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Comptoir

Migration | Que peut bien révéler un sondage orienté?

Ce 23 décembre 2021, le quotidien 24 Heures a publié un article intitulé « En Suisse comme en Europe, les migrants continuent à faire peur ». Présenté comme une synthèse d’un sondage d’opinion publique à l’échelle européenne, l’article en dresse les principaux constats : la population européenne aurait une peur croissante de l’augmentation des flux migratoires et des craintes quant à la sécurité liée à la présence importante de personnes migrantes. L’article occulte pourtant une question centrale : ce type même de sondage – et de relais médiatique – ne contribuent-ils pas à renforcer le sentiment d’insécurité qu’ils décrivent ?A y regarder de plus près, les dés semblent pipés. L’objectif annoncé du sondage est celui de « la perception de l’immigration de ces dix dernières années » mais aussi « des craintes les plus fréquentes liées au phénomène ». Les trois questions du sondage citées dans l’article mettent en avant la notion de peur, mentionnent l’idée d’une immigration « trop importante » jusqu’à demander si « les migrants constituent une menace pour l’identité nationale ». Le focus semble suggérer les réponses. Et l’article ne mentionne pas si d’autres questions élargissent le champ des possibles évoquant par exemple, l’accueil, le vivre ensemble ou les droits humains.

Alors que le sondage semble présenter de nombreux biais, l’article du 24 Heures renforce ce sentiment en n’apportant aucun bémol aux préjugés évoqués. Criminalité, violence, invasion ; les mots sont posés mais jamais mis en contexte ou nuancés.  Si la journaliste tend le micro à un politologue qui explique les réponses des sondé·es suisses par rapport aux européen·nes, à aucun moment celui-ci ne remet en question les idées reçues véhiculées par l’enquête.

Pour prendre le contre-pied des idées diffusées dans l’article du 24 heures, une image en soutien des personnes migrantes (crédit: Unsplash; Matteo Paganelli)

La peur de délits criminels liés à la présence de personnes étrangères est ainsi plusieurs fois mentionnée. Faire référence aux travaux [1] Comment s’explique la surreprésentation des étrangers dans la criminalité ? André Kuhn, Vivre Ensemble, hors-série n·1, 2013 du criminologue André Kuhn aurait contribué à réduire ce type de préjugés. On y lit par exemple qu’une fois corrigée de tous les biais statistiques, le taux de criminalité des Suisses et des étrangers est proche.
De même, concernant les craintes d’augmentation d’arrivées de personnes migrant·es : rappelons que les demande d’asile n’ont plus été aussi basses en Suisse depuis plus de dix ans. Une infographie suffit pour le constater.


Finalement, le recours excessif au mot « migrants » biaise la compréhension. La journaliste amorce l’article en dressant le décor : personnes bloquées aux frontières biélorusses ou à Calais. Terme galvaudé depuis quelques années, il semble important de rappeler qu’« un migrant » se défini officiellement comme « une personne qui se déplace hors de son pays de résidence, que ce soit pour son travail, ses études, pour rejoindre sa famille ou encore pour fuir son pays. » [2]Mémo[ts] à l’attention des journalistes pour parler d’asile et de migration, Vivre Ensemble 2017. L’article ne permet pas de savoir à quel type de migration le sondage fait référence, mais aux vues des réponses, on peut supposer qu’il ne s’agissait pas du « médecin allemand » ou de « l’étudiante américaine » pourtant tout aussi migrants que les autres…

Au final, les résultats esquissés dans cet article n’étonnent que peu. Non seulement parce que ce type de sondages quantitatifs est très souvent orienté mais aussi parce que les médias manquent régulièrement de déconstruire les idées reçues qu’ils relayent dans leurs colonnes. Ils jouent pourtant un rôle important dans les représentations que la population se fait des migrations, des questions raciales et des besoins de protection. L’impact d’un journalisme responsable est grand. Malheureusement, l’impact est tout aussi important en ce qui concerne la reproduction d’idées reçues.

Giada de Coulon, pour le Comptoir des médias