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Notre regard

Frontex-leaks | Que savait le Conseil fédéral des pushbacks en Grèce?

Sophie Malka

De nouvelles révélations du journal Der Spiegel et de la cellule d’investigation Lighthouse report[1] (17.03.21) montrent que la direction de l’agence de garde-côtes et de garde-frontières Frontex sait depuis début 2020 que les autorités grecques pratiquent des refoulements illégaux (pushback), qu’elle en avait les preuves, qu’elle les a dissimulées, contribuant à ce que ces pratiques se poursuivent. Leur enquête divulgue documents et images internes d’un pushback de la Grèce vers la Turquie, classifiés comme « sensibles » par Frontex. Ces preuves dissimulées s’ajoutent aux témoignages et autres éléments à charge collectés par l’Organe antifraude de l’UE (OLAF) durant ses investigations. Son rapport est pour l’heure gardé confidentiel, y compris des député·es européen·nes chargé·es du contrôle de Frontex, qui n’en ont reçu qu’un résumé oral. Mais les membres du Conseil d’administration de l’agence l’auraient déjà à disposition, selon Der Spiegel. Fuitait la possibilité que soit prises des mesures disciplinaires contre trois membres de la direction de Frontex impliqués dans cette affaire, à l’occasion d’un prochain conseil d’administration.

Lettre ouverte pour plus de transparence du Conseil fédéral

Des images internes transmises par des agents de Frontex à la direction de l’agence à Varsovie montrent le déroulement d’un pushback. Elles ont été dissimulées par la direction de Frontex mais prouvent que celle-ci connaissaient ces pratiques et les ont couvertes, contribuant à la poursuite de ces agissements par les autorités grecques, rapporte Der Spiegel.

Que savaient les deux membres suisses du Conseil d’administration? Et qu’ont-ils communiqué aux autorités fédérales? Présent le 2 mars lors de la Conférence de presse de lancement de la campagne du Conseil fédéral sur la votation du 15 mai, Marco Benz, l’un des deux représentant suisse au conseil d’administration de Frontex,assurait que tout allait bien.

Au vu de ces nouvelles révélations et de leur importance dans le débat démocratique, le comité référendaire national a lancé un site web Frontex-leaks ainsi qu’une lettre ouverte à signer. Celle-ci demande au Conseil fédéral qu’il s’engage à ce que le rapport de 200 pages d’OLAF soit rendu public en Suisse avant le vote du 15 mai, pour demander la démission du directeur de Frontex, et pour qu’il fasse la lumière sur ce que savaient les représentants suisses à Frontex et les autorités fédérales.

En tant que membre du comité référendaire contre Frontex, Vivre Ensemble soutient cette démarche. A ce titre, nous avons traduit ci-dessous en français la lettre ouverte, mais celle-ci doit être signée et partagée directement sur le site de Frontex-leaks.

Frontex-leaks. Tolérance zéro à l’égard des pushbacks?

Lettre ouverte pour que le Conseil fédéral fasse transparence sur les pushbacks couverts par Frontex

Le 15 mai 2022, la population votera sur une extension du soutien de la Suisse à Frontex. Dans le livret de vote, le Conseil fédéral écrit à propos de la loi Frontex : « La Suisse est favorable à une politique de tolérance zéro à l’égard des renvois illégaux de demandeurs d’asile (appelés pushbacks) ». Le Conseil fédéral doit maintenant prouver cette position – notamment lors de la prochaine réunion du conseil d’administration de Frontex, le 29 mars 2022.

En tant que signataires de la lettre ouverte, nous soutenons ces demandes :

1. Le rapport de l’OLAF doit être rendu public dès maintenant afin que les citoyen·nes puissent se faire leur propre opinion sur Frontex.

Le Conseil fédéral doit s’engager immédiatement pour que le rapport de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) sur les manquements de Frontex soit publié. Cela doit se faire avant la votation sur la loi Frontex du 15 mai, afin que les électeurs et électrices puissent se faire leur propre opinion. D’autant plus que la question de savoir dans quelle mesure Frontex s’est rendue coupable de violations répétées des droits humains et a participé concrètement à des pushbacks est un point controversé dans la campagne de votation.

2. La Suisse doit se prononcer en faveur du licenciement du chef de Frontex Leggeri.

Au vu des nouvelles preuves de l’implication de Frontex dans des pushbacks et d’autres manquements graves, le Conseil fédéral doit se prononcer immédiatement et publiquement pour le licenciement du chef de Frontex Fabrice Leggeri. La Suisse peut ainsi envoyer un signal sans équivoque que les violations des droits humains par Frontex ne seront pas tolérées et que les dissimulations seront sanctionnées sans compromis.

Seul le conseil d’administration de Frontex, au sein duquel la Suisse est représentée par Marco Benz, Chef Bases, Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières et vice-directeur, et Medea Meier, cheffe de la section Schengen, peut décider du licenciement du directeur de Frontex Fabrice Leggeri. Le conseil se réunit en secret. La prochaine réunion est prévue pour le 29 mars 2022. Il ressort de procès-verbaux internes divulgués que différents États ont jusqu’à présent protégé Leggeri. La position de la Suisse n’est pas encore connue.

3. Le Conseil fédéral doit veiller à ce que toute la lumière soit faite sur ce que la Suisse savait et a passé sous silence concernant les pushbacks impliquant Frontex.

Les violations des droits humains documentées avec la participation de Frontex exigent une clarification sans faille de ce que les autorités suisses savaient sur les pushbacks illégaux. La question se pose de savoir si les deux représentants suisses au sein du conseil d’administration de Frontex, Medea Meier et Marco Benz, ont informé le Conseil fédéral, les autorités et le Parlement sur les pushbacks illégaux, quand et dans quelle mesure.

Un groupe de travail interne au conseil d’administration de Frontex n’aurait trouvé aucune preuve de ces pushbacks. Selon le magazine SPIEGEL, les procès-verbaux des réunions laissent supposer que le groupe n’était pas du tout intéressé par une analyse critique. On ne sait pas encore si la représentation suisse, Medea Meier et Marco Benz, faisait partie du groupe de travail. La question de savoir si et sous quelle forme le Conseil fédéral, les autorités et les commissions parlementaires ont été informés de cette enquête interne et de ses résultats reste également ouverte.


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