Frontex | Cerbère de l’Union Européenne
Julia Huguenin-Dumittan
Créée en 2004 et renommée «Agence européenne de garde-frontières et garde-côtes» en 2016, Frontex a pour mission principale de «sécuriser les frontières extérieures de l’Union européenne».
« Frontex est une agence qui travaille sur la sécurité des frontières, mais il est évident que la Méditerranée, c’est un problème de sauvetage de vies. Ce n’est pas une frontière où les personnes doivent être renvoyées en Libye. »
Flavio Di Giacomo, porte-parole du bureau de coordination pour la Méditerranée de l’OIM (France Culture, « Sauvetage en mer Méditerranée : les nouvelles technologies », 25.08.21)
Une agence qui semble méconnaître le principe de non-refoulement
Toute personne a le droit de demander l’asile à un pays autre que le sien, même si elle doit franchir une frontière de manière irrégulière pour le faire. Ce principe internationalement reconnu et consacré par la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugié·es semble manquer à la formation des agent·es de Frontex.
L’Agence européenne de garde-frontières et garde-côtes est accusée d’avoir participé à des refoulements «à chaud», aussi appelés pushbacks. Ces pratiques sont illégales car elles empêchent les personnes en exil de manifester leur demande de protection et mettent leur vie en danger, de surcroît lorsque ce refoulement a lieu en pleine mer.
Une réputation sulfureuse
L’agence Frontex est actuellement l’objet de plus d’une dizaine d’enquêtes menées notamment par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, le Médiateur européen, la Commission européenne des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures et OLAF, l’Office européen de Lutte antifraude. Ces procédures font suite aux révélations et témoignages documentant l’implication de Frontex dans ces violations des droits fondamentaux.
Menée par une coalition de journalistes d’investigation et parue le 23 octobre 2020, une enquête a démontré, preuves à l’appui, que Frontex s’est faite complice d’au moins six opérations de pushbacks en pleine mer entre mars et septembre 2020. Dans un des cas, un bateau de Frontex a été filmé en train de bloquer une embarcation pour l’empêcher d’arriver dans les eaux grecques. Pour les autres «incidents», l’agence se trouvait à proximité et ne pouvait ignorer les agissements des garde- côtes grecs. Son inaction la rend coupable de non-assistance à personnes en danger.
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Cette enquête, basée sur des sources en libre accès, ne serait que la pointe de l’iceberg, tant en Grèce que sur le reste des frontières extérieures de l’UE. Un rapport du Hungarian Helsinky Comitee montre que l’agence européenne a systématiquement détourné le regard sur les violations quotidiennes des droits humains par la Hongrie. La faiblesse de mécanisme interne de contrôle du respect des droits humains y est pointée du doigt.
Le 29 avril 2021, la même cellule d’investigation relevait d’autres refoulements et documentait la collaboration entre l’agence européenne et les garde-côtes libyens. Ces derniers, financés en partie par l’UE, ne disposent d’aucune surveillance aérienne. Ils dépendent des signalements effectués par les drones et avions de Frontex qui survolent la Méditerranée. Près de 30000 personnes auraient ainsi été interceptées, parfois même en eaux européennes, et ramenées en Libye alors que le pays n’est pas considéré comme un «port sûr» par les instances internationales. Le système de surveillance de Frontex complique voire retarde les opérations de sauvetage en mer. Avec les conséquences que l’on sait: depuis 2017, plus de 7600 personnes sont portées disparues ou ont perdu la vie en Méditerranée centrale. Le 21 avril dernier, faute de coordination des secours, 130 personnes ont perdu la vie.
Un vote de défiance ?
Fin 2020, le directeur de Frontex, Fabrice Leggeri, a dû défendre «son» agence devant le Parlement européen pour son action en Grèce. Il y a réfuté les accusations de refoulements illégaux (les pushbacks) affirmant que les États membres sont toujours aux commandes lors des opérations. Frontex n’aurait qu’un simple rôle de soutien, ne lui permettant pas de reporter les différents incidents auxquels elle assiste pourtant régulièrement. Une défense qui n’a pas totalement convaincu. En mars 2021, à nouveau entendu, cette fois sur la Libye, il niait toute implication dans les interceptions par les garde-côtes de ce pays.
Le 21 octobre 2021, le Parlement européen a voté à une large majorité le gel d’une partie du budget 2022 de Frontex. Une défiance qui ne s’explique pas par le prisme des droits humains. La Cour des comptes européenne a rendu un rapport en juin 2021 aux conclusions accablantes: l’agence n’est tout simplement «pas capable de remplir ses missions». Reste à savoir à quelles missions il est fait référence… Frontex semble exceller dans le rôle de Cerbère de l’Europe.
Missions opérationnelles
- Expulsions des personnes en situation de migration irrégulière;
- Planification et mise en œuvre des renvois sur tout le sol européen;
- Modernisation et formation des postes de garde-frontières au niveau local.
Budget annuel en 2004
5 millions d’euros
Budget annuel en 2021
420 millions d’euros
Objectifs chiffrés période 2021-2027
10000 garde-frontières et garde-côtes, dont 3000 agent·es directement rattaché·es à Frontex
Quelques sources
- Conseil de l’Union européenne, «Sécurisation des frontières extérieures de l’Europe : lancement de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes», 6 octobre 2016.
- Bellingcat, «Frontex at Fault: European Border Force Complicit in ‘Illegal’ Pushbacks», 23 octobre 2020.
- Hungarian Helsinky Comitee, «Protecting fundamental rights or shielding fundamental rights violations ?», 8 janvier 2021.
- Spiegel International, «How Frontex Helps Haul Migrants Back To Libyan Torture Camps», 29 avril 2021.
- The New Humanitarian, «The European approach to stopping Libya migration», 17 novembre 2021.