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Notre regard

Frontex | De «prétendues» violations des droits fondamentaux?

Sophie Malka

Décryptage #2 – Les arguments «manipulatoires» du Conseil fédéral

Peut-on se fier au Conseil fédéral alors que dans sa communication de campagne de votation, il minimise les actes reprochés à Frontex en les qualifiant de «prétendues» violations des droits fondamentaux[1]« Selon les opposants à l’élargissement, la Suisse serait coresponsable de présumées violations des droits de l’homme en raison de son soutien financier à Frontex. » , DFJP, … Lire la suite? Ou en arguant que de telles violations sont le fait des garde-frontières étatiques des pays et non des siens?

Par l’emploi de l’adjectif «prétendues», repris par les médias, il fait sienne la ligne de défense du directeur exécutif de Frontex. Celui-ci a toujours nié toute responsabilité de l’agence dans des refoulements dénoncés, filmés, documentés, tout en relativisant la notion même de «pushback», la qualifiant de «prévention au départ»[!] [2]Migreurop, Frontex, 15 ans d’impunité, 20 décembre 2020

Et que penser de l’affirmation du Conseil fédéral que sa participation à Frontex permet de changer les choses de l’intérieur ? Faut-il rappeler que la Suisse a déjà deux membres dans le Conseil d’administration de Frontex, dont l’un, Marco Benz, était présent lors de la conférence de presse du Conseil fédéral? Les pushbacks ont-ils diminué depuis?

Dans sa FAQ en perspective des votations, le Conseil fédéral affirme: «Tout le personnel qui effectue des opérations de Frontex est tenu de dénoncer immédiatement d’éventuelles violations des droits humains constatées. Jusqu’ici aucun incident de ce genre n’a toutefois été rapporté.» Une affirmation bien péremptoire lorsque l’on sait que l’agence a été et est encore l’objet de multiples procédures et plaintes, et que le mécanisme de contrôle des droits fondamentaux existant est notoirement jugé inefficace [3]No Frontex, La poudre aux yeux: le système de responsabilité de Frontex, décembre 2021.

Nouvelles révélations explosives

De nouvelles révélations de Der Spiegel et de la cellule d’investigation Lighthouse report  (17.03.21) [4]Der Spiegel, «We Have a Lot of Evidence. Pressure Growing on Frontex Chief from Pushbacks Investigation», 21.03.22indiquent que la direction de Frontex a su très tôt que les autorités grecques pratiquaient ces refoulements illégaux, qu’elle en avait les preuves, qu’elle les a dissimulées, contribuant à ce que ces pratiques se poursuivent. Leur enquête divulgue documents et images internes d’un pushback de la Grèce vers la Turquie, classifiés comme «sensibles» par Frontex. Des preuves dissimulées qui s’ajoutent aux témoignages à charge collectés par l’Organe antifraude de l’UE (OLAF) durant ses investigations. Fin mars, son rapport était toujours gardé confidentiel, y compris des député·es européen·nes chargé·es du contrôle de Frontex, qui n’en avaient reçu qu’un résumé oral. Le chef de l’OLAF, Ville Itälä, n’en était pas moins catégorique: «Nous avons beaucoup de preuves ». Fuitait la possibilité de mesures disciplinaires contre trois membres de la direction de Frontex impliqués dans cette affaire, y compris du grand patron Fabrizio Leggeri.

Une façon de faire sauter la tête tout en maintenant ces pratiques? Lors de la conférence de presse du Conseil fédéral, Karin Keller-Sutter a parlé d’une agence « transparente »…

Des images internes classées « sensibles » par Frontex ont été transmises par des agents depuis la Mer Égée au siège de l’agence à Varsovie. Plusieurs clichés montrent le déroule- ment d’un pushback opéré par les garde-côtes grecs. Ils ont été publiés par Der Spiegel. Ces preuves ont été dissimulées par la direction de Frontex, qui a ainsi contribué à la poursuite de ces agissements. À découvrir sur le site de Frontex-Leaks.

Lettre ouverte pour plus de transparence du Conseil fédéral

Que savaient les membres suisses du Conseil d’administration? Qu’ont-ils communiqué aux autorités fédérales?

Au vu de ces révélations et de leur importance dans le débat démocratique, le comité référendaire national a lancé une lettre ouverte à signer sur le site Frontex-leaks.ch. Celle-ci demande au Conseil fédéral qu’il s’engage pour que le rapport de 200 pages d’OLAF soit rendu public en Suisse avant le vote sur Frontex du 15 mai 2022, pour demander la démission du directeur de Frontex, et pour qu’il fasse la lumière sur ce que savaient les représentants suisses à Frontex et les autorités fédérales.

Le NON à Frontex est un OUI à une Europe humanitaire

C’est également plus de transparence que doit demander le Parlement suisse au travers de mesures d’accompagnement humanitaires jointes à une nouvelle mouture de la loi, estiment deux élus aux États genevois présents à la conférence de presse genevoise contre Frontex, Lisa Mazzone et Carlo Sommaruga (21.03.22).

Parmi celles-ci, la création d’un monitoring suisse indépendant de Frontex, chargé de rapporter au Parlement suisse les violations des droits humains, des contreparties par l’ouverture de couloirs humanitaires et un élargissement des contingents de réinstallation, la criminalisation des pushbacks, etc. Et d’insister : «Le débat européen sur Frontex n’est pas fini. Un non suisse est une façon de soutenir les voix progressistes européennes».



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Notes
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1 « Selon les opposants à l’élargissement, la Suisse serait coresponsable de présumées violations des droits de l’homme en raison de son soutien financier à Frontex. » , DFJP, «Le Conseil fédéral et le Parlement recommandent de voter oui à la participation de la Suisse à l’élargissement de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex)», 21.03.22
2 Migreurop, Frontex, 15 ans d’impunité, 20 décembre 2020
3 No Frontex, La poudre aux yeux: le système de responsabilité de Frontex, décembre 2021
4 Der Spiegel, «We Have a Lot of Evidence. Pressure Growing on Frontex Chief from Pushbacks Investigation», 21.03.22