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OSAR | États Dublin et États tiers « sûrs » : faire confiance aveuglément ne suffit pas

Selon l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), « […] de nombreuses indications montrent clairement que les conditions auxquelles les personnes en quête de protection doivent effectivement faire face en Europe ne correspondent souvent pas à ce qui a été décrit. » Selon l’analyse de l’Organisation, les renvois vers les États Dublin et les États tiers « sûrs » n’assurent, en réalité, pas la protection des personnes réfugiées. L’Organisation demande les autorités suisses à clarifier de « manière approfondie la situation réelle qui attend les personnes en quête de protection après un transfert. »

Le communiqué de l’OSAR « États Dublin et Etats tiers « sûrs » : faire confiance aveuglément ne suffit pas » a été publié sur leur site le 9 mai 2022. Nous le reproduisons ci-dessous.

États Dublin et États tiers « sûrs » : faire confiance aveuglément ne suffit pas

La quête de protection en Europe n’est pas une entreprise facile, et encore moins sûre, pour les personnes réfugiées compte tenu du cloisonnement croissant de l’UE et des contrôles draconiens qu’elle opère à ses frontières extérieures. Celles et ceux qui y parviennent malgré les obstacles se heurtent souvent, y compris au sein de l’Europe, à des situations insoutenables. Les personnes réfugiées se voient alors contraintes de poursuivre leur périple jusqu’en Suisse par exemple. Mais à leur arrivée, elles sont généralement menacées de renvoi vers le premier État de l’UE dans lequel elles sont entrées. Malheureusement, il est très rare que les capacités d’accueil de l’État en question soient prises en compte.

Seraina Nufer, coresponsable du département Protection


Le système Dublin détermine quel État européen est responsable du traitement d’une demande d’asile. Il s’agit normalement du premier État de l’UE dans lequel la personne requérante d’asile est entrée et la Suisse, de par sa situation géographique, n’entre généralement pas en ligne de compte. Par conséquent, les autorités suisses renvoient régulièrement les personnes requérantes d’asile vers l’État responsable conformément à la procédure Dublin. Les personnes qui ont déjà obtenu un statut de protection dans un autre État européen y sont également renvoyées en raison d’accords bilatéraux de réadmission conclus avec ces États tiers « sûrs ». 

Grèce 2022

Différence entre théorie et réalité

Les deux réglementations reposent sur le postulat selon lequel les normes en matière de procédure d’asile, d’admission et d’octroi de protection sont similaires au sein de l’UE. La réalité est malheureusement tout autre : en Italie ou en Grèce, il est très probable qu’une personne requérante d’asile ou réfugiée reconnue se retrouve à la rue, car le nombre de places d’hébergement est largement insuffisant. En outre, le statut de protection des personnes réfugiées reconnues n’existe que sur le papier. En effet, aucun soutien concret n’est apporté en matière de logement, d’aide sociale ou de mesures d’intégration suffisantes. En Grèce, les droits des personnes réfugiées reconnues ont été limités depuis 2020, à tel point que ces personnes se retrouvent désormais entièrement livrées à elles-mêmes. 

La pandémie a fortement aggravé la situation économique déjà difficile dans les pays tiers. Le taux de chômage élevé au sein de la population locale restreint d’autant plus les chances de trouver un emploi pour les personnes requérantes d’asiles et réfugiées, qui ne disposent ni des connaissances linguistiques ni d’un diplôme scolaire ou professionnel reconnu par le pays d’accueil. À cela s’ajoute pour elles l’absence de réseau familial, qui remplace souvent les systèmes de protection sociale défaillants ou même inexistants. Il est dès lors difficile d’imaginer comment une personne réfugiée peut s’intégrer au sein d’une nouvelle société, sans quoi elle risque de se retrouver durablement en situation de précarité et d’absence de perspectives. 

La pratique suisse ne tient pas suffisamment compte des lacunes effectives. Le Tribunal administratif fédéral (TAF) a notamment allégé les exigences relatives aux transferts Dublin de personnes souffrant de problèmes psychiques vers l’Italie dans un arrêt de référence.   Cette décision va à l’encontre de la position de l’OSAR qui, en raison du manque de soutien sur place, déconseille le transfert de personnes souffrant de problèmes psychiques vers l’Italie et vers la Croatie. Dans un arrêt de référence rendu en octobre 2021, le TAF a affirmé que la situation des familles requérantes d’asile s’est améliorée à la suite de modifications législatives. Avec cet arrêt, le TAF ignore le fait que ces changements n’existent que sur le papier et que la situation effective ne s’est aucunement améliorée, comme le constate l’OSAR dans la mise à jour de son rapport sur l’Italie publiée en juin 2021.  En ce qui concerne la Grèce, le TAF reconnaît dans un récent arrêt de référence la situation difficile des personnes particulièrement vulnérables bénéficiant d’un statut de protection. Cependant, le TAF ne va pas assez loin aux yeux de l’OSAR, car il maintient le transfert de personnes bénéficiaire d’une protection vers la Grèce.

Un problème systémique

La réalité est donc souvent très éloignée du postulat selon lequel les systèmes d’asile et d’accueil des différents pays européens sont similaires. De nombreux rapports émanant de différentes sources en témoignent. Il ne s’agit pas uniquement de cas isolés, mais aussi de problèmes systémiques. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) révèle dans son rapport de décembre 2021 que les droits humains ont été systématiquement bafoués à la frontière croate et que les personnes en quête de protection ont été refoulées de force. De telles constatations devraient ébranler la confiance des États Dublin quant au respect des droits des personnes réfugiées par les autorités croates. Pourtant, des transferts continuent d’avoir lieu vers la Croatie.

Comment remédier à l’écart entre théorie et pratique ?

Le règlement Dublin prévoit la mesure d’urgence suivante : s’ « il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant », la personne requérante d’asile ne doit pas être transférée vers cet État. En outre, un transfert ne doit pas non plus être ordonné si la personne réfugiée risque de souffrir de traitements inhumains ou dégradants en raison des circonstances individuelles, même si le système ne présente pas de défaillances. Cette mesure vaut également pour les cas d’États tiers sûrs. Dès que des signes de défaillances apparaissent, la situation doit donc être examinée plus en détail et au cas par cas.

Il est grand temps de tenir compte des avertissements

Entre-temps, de nombreuses indications montrent clairement que les conditions auxquelles les personnes en quête de protection doivent effectivement faire face en Europe ne correspondent souvent pas à ce qui a été décrit. Le TAF renvoie déjà certaines affaires au Secrétariat d’État aux migrations (SEM) en lui demandant de clarifier les circonstances. Cependant, le tribunal soutient la pratique restrictive du SEM dans de nombreux cas et s’appuie sur l’hypothèse que les droits humains sont en principe respectés. Dans plusieurs cas d’États Dublin et d’États tiers sûrs, différents comités de l’ONU ont mis un terme à titre préventif aux transferts de la Suisse vers d’autres pays européens comme la Bulgarie ou la Grèce. Ces interventions prouvent que la pratique des autorités suisses est trop stricte. Il est grand temps que les autorités suisses prennent au sérieux les indications relatives aux conditions problématiques liées au respect des droits humains dans les États Dublin ou les États tiers sûrs et qu’elles clarifient de manière approfondie la situation réelle qui attend les personnes en quête de protection après un transfert. Faire confiance aveuglément ne suffit pas.