCAL: En demandant de l’aide, j’espérais être écouté, sentir de l’empathie face à ma situation. C’est cette empathie qui donne envie de se confier. Mais j’ai très vite été déçu. Dès le début, on est mis sous pression: «Prouvez-nous que vous ne mentez pas» plutôt que «Dites-nous pourquoi vous avez besoin d’aide». J’avais devant moi des gens qui m’avaient déjà accusé de tout et qui me demandaient de prouver le contraire. Il est parfois très difficile de prouver que l’on est une victime, surtout quand il y a beaucoup de pression. On se sent seul, acculé, et de nouveau oppressé. Et au moment où l’on perd pied et que les émotions prennent le dessus, c’est là qu’on nous pose des questions encore plus précises et qu’on nous teste le plus. Alors qu’à ce moment-là, on aurait besoin d’arrêter ou d’être consolé. Mais cela n’arrive jamais. On nous propose parfois une pause, mais ce n’est pas d’une pause dont on aurait besoin, mais d’interrompre la séance.

SMILEY: Je ne savais pas que ça allait être si dur, je n’y étais pas préparée. On part du principe que tu mens, et il faut prouver que tu es une victime. Fuir son pays pour aller demander l’asile ailleurs ne se prépare pas, on ne le sait jamais à l’avance. Quand tu subis des attaques, à aucun moment tu te dis qu’il faut enregistrer les preuves. Dans mon cas, pendant les deux jours qui ont suivi mon agression en Inde, j’étais dans un état second, je ne me rappelais même pas qui m’avait ramené chez moi. Et puis, il ressortait que l’auditeur ne connaissait pas bien la réalité de mon pays. Dans mon audition on m’a demandé pourquoi je n’étais pas allée voir la police. Or, en Inde, les femmes, les trans, les dalits, ne vont pas à la police. Aller à la police constitue un risque en soi, et on va te reprocher qui tu es et la manière dont tu vis.

Comment s’est passé pour vous le fait de revivre votre audition pour le film?

SMILEY: Il y a eu un grand temps de préparation. La réalisatrice m’a rencontré à plusieurs reprises et nous avons beaucoup discuté. Nous avons également fait des prétournages, pour nous préparer mentalement. Ensuite, le tournage a été très respectueux.

PASCAL: Nous étions également libres de nous arrêter à n’importe quel moment du tournage. Nous avons eu un grand soutien psychologique de la part de toute l’équipe, qui vérifiait si nous allions bien et si nous voulions continuer. Ce soutien se manifeste encore aujourd’hui avec des coups de fil et des rencontres.

Avez-vous pris un risque en racontant votre histoire publiquement et que ressentez-vous aujourd’hui?

PASCAL: Pour moi, cela reste difficile d’en parler, beaucoup d’émotions se mêlent, entre colère et déception face au système d’asile qui ne se remet pas en question. J’avais très peur, en faisant le film, des conséquences que cela pourrait avoir sur ma famille, ma procédure, et que je subisse d’autres pressions du fait que je critiquais le système suisse. Je prenais un gros risque, mais j’ai voulu le prendre.

SMILEY: J’avais peur, mais en même temps, j’avais déjà tout perdu. Aujourd’hui, raconter mon histoire et me battre fait partie de mon quotidien. Je le fais à travers l’art, le théâtre notamment, qui me permet de voyager dans les festivals où je suis sélectionnée. J’ai aussi fait d’énormes changements dans mon quotidien. Je continue à lutter pour rester en vie, mais aussi pour les droits humains.

Dans la deuxième partie du film, les rôles sont inversés et vous questionnez à votre tour les auditeurs·trices du SEM sur les raisons de faire ce métier. Qu’avez-vous ressenti dans cette posture?

PASCAL: J’ai trouvé cet exercice édifiant. Les questions, nous avions pu les choisir. C’était très intéressant de voir la gêne des auditeur·trices. Me mettre dans leur peau m’a permis de comprendre que nous sommes tou·tes pareil·les. Cela n’a pas été gardé au montage, mais j’avais demandé à l’auditeur s’il se souvenait du nombre de personnes présentes à son entretien d’embauche. Il ne le savait pas. De nous, on exige cette précision lors du récit d’événements traumatisants, et on se sert de «contradictions» contre nous. Or, c’est humain, on ne peut pas se souvenir de tout, surtout lors d’événements traumatiques. J’ai ressenti une sorte de puissance dans cette position. Mais je me suis aussi dit que le problème était là. Dans ce rôle, on peut facilement dérailler, ne pas réussir à se freiner, et ne plus considérer l’auditionné comme un humain. On perd de vue le fait que devant nous la personne est en souffrance et demande de l’aide. Quelque part, on est tou·tes, y compris les auditeur·trices, victimes de ce système. Ils·elles souffrent aussi, d’une souffrance qui s’ignore.

SMILEY: Moi je n’ai pas aimé cette partie. Elle m’a rendue mal à l’aise, je ne voulais pas être dans cette position et faire subir ce que j’avais subi. Le fait de les voir en difficulté me rendait inconfortable à mon tour.

Image de L’Audition, Lisa Gerig

Comment le système d’asile en Suisse pourrait-il être plus juste?

PASCAL: Il est indispensable de mettre en place un soutien psychologique avant, pendant et après l’audition. Actuellement on fait fi de la personne, de l’urgence et de son traumatisme. Apparemment, le personnel du SEM n’a pas de formation en soutien psychologique. La nouvelle procédure d’asile permet certes à des juristes d’être présents, mais un juriste n’est pas un psychologue. Une prise en charge post-audition serait aussi nécessaire: après avoir revécu toutes ces émotions, on nous demande de rentrer «chez nous» -un centre d’hébergement. Comment peut-on nous renvoyer aussi simplement dans la société? Revivre les événements peut être retraumatisant. Je trouve cela irresponsable de la part des autorités. J’ai mis deux heures pour retrouver mon chemin vers l’arrêt de tram après mon audition. J’étais dans un état second.

SMILEY: D’abord, arrêter de partir du présupposé que nous sommes des menteurs. Ensuite, il faut que le système soit plus inclusif, et plus respectueux. Pendant mon audition, mon interprète a quitté l’audition lorsque j’ai dit que j’étais une personne trans. C’était revivre une nouvelle fois les discriminations en Suisse. Cela s’est reproduit durant le tournage, et j’ai compris plus tard que mon interprète ne savait sincèrement pas comment traduire certains mots liés à mon genre, ce que maintenant elle a appris. J’espère que tous·tes les traducteurs·trices pourront être outillé·es comme elle. Il faut que le système d’asile suisse soit «queer-friendly», et que l’on soit beaucoup mieux informé des différences culturelles et de la situation dans le pays de provenance de la personne en face.

Propos recueillis par JULIETTE DE MONTMOLLIN


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Notes
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1 Les dalits, aussi appelés «intouchables» sont des groupes d’individus considérés du point de vue du système des castes en Inde notamment, comme «hors castes» et sont victimes de nombreuses discriminations