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Jean Ziegler | « La Suisse doit quitter l’agence Frontex »

Le 30 novembre, Jean Ziegler signait une opinion dans la Tribune de Genève. Il appelait son lectorat à signer et à faire signer le référendum contre l’augmentation du financement suisse de Frontex (plus d’informations sur le site du comité référendaire No Frontex). En 2019, de retour d’une mission pour l’ONU sur l’île grecque de Lesbos, l’ancien conseiller national avait publié un vibrant témoignage de la réalité des « centres d’accueil » de réfugié·es en mer Égée (Lesbos, la Honte de l’Europe, 2020). Fort de cette expérience, il rappelle que l’agence Frontex contribue à affaiblir le droit d’asile mis à rude épreuve au sein de l’Union européenne. Alors que les dirigeant·es de nos pays cherchent à se dédouaner de leur responsabilité quant aux nombreux drames qui surviennent presque quotidiennement aux frontières, Jean Ziegler rappelle que nos impôts ne devraient pas servir à financer une politique de la terreur.Jean Ziegler, actuel vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme de l’ONU- et cher ami de l’autrice du livre « Échos de la mer Égée« , Mary Wenker – nous a aimablement autorisé à reproduire son texte ici.

La Suisse doit quitter l’agence Frontex

Frontex est l’agence de gardes-frontière et de gardes-côte de l’Union européenne. Elle a été fondée en 2005 avec siège à Varsovie. Ses bateaux d’interception rapides, armés de mitrailleuses lourdes, ses avions, ses drones et son équipement technologique sophistiqué (radars, détecteurs laser, etc.) constituent le bras armé d’une stratégie criminelle; celle qui est mise en œuvre par la Commission européenne pour empêcher le plus grand nombre possible de réfugiés d’atteindre notre continent et d’y déposer une demande d’asile.

Le droit d’asile, défini par l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU, est un droit humain universel et une conquête de civilisation. Quiconque est persécuté, torturé, bombardé dans son pays, pour des raisons politiques, ethniques ou religieuses, a le droit de traverser une frontière et de demander aide et protection dans un pays étranger. Pour un réfugié de la violence, il n’existe pas de passage illégal de frontière.

Dans la Méditerranée centrale, dans la mer Égée, Frontex pratique la chasse aux réfugiés. Ses bateaux interceptent en haute mer, souvent avec une extrême brutalité, les zodiacs et autres embarcations fragiles, remplis de familles angoissées, et les forcent de retourner dans les eaux territoriales turques ou libyennes. Lors de ces pushbacks, les naufrages meurtriers sont fréquents.

Frontex soutient, sur terre et dans les airs, les gardes-frontière hongrois, polonais, grecs, croates, entre autres, les finance et les arme. Sur les frontières sud et est de la forteresse Europe se commettent ainsi d’effroyables crimes contre l’humanité. Exemple: des gardes-frontière croates arrachent les ongles des réfugiés[1]Lire l’interview d’Erik Marquardt, député européen Vert allemand, dans «SonntagsBlick» du 1er août 2021. – aussi d’enfants; avec le soutien de policiers de Frontex, en Bosnie-Herzégovine, en Hongrie, en Tchéquie, des gardes-frontière battent et pillent les réfugiés et les refoulent. La Suisse est membre de Frontex depuis 2009. Des douaniers, des policiers suisses sont présents sur ses navires de guerre et participent à ses interventions d’interception et de refoulement. En empêchant les persécutés de pouvoir déposer une demande de protection sur sol européen, des fonctionnaires suisses collaborent activement à la liquidation du droit d’asile.

Jean Ziegler (à droite) lors de l’action « Les nommer par leur nom » à Genève, en 2021. ©Sophie Malka

Lors de leur session d’automne 2021, les Chambres fédérales ont décidé d’augmenter massivement, dès l’année prochaine, la contribution suisse à Frontex, soit de 14 millions de CHF annuels, actuellement à 61 millions annuels. Au Conseil national le vote a été serré: 88 voix pour l’augmentation contre 80 voix contre (essentiellement socialistes et Verts) et 28 abstentions.

Contre l’arrêté fédéral du 1er octobre 2021 portant approbation et mise en œuvre de cet engagement vis-à-vis de l’Union européenne, une coalition d’organisations d’aide aux réfugiés a lancé le «Référendum non au financement de l’agence de gardes-frontière Frontex». Le Parti socialiste, les Verts, le Parti du travail, les syndicats soutiennent la démarche.

Le temps presse: nous devons réunir les 50’000 signatures indispensables jusqu’en janvier 2022.

Collecter les signatures, voter pour l’annulation de cet arrêté ignominieux sont une exigence de raison et de justice.

Mais même si nous réussissons à corriger l’indécente décision du parlement, le combat ne sera pas terminé pour autant: la Suisse doit sortir de Frontex. Nos impôts ne doivent pas servir à financer une stratégie de terreur, de refoulement et de destruction du droit d’asile, qui insulte la tradition humanitaire de notre peuple.

Jean Ziegler

Notes
Notes
1 Lire l’interview d’Erik Marquardt, député européen Vert allemand, dans «SonntagsBlick» du 1er août 2021.